L'art d'inverser les accusations
L'archevêque Víctor Manuel Fernández ("Tucho"), au prétexte de défendre la liberté d'expression, s'en prend à ceux qui, selon lui, voudraient réduire au silence les amis les plus radicaux de François. Avec au passage une "pique" aux cardinaux Müller et Sarah (18/1/2018)
Dans un article consacré à un non-évènement (mais pas privé de signification pour autant), à savoir le fait que, dans ses voyages récurrents en Amérique latine, le Pape contourne soigneusement son pays natal, Sandro Magister citait une lettre des évêques argentins qui, pour défendre le Pape, s'en prenaient sans ménagement à ceux qui, se prévalant d'une amitié supposée ou réelle avec François, prétendaient parler en son nom (cf. Pourquoi le Pape ne va pas en Argentine).
À la veille de sa prochaine visite aux peuples frères du Chili et du Pérou, nous voulons répéter que le Pape François s’exprime dans ses gestes et paroles de père et de pasteur, et à travers les porte-parole formellement désignés par lui. Personne n’a parlé ni ne peut parler au nom du Pape. Son apport à la réalité de notre pays il faut le retrouver dans son abondant magistère et dans ses attitudes comme pasteur, et non pas dans des interprétations tendancieuses et partielles que ne font qu’agrandir la division entre les Argentins.
Un fidèle argentin, toujours cité par Magister, tout en critiquant le ton de la lettre, écrivait:
L’association du Pape à des personnages liés à la dégradation culturelle et sociale, à la pratique délictuelle systématique et à des idéologies et des conduites contraires à l’identité nationale et à l’intégrité du bien commun (y compris de sa souveraineté) n’a pas été une invention des médias mais une conséquence naturelle des gestes, plus nets encore que ses paroles, du Souverain Pontife qui aime à jouer avec les ambigüités.
Implicitement visé mais pas le seul, un nommé Juan Grabois...
34 ans, fils d’un dirigeant historique péroniste, il a fondé le Movimiento de Trabajadores Excluidos et dirige aujourd’hui la Confederación de Trabajadores de la Economía Popular. Il est très proche de Bergoglio depuis 2005, à l’époque où celui qui était encore l’archevêque de Buenos Aires était à la tête de la conférence épiscopale argentine. Une fois devenu pape, François l’a nommé consulteur du Conseil pontifical «Justice et Paix».
L'archevêque argentin Victor Manuel Fernandez, un des plus proches conseillers du Pape, qui fut entre autre son ghost writer privilégié pour la rédaction d'Amoris Laetitia (cf. benoit-et-moi.fr/2017/actualite/al-la-note-de-bas-de-page-manquante), et qui est le premier à avoir révélé que François voulait des réformes irréversibles, répond à ces critiques et, au nom de la liberté d'expression (qui l'en blâmerait?), prend la défense des "encombrants amis de François" (dixit Sandro Magister) dans une tribune publiée dans le quotidien argentin le plus lu La Nacion, que Carlota a traduite pour nous.
Mais avec ce qui ressemble à de l'amnésie sélective, la liberté d'expression qu'il revendique est plutôt celle à réserver aux bons amis. Elle ne s'applique pas à ceux qui osent s'opposer à François (en le qualifiant "impunément" d'hérétique et de schismatique); pas non plus au cardinal Müller (dont on peut s'étonner, dit-il que le pape ne l'ait pas renvoyé!!?) et au cardinal Sarah (qui se permet de célébrer la messe dos au peuple!!).
Il va même jusqu'à affirmer, au mépris de l'évidence:
Une question s'impose, qui ne va pas plaire à l'intéressé: de qui est-il ici le porte-parole?
Précisons quand même que Mgr Fernandez est un récidiviste dans la provocation (voir par exemple benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/une-declaration-de-guerre)
Les interprétations erronées des messages du Pape
La Nacion (via es.noticias.yahoo.com)
14 janvier 2018
Traduction de Carlota
* * *
Une chose qu’on peut exiger de quiconque a reçu une formation supérieure, c’est que lorsque il écrit quelque chose qui pourrait affecter d’autres personnes, il ne se base pas sur de simples suppositions. C’est la raison pour laquelle le niveau atteint par les affirmations de journalistes sur le Pape - polluées par l’imagination, alors que tout est interprété comme si François pensait en permanence à Macri – [le nouveau président de centre droit]) retient l’attention. L’ego argentin est grand.
On l’a vu de façon exacerbée il y a quelques jours, dans la charge d’articles de journalistes, attribuant tous à François certaines intentions politiques. Si nous lisions ce fait avec la même imagination qu’eux, nous en déduirions qu’il y a un plan organisé de discrédit. Mais il vaut mieux y penser à froid et leur accorder le bénéfice du doute.
On croit souvent que tous ceux qui ont une fonction dans les institutions catholiques exécutent les ordres du Pape chaque fois qu'ils parlent. Mais ce n'est même pas le cas avec les cardinaux du Vatican, puisqu'ils continuent à penser et à parler comme ils le souhaitent, comme si François n'était pas pape.
Ne nous sommes-nous pas souvent demandés pourquoi le cardinal Müller n’a pas été renvoyé, lui qui ne cachait pas une pensée très différente et même le critiquait? Et regardons le Cardinal Sarah, qui continue à proposer de célébrer la messe dos au peuple.
On ne peut donc pas prétendre que ce que dit la pastorale sociale de Cordobà, qui pourrait parler même sans consulter l'évêque du lieu, devrait être tapé sur un ordinateur du Vatican. Pour la même raison, ils [les journalistes] devraient respecter Grabois, qui est un laïc adulte intelligent et peut avoir sa propre pensée sur les questions politiques et sociales, sans supposer qu'il répète ce que le Pape commande. En tant que citoyen libre, il peut donner n'importe quel avis sur le président ou l'opposition.
Il n’est pas réaliste de dire que quelqu'un, en tant que conseiller ou consultant auprès d'un bureau du Vatican, comme Justice et Paix, marque ou représente la pensée du Pape sur les questions sociales [mais le fait que ce soit le Pape qui ait choisi quelqu'un de ce bord politique a forcément un sens bien précis!].
Bon nombre de ces consultants ne sont jamais consultés et d'autres ne le sont que sur un thème en particulier: la traite des êtres humains, le trafic de drogues, etc. De plus, certains d'entre eux peuvent être en faveur de l'euthanasie ou de l'avortement dans certains cas, et ce n'est pas la ligne du Pape ou du Vatican. Alors permettez à Grabois de respecter du Pape, mais libérez-le du fardeau de le représenter.
Cela devient encore plus complexe dans les académies du Vatican, où l'on peut avoir une vision qui est l’opposée d’une autre. C'était le cas, par exemple, pour des questions comme les transgéniques, les cellules souches, etc. Sánchez Sorondo [archevêque argentin, président de l’académie des Sciences du Vatican considéré, par certains, responsable du courant antinataliste actuel au Vatican… et l’un des inspirateurs de Laudato sii] invite à son académie qui il veut, sans demander la permission du Pape ou des certificats de bonne conduite [!!]. Il leur donne une place dans son forum de discussion parce que, de par leur position, ils peuvent apporter quelque chose sur un sujet limité, et comme il a invité Macri, il a également invité Gils Carbó. Mais ici, certains disent mensongèrement que “le Pape a envoyé chercher Gils Carbó".
De nos jours, avec François, l'Église jouit d'une liberté d'expression sans précédent et il n'est pas nécessaire de penser à ce que le Pape dirait pour donner son opinion. Aujourd'hui, beaucoup de catholiques peuvent traiter de manière irresponsable François d’hérétique ou de schismatique, sans même demander des éclaircissements au Vatican. Il y a quelques années, nous recevions des sanctions sévères pour bien moins que cela.
En tout cas, toute opinion qui défend les droits des plus faibles pourra avoir des similitudes avec le message de François, qui parle toujours des blessures des plus fragiles. Il est improbable qu'il s’engage dans des revendications en faveur des grandes entreprises ou des pouvoirs concentrés, même si cela semble plus rationnel. Les puissants disposent déjà de ressources suffisantes pour défendre leurs intérêts et répandre leur vision de la réalité. Les faibles de ce monde ont déjà entendu bien des fois qu’il leur faut continuer à espérer [/attendre].
C'est dans la société civile que l'intolérance et de nouvelles formes de censure se sont développées [ah bon?!!!]. C'est pour cette raison que beaucoup choisissent de ne pas exprimer leur opinion sur des questions sociales graves, car donner son opinion, c’est s’exposer à une avalanche de disqualifications et de soupçons [!!!].
Ce n'est pas bon pour notre pays bien-aimé. Cela ne fera qu'appauvrir encore plus le débat public déjà limité, et il n' y aura pas de progrès économique qui remplacera la décadence culturelle et sociale.
Victor Manuel Fernandez
Recteur de l'Universidad Católica Argentina (UCA)
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