Le Grand Inquisiteur
Le récit prophétique de Dostoievski relu à la lumière de ce qui se passe aujourd'hui dans l'Eglise... et c'est troublant (13/4/2018)
Le grand inquisiteur (tableau de Ilya Glazounov)
Ilya Sergueïevitch Glazounov(1930- 2017), est un peintre russe, spécialisé dans les sujets historiques et religieux.
Voir ici: www.taringa.net
L'image "revisitée" par le site <Cronacas de papa Francisco>
Le Grand Inquisiteur (*) est un récit contenu dans le roman de Fiodor Dostoïevski Les Frères Karamazov.
Le récit commence lorsqu'Ivan Karamazov, l'un des personnages du roman, raconte à son frère Alexeï la confrontation entre Jésus-Christ et le cardinal Grand Inquisiteur. Le cardinal, qui a fait arrêter Jésus, projette de le mettre à mort et lui explique pourquoi :
Pour lui, Jésus et ses disciples sont des « gêneurs » qui n'ont rien compris au tragique de la condition humaine ;
Défendre l'idée selon laquelle « les humains sont attachés aux idées de Liberté et d'Amour du prochain » est une attitude bien naïve :
En réalité, ces idées sont au-dessus des forces de la quasi-totalité des êtres humains ;
À la limite, elles peuvent les pousser à des comportements ou des extrémités voisines de la folie ;
Lui, le Grand Inquisiteur et ses partisans au contraire, ont parfaitement compris les besoins et les attentes réelles de la société des Hommes ;
En conséquence, ils sauront trouver les voies « efficaces » du mystère, du miracle et de l'autorité qui mèneront l'humanité au bonheur.
(Wikipedia)
Le Grand Inquisiteur. Et si Dostoïevski avait raison?
cronicasdepapafrancisco.com
11 avril 2018
Ma traduction
* * *
Que se passe-t-il lorsque les hommes de l'Église veulent arracher l'Église des mains du Christ pour rendre le monde meilleur ?
Si le Christ revenait non pas dans la gloire mais dans la dissimulation, que lui arriverait-il? Le grand écrivain russe orthodoxe Fedor Dostoïevski (1821-1861) a tenté de répondre à cette question dans le récit Le Grand Inquisiteur, chapitre du roman Les Frères Karamazov.
Dostoïevski imagine que le Christ revient sur terre en Espagne à l'époque de la Sainte Inquisition, c'est-à-dire au XVIIe siècle. Bien qu'il se montre secrètement, il est quand même reconnu par le peuple, ainsi que par le chef de l'Inquisition espagnole, le Grand Inquisiteur.
Dostoïevski nous dit de lui que «c'est un vieillard de presque quatre-vingt-dix ans, grand et droit, avec le visage décharné et les yeux enfoncés, mais dans lesquels brille une étincelle de feu...» appartenant à l'ordre des... Jésuites! Au lieu de se prosterner et d'adorer le Seigneur, il ordonne son arrestation et qu'on l'emmène immédiatement au secret.
Dans la nuit, le Grand Inquisiteur se rend dans la cellule dans laquelle le Seigneur est enfermé et lui reproche d'être revenu pour perturber son projet de bonheur et de coexistence pacifique parmi les hommes.
C'est un long monologue, parce que le Christ ne répondra jamais à son accusateur.
En substance, le Grand Inquisiteur reproche au Christ d'avoir échoué, car lorsque les hommes crient qu'ils veulent la liberté, en réalité, ils revendiquent l'illusion qu'ils peuvent atteindre le bonheur sur cette terre.
En effet, ce vieil homme d'Eglise annonce au Seigneur rien de moins que «vouloir corriger ton oeuvre»! De quelle façon? En occultant la vérité, car il ne peut y avoir de liberté sans vérité.
C'est pourquoi, dit le Grand Inquisiteur, le Christ aurait dû transformer les pierres en pain, puisque tout ce que l'humanité a fait au cours des siècles a toujours eu pour but de trouver du pain terrestre, ignorant celui du Ciel.
«Et si, au nom du pain céleste, Tu attires à Toi des prosélytes par milliers et par dizaines de milliers, que deviendront ces millions, ces dizaines de millions, qui ne seront pas capables de mépriser le pain de la terre pour celui du ciel ? Ou bien n’aimes-Tu que les grands et les forts qui se comptent par dizaines de mille; et les autres, nombreux comme les sables de la mer, ces êtres faibles mais qui T’aiment, les regardes-Tu seulement comme des matériaux pour les grands et les forts?».
Pour cette raison, le Grand Inquisiteur essayera de donner aux hommes ce qu'ils veulent: le bien-être matériel. Ainsi, "son" Église gagnera leur "obéissance" aveugle.
Cette "Église", pourvoyeuse de biens matériels, donnera aux hommes l'illusion non seulement d'être heureux parce que leur ventre sera toujours plein, mais aussi d'être libres, puisque «...nous leur consentirons même le péché» - déclare le Grand Inquisiteur- , «parce qu'ils sont faibles et ineptes, et ils nous aimeront comme des enfants, parce que nous leur permettrons de pécher....».
En somme, le Grand Inquisiteur est un homme d'Église, mais athée, non pas parce qu'il ne croit pas à l'existence de Dieu, mais parce qu'il rejette le Christ et son Évangile. Il a créé un "Christ" et une "Église" à son image et à sa ressemblance.
Il a le complexe du "messie" : il se présente comme le vrai et unique Sauveur de l'humanité, non pas du péché et de la damnation éternelle, mais du joug trop lourd de l'Evangile lui-même. Et il fera cela Ad Majorem Dei gloriam!
A la fin du long monologue, le Grand Inquisiteur annonce la phrase de condamnation: «Demain, je te brûlerai». Mais le Christ se libère des chaînes, s'approche de son accusateur et a pour lui un geste de bienveillance, le laissant désamparé. Puis le Seigneur se dirige vers la porte. Le Grand Inquisiteur le regarde et, s'étant repris, crie : «Va t'en! Et ne reviens plus jamais!».
Le Christ, cependant, reviendra. «Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18,8). Une terrible question (rhétorique) que le Seigneur n'a pas posée au monde, mais à ses disciples.
(*) Annexe
Pour lire la parabole du Grand Inquisiteur: bibliotheque-russe-et-slave.com
Et voici la version cinématographique: un extrait (sous-titré en français) d’une série russe inspirée de l’œuvre de Dostoïevski, réaliséee par Yuriy Moroz en 2009.
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