Une Eglise de "taifas" (*)
Le Père Jorge González Guadalix (alias notre "curé madrilène") est de retour. Cette fois, il enquête sur les raisons qui font que l'Eglise n'est plus prise au sérieux par les fidèles - si tant est qu'on puisse encore les appeler ainsi… Et la faute en remonte très haut dans la hérarchie (11/11/2018)
Carlota
Aujourd’hui le Père Jorge González Guadalix, qui n’est plus prêtre dans une périphérie urbaine de la capitale espagnole, mais dans une zone rurale, toujours dans le diocèse de Madrid, parle d’expérience de ce que pensent les gens du chaos dans l’Église d’aujourd’hui. Il n’y va pas par quatre chemins pour pointer les problèmes.
Personne ne va prendre au sérieux une Église de «taifas»
Père Jorge González Guadalix
www.infocatolica.com
8 novembre 2018
Traduction de Carlota
* * *
Personne ne va prendre au sérieux une Église de « taifas » (1). Je n’ai pas l’habitude de revenir sur des choses déjà écrites. Mais aujourd’hui je vais faire une exception parce que j’ai parlé hier à un collègue curé et le sujet est ressorti.
Depuis un certain temps, nous sommes en train de faire les choses à l’envers. Mes compagnons prêtres sont des travailleurs. De grands travailleurs en général, si l’on exclut des exceptions, qui sont récupérables. Une grande majorité de prêtres passent leur journée à faire plein de choses : des messes, des rencontres, des réunions, des groupes, de la paperasse, encore des réunions, une formation. Je n’appelle pas au téléphone un collègue curé avant les dix heures du soir. Même se retrouver pour manger ensemble n’est pas facile.
Donc, nous nous agitons beaucoup, mais les résultats de la pastorale tendent vers zéro. Un chiffre encore, le nombre de mariages à l’Église en Espagne représente moins de 30% du total (2). Il est en train de se passer quelque chose, et quelque chose d’une énorme gravité.
Et pourtant nous travaillons, nous nous bougeons, un bon nombre d’enfants et de jeunes passent entre nos mains. Que se passe-t-il donc?
À mon point de vue, le problème de fond est celui d’avoir transformé notre Église en un royaume de « taifas » dans lequel il y a de la place pour absolument tout en matière de dogme, de morale et de liturgie (3). Qui va faire confiance à une institution dans laquelle, selon l'endroit où vous allez, non seulement les choses sont différentes, mais peuvent même être contradictoires? Non. Il n'est pas nécessaire de se rendre dans un autre diocèse, il suffit de demander la confession dans une demi-douzaine de paroisses et le problème apparaît clairement. Dans l'une il n'y aura pas de confessionnal, dans une autre le prêtre n'aura pas le temps, dans celle-là si ce que vous dites n'est ni péché ni rien faites ce que vous voulez, dans une autre c’est un péché mortel et dans une autre encore, se confesser n'a aucun sens.
On peut aussi faire l’effort d’aller à la messe dominicale en changeant d’église pour trouver des célébrations avec ou sans chasuble, avec un lavabo (4) si on a de la chance, des rubriques correctes ou une liturgie alternative. Des paroisses dans lesquelles peut-être les quarante heures ont été mises en place, tout comme un groupe de tai-chi (5), un autre de yoga, et un autre supplémentaire pour entretenir sa mémoire.
En ce qui concerne la théologie, mieux vaut en rester là. Le Christ est Dieu, ou il n’est pas Dieu, ou il est prophète, ou allez savoir. La résurrection est, ou elle n’est pas, ou il s’agit d’une expérience, ou il est vivant dans nos cœurs. Et pour l’eucharistie, cessons d’utiliser le mot transsubstantiation qu’on ne comprend pas.
Résultat, les gens disent: c’est de la rigolade tout cela et ils ne se mettent même pas d’accord entre eux. Il n’y a qu’à voir, chaque curé fait ce qu’il veut, il s’occupe de ce qui lui semble et comme cela lui semble, il a ses idées et tout se vaut. Ou plutôt, tout est valable surtout si c’est nouveau et si c’est destructeur, les partisans de ce qui s’est fait depuis toujours, doivent faire bien attention. Eh bien, messieurs-dames, c’est ainsi, face à ce manque de sérieux de grande dimension, les gens donc, cessent de nous prendre au sérieux, logique, et c’est du propre, net et sans bavure.
Se confesser? Bof, au vu de ce qui est mal et de ce qui ne l’est pas, et si les curés ne confessent pas, ce ne sera pas si important que cela. Aller à la messe? Si on peut communier? À chaque fois qu’on en a envie. L’Enfer n’existe pas. Dieu est bon, tous pareillement au ciel et Luther un saint. Toute notre vie on nous a dit la douleur de la division protestante et maintenant il n’y a qu’à voir, c’est Luther santo subito.
La faute? Non, on ne la rejette pas seulement sur nous, les curés, - je ne dis pas que nous sommes parfaits. La faute, [elle est] plus haut. On se comprend, je crois.
(*) NDT
(1) En vo “una Iglesia de taifas”. Taifa vient de l’arabe classique correspondant à faction. Au niveau historique c’était le nom donné aux petits royaumes que s’étaient taillés, au XIème siècle, des chefs de guerre musulmans qui y faisaient leur loi, sur les décombres du Califat de Cordoue qui, à son apogée, allait jusqu’à Nîmes. Le mot a été conservé en espagnol, pour faire référence à cette période de l’histoire, mais aussi pour traduire l’idée de bande, de parti, de faction, voire de groupe de voyous, de canailles. Les lecteurs choisiront la traduction qui leur convient !
(2) Pourcentage plus ou moins identique en France, mais qui est plus saisissant en Espagne où la pratique religieuse des catholiques et le pourcentage des baptisés étaient restés plus importants qu’en France, jusqu’à ces dernières années.
(3) Et encore l’auteur est indulgent ou retient son cri de souffrance et de révolte, car malheureusement c’est pour l’Église de toujours qu’il semble qu’il n’y a plus de place…
(4) Du latin « Lavabo inter innocentes manus meas et circumdabo altare tuum Domine/Je laverai mes mains en signe d’innocence pour approcher de ton autel, Seigneur » : paroles que prononce le prêtre alors qu’il se lave les mains avant la consécration. Cette formule et cette pratique sont restées dans la forme traditionnelle du rite latin (aujourd’hui dite extraordinaire) mais semble-t-il devenues accessoires pour certains prêtres du rite ordinaire.
(5) Tai-chi : art martial chinois ; et yoga, évidemment pas vraiment compatible avec le catholicisme. Nous en avions déjà parlé (ici: benoit-et-moi.fr/2012..).
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