Chez les clarisses d'Albano
Visite de Benoît XVI le 19 mars 2017. Récit, photos et homélie. Le tout, sublime! (19/1/2018)
Une lectrice m'envoie le lien vers cet article publié sur le site des Clarisses d'Albano.
Le 19 mars 2017, en la fête liturgique de son saint Patron, Saint Joseph, Benoît XVI se rendait chez ses chères amies les Clarisses d'Albano, qu'il avait déjà rencontrées au moins deux fois (ici le récit de la visite qu'il avait faite en 2015: benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/un-grand-don-se-partage).
Les religieuses ont eu la merveilleuse idée, non seulement de publier cette fois encore le récit de la visite, accompagné de splendides photos [cliquez sur les vignettes pour les voir en général en très grand format sur leur site], mais surtout, elles ont transcrit l'homélie que le Saint-Père a prononcée lors des vêpres. Un concentré de sagesse et de foi profonde, comme une prière, dans un langage simple, où il rend hommage à la figure de saint Joseph.
En ce qui concerne la traduction, il faut préciser que l'italien (comme l'allemand) utilise souvent les verbes comme substantif, et c'est une des carctéristiques du style de Benoît XVI. Une forme qu'il est malaisé de traduire en français sans trahir les intentions de l'auteur. Par exemple "l'être humain" n'a pas le même sens qu'en français, mais plutôt celui de "le fait d'être homme". Chaque fois que j'ai pu, j'ai donc utilisé des caractères italiques pour signaler cette particularité.
Original ici: www.clarissealbano.it
Visite de Benoit XVI, 19 mars 2017
HUMBLES POUR REFLÉTER LA BEAUTÉ DE DIEU
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Tandis que le Pape Benoît franchit le seuil du monastère, nous l'attendons dans le Chœur, l'oreille tendue vers la porte, pour percevoir l'écho silencieux de ses pas. Alors qu'il s'approche lentement, les paroles prononcées par lui à quelques centaines de mètres d'ici, dans la loggia centrale du Palais Apostolique de Castel Gandolfo, dans ce qui allait passer à l'histoire comme "l'adieu du Pape Benoît XVI", refont surface du fond de la mémoire du cœur. Ce jour-là, avec des mots simples et sobres, il avait dit: «Je suis simplement un pèlerin qui entame la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre». Avec ces sentiments, Sa Sainteté Benoît XVI franchissait le seuil du silence, au-delà duquel il continuerait à «travailler pour le bien commun et le bien de l'Eglise et de l'humanité - comme il l'avait souligné - avec mon cœur, mon amour, ma prière, ma réflexion, ma force intérieure». Et voici qu'aujourd'hui, en pèlerin, le Pape Benoît XVI fait de nouveau une étape dans notre monastère.
C'est le troisième dimanche du Carême, la liturgie divine nous donne la clé de lecture pour interpréter l'événement. Ce matin, l'Evangile proclamé dans la célébration eucharistique nous parlait d'un autre «pèlerin», nous révélant le dialogue surprenant entre Jésus et la femme de Samarie près du puits. Une scène semblable réapparaît maintenant dans nos yeux: Benoît avance lentement et s'assoit au centre de notre Chœur. Il a la beauté d'un marié modeste, vêtu de lumière, dans le blanc du vêtement qu'il porte; la transparence de l'eau «sacerdotale, humble et chaste».
Accompagné de son secrétaire personnel, Mgr Georg Gänswein et des quatre Memores, il nous regarde, nous sourit et nous salue avec le «Pace e bene» franciscain, comme pour dire qu'il se sent vraiment chez lui! Benoît commence par un salut qu'il nous adresse avec ces mots: «Chères sœurs, c'est une grande joie d'être avec vous aujourd'hui, fête de saint Joseph, en ce troisième dimanche du Carême».
Les vêpres commencent. Le calendrier liturgique de l'Église d'aujourd'hui, 19 mars 2017, jour de la fête de Joseph-Benoît, nous offre les deuxièmes vêpres du troisième dimanche de Carême. Au centre de la réflexion du Pape Benoît XVI se trouve une courte lecture, tirée de la Première Lettre de Saint Paul l'Apôtre aux Corinthiens (1 Cor 9, 24-24): «Vous savez bien que, dans le stade, tous les coureurs participent à la course, mais un seul reçoit le prix. Alors, vous, courez de manière à gagner. Tous les athlètes à l’entraînement s’imposent une discipline sévère; ils le font pour recevoir une couronne de laurier qui va se faner, et nous, pour une couronne qui ne se fane pas».
LES JEUX OLYMPIQUES DE LA VIE
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«Saint Paul parle des Olympiades, donnant ainsi sens et direction à sa propre vie et à la nôtre. Les Olympiades étaient pour la Grèce un événementau-dessus de tous les autres, ils existaient depuis plus de mille ans. Toute la chronologie grecque était basée sur les Olympiades, et nous pouvons donc deviner ce qu'était pour eux un "vainqueur" aux Olympiades. Et Paul nous dit ici: "Vous savez les renoncements, toute la discipline, toute la vie qui conduisent vers cette victoire..."».
Le discours continue et son parler se fait plus profond, nous interpelant existentiellement:
«Mais nous tous pouvons penser à une plus grande victoire, qui dure pour l'éternité. La vie, dit-on, est une Olympiade et nous nous exerçons pour cet objectif. Nous devons penser.... Si pour les athlètes toutes les renonciations ont du sens, parce qu'ils veulent gagner et qu'en fin de compte cette victoire est une chose qui passe très vite, nous, au contraire, nous voulons gagner une victoire éternelle: les Olympiades de la vie! Comment ne pas entendre dans l'expression de saint Paul, qui nous invite à courir pour gagner le prix éternel, l'écho des paroles de Claire d'Assise quand elle parle d'une course à entreprendre pour gagner l'éternel prix et invite Agnès de Prague à garder son regard fixé sur le but, sans donner un poids aux obstacles, en avançant «d'une course rapide, d'un pas léger, sans trébucher, de sorte que tes pas ne recueillent même pas la poussière».
LA VICTOIRE DE L'ÊTRE HOMME
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«Alors que nous nous engageons facilement pour des choses visibles, nous ne pensons pas aux Olympiades essentielles de notre vie, mais nous ne pensons pas que nous devons remporter la victoire de l'être homme», que nous avons une «victoire» à remporter.
Ses paroles nous rappellent immédiatement le sens profond, la dignité qui appartient à l'être homme.
C'est un but auquel nous ne sommes presque pas préparés: «C'est donc l'idée essentielle de saint Paul. Ce sont les vraies Olympiades, c'est l'école pour l'être homme: apprendre à être homme, être à l'image de Dieu. Et cette victoire mérite tout le temps, toute la force: à la fin j'ai appris à être homme, à la fin j'ai appris à être image de Dieu». La victoire chrétienne est une école de sagesse fondée sur l'humilité comme vertu propre de la condition de créatures aimées de Dieu, créées à son image et ressemblance.
HUMBLES POUR REFLÉTER LA BEAUTÉ DE DIEU
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Nous arrivons à ce grand passage, nous arrivons au grand but qui nous attend, dit Benoît, «sans être mûrs, nous arrivons en étant humbles, enfants et à l'image de Dieu». L'humilité est donc de laisser Dieu être lui-même en nous, afin que son image, l'image de Dieu qui habite en nous, brille à l'extérieur.
S'adressant ensuite directement à nous, le Pape Benoît XVI nous dit: «Vous, chères sœurs, êtes ici dans un monastère, pour être en chemin vers cette victoire, vers l'école de l'être à l'image de Dieu et de cela nous vous remercions tous du fond du cœur».
Benoît XVI poursuit sa réflexion en répondant à une question: comment apprendre à être enfants de Dieu et «hommes» selon son image? Et c'est la figure de saint Joseph qui nous en donne un exemple concret: «C'est un grand vainqueur, il a su vivre, il a su apprendre l'essentiel, le fait d'être personne humaine, d'être image de Dieu». Et il met l'accent sur trois aspects de la figure de Joseph.
Premièrement. Saint Joseph était avant tout un homme pieux, un homme de foi et d'amour, un homme observant. Nous savons d'après les Ecritures, qu'il était évident dans sa famille d'aller tous les samedis à la synagogue pour méditer ensemble, pour apprendre la Parole de Dieu. Ils allaient ensemble aux fêtes. Nous savons comment déjà ils sont allés à la fête de Pâques avec Jésus, à l'âge de douze ans».
L'Ecriture Sainte nous dit que chaque famille, appartenant au peuple d'Israël et donc aussi la famille de Joseph, fréquentait la synagogue tous les samedis, apprenant ainsi à connaître la Parole de Dieu. Joseph «était réellement un homme qui a vécu la vie des fidèles d'Israël, à lui aussi la Parole de Dieu était familière. Et nous savons aussi que ce n'était pas seulement une observance formelle: il allait beaucoup plus loin parce que réellement, dans la liturgie, en écoutant la Parole de Dieu, il avait connu Dieu personnellement».
Connaître Dieu personnellement.... Benoît ouvre ici un aperçu qui permet d'entrevoir la profondeur de l'horizon de Dieu. Nous savons, en effet, que la foi et la foi seule, est capable de nous révéler la connaissance personnelle de Dieu, la vraie connaissance. Foi est le grand mot qui a imprégné, depuis sa naissance, la vie de Joseph, comme celle de Joseph-Benoît. Foi est le grand mot qui, de façon surprenante a marqué le tournant de son pontificat. «Ce n'est que parce qu'il le connaissait personnellement que saint Joseph pouvait être sûr que l'ange parlait vraiment au nom de Dieu. Ce n'est que parce qu'il connaissait le grand "tonnerre", la mélodie de la Parole de Dieu, qu'il a pu la reconnaître dans ces moments décisifs et y répondre de manière appropriée».
«Un deuxième élément. Saint Joseph, qui est un homme de Dieu, un homme observant, un homme pieux, est aussi un homme compétent, courageux, actif. Il savait décider. Nous pouvons voir tant de décisions graves: aller à Bethléem, en Égypte et finalement revenir à Nazareth. Un homme de décisions claires, de courage; un homme de Dieu précisément en étant vraiment présent y compris dans les problèmes de cette vie».
Troisième point. Saint Joseph, comme nous le savons tous, était un homme humble. Un homme qui n'a pas vécu pour apparaître, mais pour servir: ne pas paraître, mais être. Saint Joseph était un homme d'humilité et donc un homme de courage, parce que "humilité" n'est pas "faiblesse": au contraire, l'humilité est le courage de vivre pour la vérité et non pour l'apparence».
L'art à apprendre dans cette vie n'est donc pas, comme le monde le croit et veut souvent le faire croire, celui d'être invincible et parfait, mais simplement celui d'être ce que nous sommes: faibles, fragiles et, précisément pour cette raison, profondément vrais en Dieu, «humbles» parce que nous sommes conscients de notre faiblesse et de notre pauvreté, mais resplendissants de Sa gloire. Souvent, inconsciemment, nous pensons à l'humilité comme à une vertu à acquérir, finissant par la faire presque ressembler à un "revêtement", un manteau qu'on peut acquérir au prix d'engagement et d'effort de notre part, alors que l'œuvre de Dieu qui nous ramène chaque jour à notre humus vital est, au contraire, d'abord et avant tout, une façon de se laisser faire et défaire par les événements.
Il a alors terminé sa réflexion ainsi. «La discrétion, le silence de saint Joseph était si fort que, humble en Dieu, il n'a pas été découvert dans la piété et la théologie de l'Église, bien que son message dans l'Écriture soit très grand. Mais son humilité et son silence sont si forts que c'est seulement après mille ans d'humilité et de non-apparence quel'Église a découvert cette belle figure. Saint Joseph, prie pour nous!».
«JE SAIS QUE VOUS ÊTES TOUJOURS AVEC MOI DANS LA PRIÈRE, COMME JE VOUS SUIS UNI».
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La prière des vêpres a été suivie d'un moment de partage fraternel dans la salle communautaire.
En plus des Memores, il y avait aussi notre évêque Marcello et Mgr Georg [le secrétaire] qui, par sa présence fraternelle et sa gentillesse sincère, ont contribué à créer une atmosphère familiale.
Le Pape Benoît a exprimé ainsi sa joie pour cette rencontre: «Chères sœurs, c'est une grande joie pour moi de venir ici, et d'être encore une fois avec vous dans cette atmosphère de joie spirituelle dans la foi, dans la communion, dans la joie des enfants de Dieu. Je sais que vous êtes toujours avec moi dans la prière, comme je vous suis uni».
A la fin de la rencontre, chacune d'entre nous a pu saluer personnellement Sa Sainteté Benoît XVI, lui exprimant un mot de gratitude et d'affection.
Au cours de ces années, nous avons eu la joie d'avoir le Pape Benoît XVI parmi nous à deux autres occasions: lors de la messe In Cœna Domini du Jeudi Saint 2013, quelques jours après son renoncement au ministère pétrinien, et le 10 juillet 2015. Ce qui nous a le plus touchées, avec la douceur de sa personne, sa joie contagieuse, c'est la limpide transparence de ses yeux "illuminés" d'Éternité, capables d'émerveillement et de gratitude. Son regard profond, contemplatif , capable de voir l'invisible dans la vie et l'histoire.
Avant de nous saluer avec un «À bientôt!», Mère Maria Concetta lui a offert le cadeau préparé par nos sœurs: une croix en bois d'olivier représentant Jésus crucifié avec saint François et sainte Claire en adoration à ses pieds.
Atteintes par tant de Grâce, nous ne pouvons que louer le Donateur de chaque bien pour les nombreux bienfaits dont il nous a comblés. Nous reprenons notre chemin en gardant le regard fixé sur le but, afin de mener le "bon combat" et ainsi remporter la victoire: faire briller notre humanité dans sa plénitude et laisser ainsi briller l'image de Dieu qui vit en nous.
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