Le théologien Benoît XVI toujours actif
... et toujours percutant - et c'est la bonne nouvelle. Un essai sur le dialogue judéo-catholique, qu'il a écrit fin 2017 et qui est aujourd'hui publié dans la revue Communio crée la polémique (certains parlent de bombe!!), notamment dans certains milieux juifs. (16/8/2018)
>>> Le texte de l'essai de Benoît XVI est disponible en allemand ici: www.communio.de
Pour le moment, nous devons nous contenter d'extraits distillés au compte-gouttes par la presse. Seule la lecture du texte complet pourra permettre de vérifier que les extraits choisis ne sont pas grossis exagérément, cités hors-contexte, voire déformés.
Mois d'août oblige, sans doute, mais curieusement, l'article de Benoît XVI (qui en réalité est daté du mois d'octobre 2017, et qui ne paraît qu'aujourd'hui dans Communio) a reçu peu d'écho dans les médias;
J'ai choisi de traduire, en plus de la réflexion de Marco Tosatti, que j'avais lue en premier, cet article de Il Giornale, un quotidien moins partisan que d'autres, qui tout en reprenant à peu près les mêmes éléments me paraît fournir un aperçu équilibré.
Force est de constater que ses ennemis ne désarment pas (voir par exemple le ton de l'article publié sur le site de La Vie)
Benoît XVI repris pour son nouvel article sur le dialogue judéo-catholique
Matteo Orlando
14 août 2018
www.ilgiornale.it
Ma traduction
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Plusieurs rabbins germanophones et théologiens chrétiens critiquent âprement Benoît XVI.
Le rabbin Homolka: «Il encourage un nouvel antisémitisme sur bases chrétiennes»
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Plusieurs rabbins germanophones et théologiens chrétiens ont brutalement critiqué le pape Benoît XVI pour son récent article sur le dialogue judéo-chrétien qui paraît dans le dernier numéro de la revue internationale Communio.
Il s'agit d'un instrument de formation théologique que Joseph Ratzinger lui-même avait co-fondé en 1972 avec deux importants théologiens de l'époque, Hans Urs von Balthasar et Henri de Lubac.
L'article de 20 pages, publié dans l'édition allemande du numéro de juillet-août de Communio, est daté du 26 octobre 2017 et signé «Joseph Ratzinger-Benoît XVI».
À l'origine, il a été écrit comme une réflexion sur le 50e anniversaire du document du Concile Vatican II Nostra Aetate, la déclaration de 1965 sur les rapports de l'Église avec les religions non chrétiennes, et devait servir d'instrument de formation à usage interne pour le dicastère pontifical dirigé par le cardinal Kurt Koch, qui est président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens et de la Commission pour les Relations Religieuses avec les juifs.
Après que le cardinal suisse ait demandé à Benoît XVI l'autorisation de le publier, sa diffusion dans Communio sous le titre «Gnade und berufung ohne reue» (qui serait la traduction en allemand du passage biblique de l'épître aux Romains 11:29: «Les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables») et le sous-titre «Anmerkungen zum Traktat De Iudaeis» («Commentaires sur le Traité De Iudaeis») a immédiatement engendré des polémiques.
Un rabbin, Walter Homolka, recteur du collège Abraham Geiger de Potsdam, a accusé Benoît XVI, à travers une interview accordée à l'hebdomadaire allemand Die Zeit, d'encourager «un nouvel antisémitisme sur bases chrétiennes», tandis que le Grand Rabbin de Vienne Arie Folger a affirmé au Jüdische Allgemeine, le plus grand quotidien juif d'Allemagne, qu'il est «problématique» que le précédent pape insiste sur une approche christologique de l'Ancien Testament.
Michael Bohnke, professeur de théologie systématique à l'Université de Wuppertal, a soutenu qu'«après Auschwitz, je ne me serais jamais attendu à lire quelque chose de semblable de la part d'un théologien allemand».
Mais qu'a pu écrire le doux pape émérite d'aussi choquant?
«Après l'avoir examiné très attentivement.... je suis arrivé à la conclusion que les réflexions théologiques contenues devaient être introduites dans le futur dialogue entre l'Eglise et Israël», écrivait Koch, tandis que Jan-Heiner Tück, éditeur de l'édition allemande de Communio, affirmait que le texte de Benoît XVI est «remarquable pour diverses raisons» et, dans une interview à Kathpress, a dit que le Pape François «a, pour ainsi dire, une seconde voix» à ses côtés, en particulier quand pape actuel a parlé des relations judéo-chrétiennes dans Evangelii gaudium et en d'autres occasions.
Tück a dit que l'article de Benetto XVI fournit «une nourriture explosive pour la pensée» et devrait être affronté «avec bienveillance».
L'ex-pape traite principalement de deux questions: la théorie de la substitution et l'expression du «pacte jamais révoqué». «Les deux thèses - qu'Israël n'a pas été remplacé par l'Église et que l'ancienne alliance n'a jamais été révoquée - sont correctes sur le fond, mais à bien des égards, elles sont imprécises et doivent faire l'objet d'un examen critique plus approfondi», écrit Benoît XVI.
Le 17 novembre 1980, à Mayence (Allemagne), Saint Jean Paul II avait affirmé que l'Ancienne Alliance n'avait jamais été révoquée et reste valable.
Benoît XVI démontre que ce n'est pas Dieu qui rompt l'alliance, mais le peuple qui viole l'alliance avec Dieu. La ré-institution de l'Alliance du Sinaï dans la Nouvelle Alliance dans le Sang de Jésus, «dans Son amour qui vainc la mort, confère à l'Alliance une forme nouvelle et valable pour toujours».
Cette déclaration semble un retour à une vision catholique orientée vers la conversion au christianisme des fidèles des religions non chrétiennes. «Le parcours tout entier de Dieu avec son peuple trouve enfin sa somme et sa forme finale dans la Dernière Cène de Jésus-Christ, qui anticipe et contient la Croix et la Résurrection», ajoute le Pape émérite.
Pour Benoît XVI, il n'y a pas vraiment de remplacement, mais un «voyage» qui conduit «à une seule réalité, avec la nécessaire disparition du sacrifice des animaux», pratiquée dans l'Ancienne Alliance, «qui est remplacée par l'Eucharistie».
Benoît XVI réfléchit également sur les différences entre les compréhensions juives et chrétiennes du Messie et la fondation d'Israël comme État.
La fondation d'Israël est une conséquence de la Shoah et un événement purement politique, dit-il, ajoutant qu'elle n'a aucune signification théologique et ne fait pas partie de l'histoire de la rédemption. L'Église catholique n'est pas d'accord avec le projet sioniste d'une «institution à fondement théologique» dans le sens d'un «nouveau messianisme politique», d'un «État confessionnel juif» qui se comprend lui-même comme l'accomplissement des promesses divines.
L'estocade fianale de Benoît XVI vient avec le rappel du chapitre 2 de la Lettre à Timothée, versets 12-13 : Si nous persévérons avec le Christ, «nous régnerons avec lui ; si nous le renions, lui aussi nous reniera; si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, parce qu'il ne peut se renier lui-même».
En somme, Benoît XVI voit dans la question de la messianité de Jésus «le vrai problème entre juifs et chrétiens». En Jésus-Christ et dans son sang (Eucharistie), le peuple du Sinaï a été «transformé» en une alliance nouvelle et éternelle; ceci est également lié à la destruction du temple quelques années après la crucifixion de Jésus.
La formule «alliance jamais annulée» peut avoir été utile dans le passé, mais à long terme, elle ne convient pas «pour exprimer la grandeur de la réalité d'une manière raisonnablement appropriée».
La Conférence rabbinique orthodoxe d'Allemagne a envoyé une lettre ouverte au cardinal Koch le 2 août pour clarifier «si l'Eglise catholique peut apprécier le judaïsme contemporain» et comment "cette appréciation s'exprime théologiquement».
La Conférence internationale des communautés confessantes [protestants], le 5 août, a au contraire accueilli «avec une grande gratitude» les paroles de Benoît XVI comme une «clarification encourageante», qui a été significative pour les chrétiens protestants alors qu'elle était «faussement dépeinte dans la presse comme anti-juive».
Les chrétiens, les juifs et l'histoire, conversion et substitution, la bombe de Benoît XVI
Marco Tosatti
14 août 2018
www.marcotosatti.com
Ma traduction
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Une réflexion - sous la forme d'un essai - de Benoît XVI fait des remous dans les relations toujours délicates entre chrétiens et juifs.
Objet du débat, de la polémique, même, un texte de vingt pages que le Cardinal Kurt Koch, responsable du dialogue avec les "Frères aînés", a demandé à Joseph Ratzinger. Il devait être destiné à l'usage interne pour le dicastère dirigé par Koch ; mais le cardinal lui-même a ensuite demanda à Benoît l'autorisation de le publier dans la revue théologique "Communio". Le théologien a donné son accord, et les immédiatement problèmes ont surgi.
Benoît XVI demande que soit approfondie la réflexion sur certains aspects de ce qui est devenu l'attitude mainstream de l'Église envers le judaïsme, le salut et la nécessité - ou non - d'une conversion pour se sauver. «Les deux thèses - à savoir qu'Israël n'a pas été remplacé par l'Église et que l'ancienne alliance n'a jamais été révoquée - sont vraies sur le fond, mais sont sous beaucoup d"aspects imprécises et doivent faire l'objet d'un examen critique plus approfondi».
Le 17 novembre 1980, Jean-Paul II affirmait à Mayence, en Allemagne, que l'ancienne alliance n'avait jamais été révoquée et reste encore valide. De cette déclaration, on a déduit qu'elle implique que le peuple juif, avec sa religion, dans des différentes formes avec lesquelles elle est pratiquée est encore en plein accord avec Dieu. Par la suite, ces déclarations ont été incluses dans le Catéchisme de l'Église catholique de 1992 (n.121). Benoît XVI, dans son essai sur l'Ancienne Alliance, affirme que cela «fait, dans un certain sens, partie de la figure actuelle de l'enseignement ("Lehrgestalt") de l'Église catholique».
Dans sa réflexion, le Pape Benoît XVI essaie de montrer que ce n'est jamais Dieu qui met fin à une alliance, mais plutôt que le peuple de Dieu, l'humanité, viole et rompt souvent l'alliance avec Dieu. En ce sens, nous avons plusieurs exemples d'alliances - avec Noé, Moïse, David - qui ont toutes été brisées par les hommes. Dans ce contexte, Benoît se réfère aussi à la lettre de saint Paul aux Hébreux, dans laquelle saint Paul mentionne les précédentes alliances de l'Ancien Testament, «toutes celles qu'il [saint Paul] résume sous le mot-clé "première alliance" qui aujourd'hui a été remplacé par la dernière "nouvelle" alliance». Le pape poursuit en disant: «En fait, une partie de la véritable histoire des relations de Dieu avec Israël est la rupture de l'alliance par l'homme, dont la première forme est décrite dans le livre de l'Exode».
Le point problématique, ou l'un des points problématiques de la lecture actuelle dans l'Église réside là où Benoît XVI souligne que la Nouvelle Alliance est «validee pour toujours» à cause du sang du Christ. Benoît XVI dit : «Le rétablissement de l'Alliance du Sinaï dans la Nouvelle Alliance dans le Sang de Jésus - c'est-à-dire dans Son amour qui vainc la mort - confère à l'Alliance une forme nouvelle et à jamais valide».
De cette déclaration, on peut logiquement déduire que l'ancienne alliance a été transformée en nouvelle alliance et que cette nouvelle alliance est valide pour toujours parce qu'elle a été acquise avec le sang du Christ.
Pour certains observateurs, cette déclaration semblait être un retour à une vision catholique orientée de manière traditionnelle. Après le Concile Vatican II et la Déclaration "Nostrae Aetate" sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes, on ne parlait pa de conversion - thème épineux, à la lumière des siècles précédents -, on encourageait les «dialogues fraternels» avec les juifs. La mission juive fut effectivement abandonnée par la suite, puisqu'à présent, les Juifs avaient apparemment leur chemin de salut. En 2015, 50 ans après la promulgation de Nostrae Aetate, le Vatican a affirmé: «Concrètement, cela signifie que l'Église catholique ne conduit ni ne soutient aucun travail de mission institutionnelle spécifique adressé aux juifs».
Le Pape Benoît XVI écrit encore: «L'entier parrours de Dieu avec son peuple trouve finalement sa somme et sa forme finale dans la Dernière Cène de Jésus-Christ, qui anticipe et contient la Croix et la Résurrection». Avec une référence à Jérémie, 31, qui préfigure une nouvelle alliance dans l'Ancien Testament, Benoît explique: «L'alliance du Sinaï était déjà dans son essence une promesse, une approche vers le définitif et le concluant. Après toutes les destructions, c'est l'amour de Dieu qui atteint même la mort de son Fils, et qui est par elle-même la Nouvelle Alliance».
Beneoît tente de redéfinir la discussion sur la théorie de la substitution ainsi:
«Donc, en fait, il n'y a pas vraiment de "substitution", mais un cheminement qui conduit enfin à une seule réalité, avec la nécessaire disparition du sacrifice des animaux [de l'Ancienne Alliance] qui est remplacé ("substitution") par l'Eucharistie».
Benoît rappelle ensuite que l'Église n'est pas d'accord avec le projet sioniste d'un "établissement théologiquement fondé ("Landnahme") dans le sens d'un nouveau messianisme politique». Tout en reconnaissant politiquement l'Etat d'Israël en tant que tel, le Vatican a rejeté l'idée d'un «Etat théologiquement fondé, un Etat confessionnel juif» qui se comprend lui-même comme l'accomplissement des promesses divines.
Et le dernier point délicat concerne le lien théologique entre ruptures de l'Alliance, destruction du Temple de Jérusalem et dispersion des juifs dans la diaspora: «Mais une partie de l'histoire des alliances entre Dieu et l'homme est aussi un échec humain, la violation de l'Alliance et ses conséquences internes: la destruction du Temple, la dispersion d'Israël, l'appel à la pénitence qui permet et prépare à nouveau l'homme à l'Alliance. L'amour de Dieu ne peut tout simplement pas ignorer le "non" de l'homme». Enfin, Benoît XVI propose de rappeler, dans la discussion théologique sur ce sujet, une phrase de la Deuxième Lettre à Timothée: «Si nous supportons, nous régnerons aussi avec lui. Si nous le renions, il nous reniera; si nous sommes sans foi, il reste fidèle, parce qu'il ne peut se renier lui-même».
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