Rapportée par AM Valli, l’histoire très singulière d’un curé de paroisse à la « don Camillo » qui, le 3 mars 2013, a brûlé l’image de Benoît XVI au cours de la messe. Un geste épouvantable, bien sûr. Alors pourquoi AMV se livre-t-il à une sorte de plaidoyer? Et pourquoi n’a-t-on pas envie de condammner son auteur sans nuance, mais plutôt de lui trouver des circonstances atténuantes? (16/7/2019)



Histoire du curé de paroisse qui a brûlé la photo du pape (et l’a fait par amour)

Aldo Maria Valli
15 juillet 2019
Ma traduction


Quiconque connaît Duc in altum sait qu’il n’y a pas beaucoup de place ici pour les conformistes et les alignés. En fait, il n’y a pas de place du tout. Ici, vous trouvez plutôt des non-conformistes, des non alignés, des atypiques et des sans préjugés d’aucune sorte. Des gens qui aiment penser avec leur propre tête, même au prix de se retrouver marginalisés et rejetés par les « hommes justes à l’endroit juste » (du nom d’une rubrique du site).

Vous me demanderez: où voulez-vous en venir? Eh bien je veux en venir à don Andrea Maggi.

Et qui est don Andrea Maggi?

Certains s’en souviendront peut-être. Nous sommes en 2013. Le 11 février, Benoît XVI prononce la déclaration historique dans laquelle il communique aux cardinaux sa décision de renoncer au pontificat («Après avoir examiné ma conscience devant Dieu à plusieurs reprises, je suis arrivé à la certitude que mes forces, à cause de mon âge avancé, ne sont plus adaptées pour exercer adéquatement le ministère pétrinien») et moins d’un mois après, le 3 mars, durant la messe du dimanche à l’église Santo Stefano de Castelvittorio (Imperia) le curé, que fait-il? Devant une trentaine de fidèles consternés, il prend une photo du pape, désormais émérite, et la brûle. Oui: il y met le feu. Pourquoi? «Benoît XVI s’est comporté comme Schettino [le commandant du Costa Concordia qui est descendu du navire après l’impact avec les rochers qui a causé le naufrage et la mort de trente-deux personnes, ndr]. On n’abandonne pas le navire! J’ai fait un geste spectaculaire pour attirer l’attention, mais je le referais mille fois».

Le renoncement de Ratzinger? «Un coup de patte satanique sur le sommet de l’Église».

Le curé en question est, justement, don Andrea Maggi, contre lequel le bureau du procureur de Sanremo a ouvert une procédure pour outrage à la religion. Mais la conséquence la plus lourde, pour don Andrea, ne vient pas de la République italienne (plus tard, le procureur a demandé que le dossier soit classé). La conséquence la plus lourde, comme il était facile de le prévoir, est venue de Santa Romana Chiesa, qui, sous la forme des diocèses de Vintimille et de San Remo, lui en a gardé rancune, à tel point qu’à un certain moment don Andrea a décidé de quitter la paroisse du petit village médiéval de l’arrière-pays de Vintimille, et s’est retiré. Après quoi le rideau tombe sur lui. Don Andrea disparaît des infos.

Mais il y a quelques jours, un laïc, qui dit bien connaître don Andrea et qui est en contact avec lui, m’a écrit pour me demander de m’occuper de l’histoire de l’ancien curé au briquet facile.

Je demande: comment puis-je m’en occuper? Et en réponse, je reçois une lettre jointe à un document, écrits par don Andrea lui-même, qui, en plus de retracer l’histoire, la complète. C’est un document que j’aimerais proposer – bien que dans un résumé fait par moi -, parce qu’il montre que don Andrea, lorsqu’il a brûlé la photo, n’a pas agi en exalté, comme certains articles l’ont suggéré, mais sur la base de certaines considérations qui méritent d’être prises en compte.

En résumé, voici le contenu du dossier.

A propos de l’épisode de la photo brûlée, don Andrea dit: «Quand j’ai entendu parler de la démission de Benoît XVI, je me suis demandé: comment est-ce possible? Précisément pendant l’année de la foi? Cela peut-il être un exemple, venant du sommet de l’Église? Puisque nous serons tous jugés non pas sur la base de codes, mais sur l’Évangile, je crois, en dehors de tout jugement personnel qui revient toujours et seulement à Dieu, qu’objectivement, du point de vue théologique, c’est grave. Affirmer que la papauté, comme s’il s’agissait d’une institution humaine, peut être dissoute et abandonnée, est pour moi une monstruosité hérétique inacceptable: ce serait comme affirmer que le Christ est lié à son Église selon son bon plaisir ou pour une une durée déterminée. Non. De même que le Christ aime l’Église (tout comme l’Époux aime l’Épouse), le Pape aime l’Église pour toujours. Il ne peut pas la renier, il ne peut pas se retirer » .

«Au fond de moi – poursuit don Andrea, se rappelant la période qui a suivi la démission de Benoît XVI – commencent des jours de grands bouleversements et de grande souffrance. Dans la décision du Pape, je vois un lien avec d’autres questions, comme le testament biologique, la qualité de vie, la liberté de choisir le moment de sa mort, l’euthanasie. Bref, le problème est l’autodétermination de l’homme. Depuis le 11 février 2013, je suis chaque jour les nouvelles sur la démission du Pape, espérant que le Saint-Père reviendra sur sa décision. Mais non. Quelle tristesse! Le départ du Pape du Vatican, le salut de Castel Gandolfo, la restitution de l’anneau du pêcheur, le dépôt des insignes papaux. Je suis en direct l’autodestitution, comme c’était le cas dans les siècles passés lors de la réduction des prêtres à l’état laïc. Les hommes d’Église en ont vu tellement! Et que dire des cardinaux qui, face à l’annonce, ne se sont pas rebellés? Ils devaient réagir immédiatement en disant: « Non, sainteté, ce n’est pas vous, avec votre démission, qui devez servir de bouc émissaire. Nous sommes tous coupables! Et maintenant nous ne pouvons pas procéder au conclave parce que vous, le pape, vous êtes là! Nous plaçons votre anneau sur l’autel de la chapelle Clémentine, parce qu’il est à vous, et vous serez toujours libre de le reprendre, quand vous le voudrez, jusqu’à votre mort »».

Don Andrea poursuit: «Ce silence des cardinaux réunis au consistoire, ce merci prononcé par le cardinal Sodano, doyen du Collège Sacré, avait pour moi un goût amer: ils me rappelaient la trahison de Judas. Entre-temps, tous les commentaires positifs de la presse, non seulement laïque mais aussi catholique, me mettaient mal à l’aise. Tous à lire le choix du Pape comme un acte historique d’une immense valeur humaine et chrétienne, et même prophétique pour l’avenir, comme s’ils voulaient rivaliser pour justifier et encourager à répéter le même geste dans l’avenir! Mais alors, cela signifie que la papauté, d’institution divine, peut être abandonnée à la volonté humaine? Quelle déception! Comme on est loin de Tu es Petrus… C’est une pierre qui se brise, se pulvérise, et disparaît. La question subjective, soumise au jugement de Dieu, ne me concerne pas, mais objectivement ce qui s’est passé m’inquiète vraiment! C’est un problème pour tous les baptisés. Qu’est-ce qui vient en premier? La volonté divine ou la convenance humaine? Dieu aurait-il besoin d’efficacité, ou plutôt de l’efficacité humaine?… Et si Dieu voulait utiliser non pas l’efficacité humaine, mais précisément la souffrance et la maladie, même prolongée, d’un Pape pour soutenir son Église par la douleur ? Pour sauver le monde, Jésus n’a pas continué à errer autour de la Palestine, mais s’est laissé clouer sur la croix! Le bon berger donne sa vie pour les brebis, il ne se retire pas».

«Quand Benoît XVI a invoqué des raisons de santé – explique encore don Andrea – j’ai pensé d’abord aux paroles bibliques: « Maudit soit l’homme qui a confiance en l’homme ». Un Pape qui s’auto-dépose n’est pas héroïque. Je me sens seul. Je ne parviens pas à me défaire de certaines pensées, je ne peux pas raisonner comme tous les autres. Je confie à un prêtre, rencontré occasionnellement, combien je souffre, et les réponses sont toujours les mêmes: « Laisse tomber, c’est tellement inutile, parce qu’on ne peut rien y faire, reste dans ta petite vie tranquille ». Mais moi, à ma façon, dans ma paroisse de trois cents âmes perdues dans les montagnes, je veux professer ma fidélité à l’Évangile et au Christ, le bon pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis, fidèle à son troupeau jusqu’à sa mort. Que puis-je faire pour toi, Jésus? Alors me vient cette pensée: brûler publiquement, dans l’Église, comme le prescrit la Bible pour les hérétiques, y compris ceux qui sont déjà morts, l’image du Pape. Comme pour dire: si toi, le Pape, tu proclames au monde cette nouvelle doctrine de foi selon laquelle le successeur de Pierre peut s’autodéterminer, alors moi, don Andrea Maggi, je ne te suis pas dans cette profession de foi! Et c’est ce que j’ai fait. Après ce 28 février 2013, le premier dimanche de mars, pendant la messe dominicale, je proclame l’Évangile, j’élève la photo du Pape Benoît XVI et je la brûle, car c’est pour moi un devoir sacré de me rebeller contre ce nouveau chemin de l’Église. Je laisse les détails de côté. Le maire, sans que j’intervienne, lance la bombe; de là, l’assaut médiatique. Et imaginez la colère de la Curie romaine. Une épreuve commence pour moi, qui dure encore aujourd’hui, à travers laquelle j’apprends à connaître le visage d’une Église marâtre, avec un grand nombre de ses enfants qui restent bien tranquillement dans leur vie insouciante…».

Voilà. De la façon dont don Andrea s’exprime, on comprend qu’on a affaire à un certain caractère. Mais, c’est l’essentiel, pas à un fou. Je dirais plutôt que l’on voit en don Andrea un grand amour pour le Pape et pour l’Église. On comprend qu’en lui brûle (!!) une passion sincère.

Le témoignage quedon Andrea m’a envoyé est très long (il comprend aussi quelques réflexions sur l’Église de l’époque post-conciliaire, sur la lutte entre Jésus et Satan et quelques belles prières qui appartiennent à la tradition populaire) et j’ai dû, je le répète, en faire un résumé. J’espère avoir préservé son sens. Et mon sentiment est qu’un pasteur comme lui ne devrait pas être simplement sanctionné pour ce qu’il a fait, mais avant tout écouté.

Les lecteurs savent combien je vénère Benoît XVI et combien je l’aime. Cependant, je crois que les idées de don Andrea Maggi ne sont pas incongrues. Nous sommes face à de vraies questions.

«Actuellement – m’écrit don Andrea en conclusion – ma situation dans l’Église est celle d’un prêtre à durée indéterminée, suspendu a divinis depuis mai 2013. Le décret de suspension m’a été remis par courrier recommandé. Signé par le Vicaire général, il a été contresigné par moi. Je suis à la retraite et je reçois une subvention du soutien du clergé. Comme je ne peux accomplir aucune tâche sacerdotale (le décret interdit tout contact de groupe avec les fidèles), je passe ma vie dans la prière, la lecture et la marche».


Ici se termine le témoignage de l’ancien curé de paroisse qui a brûlé la photo d’un pape et l’a fait par amour.
A présent, si je puis me permettre, je demanderais humblement à l’évêque de ne pas se contenter d’un papier timbré, mais, s’il ne l’a pas déjà fait, d’aller voir don Andrea et de faire une promenade avec lui, et de discuter. Certes, don Andrea a mal agi (je ne conseillerais à aucun curé de brûler des photos, ni du pape ni des autres, pendant la messe), mais je pense qu’il ne mérite pas d’être laissé sur le bord de la route, juste parce qu’il n’était pas l’homme juste au bon endroit. Don Andrea appartient à la compagnie des irréguliers, de ceux qui ne deviendront jamais fonctionnaires de la curie mais qui, au contraire, sont voués aux paroisses de quelques âmes tout en haut de la montagne. Si Guareschi était vivant, je pense qu’à l’histoire du curé qui a brûlé la photo du pape, le bon Giovannino aurait dédié sa propre histoire. Parce que don Andrea n’est pas du genre de don Chichì [cf. benoît-et-moi] (le prêtre de carrière et en phase avec l’époque de « Don Camillo et les contestataires« ). Non, don Andrea Maggi est de ceux qui parlent à Jésus devant le Crucifix. Et, voyant certaines choses qui ne collent pas, ils ne se lasse pas de lui demander: «Jésus, pourquoi?»

Aldo Maria Valli

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