Reprise
Ce serait la clé pour comprendre des « atermoiements » – ou ce qui peut passer pour tels – qui déroutent parfois même ses plus fervents supporters: ils y voient l’écho d’une défense sans faille de son successeur, alternant avec des critiques à peine voilées contre un pontificat aux antipodes du sien (30/6/2019, mis à jour le 1er/7)
«Continuons ensemble, tenons bon ensemble. J’ai confiance dans votre aide. Je demande votre indulgence si je me trompe, comme il peut arriver à tout homme, ou si vous ne comprenez pas ce que le Pape dit ou fait en conscience, ou à partir de la conscience de l’Eglise. Je vous demande votre confiance. Si nous restons unis, alors nous trouverons le bon chemin»
(Benoît XVI, 25 avril 2005, discours de remerciement à ses compatriotes bavarois)
Ce qui suit pourra paraître à certains dissonnant par rapport au ton habituel et revendiqué de ce site, voire irrévérencieux.L’affection et la vénération que je voue à Benoît XVI ne sont évidemment pas en cause, mais servir la vérité (ou plus banalement garder sa propre crédibilité) implique qu’on ne se comporte pas en « fan » inconditionnel et aveugle – ici, du Pape Emérite -, approuvant sans se poser de question tout ce qu’il dit et fait, ou ne fait pas . Ce serait pratiquer ce que l’on reproche aux autres de faire (suivez mon regard…), et surtout, ce ne serait pas rendre lui service: si tous ceux qui le suivent sont des « bénis oui oui« , il prêche dans le désert, et sa prédication n’a pas plus de valeur que leur témoignage.
Or, il m’arrive de m’interroger – à l’instar de Marco Tosatti et de son invité récurrent, « Super Ex » -, comme ces jours-ci après le reportage du Corriere. De m’interroger avant tout sur moi, bien sûr (et si je me trompais totalement?) mais aussi sur lui (que veut-il nous dire exactement? se pourrait-il qu’il soit dans l’erreur?). On objectera – et c’est ce que j’essaie de faire – qu’il sait mieux que nous (qui en réalité ne savons pas grand chose) ce qui se passe, et qu’une vie de familiarité avec le Seigneur à travers la prière le rend mieux équipé que quiconque pour y faire face. Certes.
Quoi qu’il en soit, on peut opposer une foule d’arguments à Tosatti et Super Ex (en particulier, que Joseph Ratzinger puis Benoît XVI n’ait jamais été un combattant est une opinion qui n’engage qu’eux, tout dépend du sens que l’on donne au mot combattant), mais on doit reconnaître que leurs critiques visant ses sorties publiques récentes ne sont pas totalement infondées.
Mais avant de les lire, il est intéressant de prendre connaissance de ce qu’écrit, au sujet de cet entretien avec le Corriere, une des collègues de Marco Tosatti, Angela Ambrogetti: journaliste honnête et fiable, malheureusement devenue comme beaucoup de ses collègues, depuis un certain 13 mars 2013, et surtout son accession à la direction de l’agence d’information religieuse ACI, l’archétype du « journaliste de régime ».
On a l’impression qu’ici, à côté de remarques sympatiques et qu’on est heureux de partager, elle anticipe des questions de lecteurs trop curieux, et se hâte d’y apporter les réponses (ou plutôt LA réponse) officielle(s). Qu’on se le dise: IL N’Y A QU’UN PAPE… ET BENOÎT XVI EXCLUT TOUT RISQUE D’UN SCHISME.
Si c’était si évident, pourquoi en faire un article?
LES OSCILLATIONS DE BENOÎT XVI
Marco Tosatti
www.marcotosatti.com
30 juin 2019
Ma traduction
« Super Ex » nous a envoyé une réflexion – que certes je partage – sur la dernière (je veux dire la plus récente) manifestation publique de Benoît XVI. Je me contenterai d’ajouter une note supplémentaire. Joseph Ratzinger, un homme d’une intelligence et d’une clarté vertigineuses, ne s’est jamais montré un combattant. Pas quand il était professeur en Allemagne; pas comme archevêque à Munich [?]; probablement pas non plus comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, s’il n’a pu mettre Maciel hors d’état de nuire sauf quand il est devenu pape; et même pas comme Pontife, hélas. Par ailleurs, vous vous souvenez de cette phrase: «Priez pour que je ne fuie pas devant les loups…»? Pouvez-vous imaginer un autre Pape, que sais-je, Jean-Paul II, prononcer une telle phrase? Pauvres loups! [homme de médias, et plutôt apprécié par eux, Jean-Paul II est loin d’avoir subi autant d’oppositions que Benoît XVI]
Mais voici Super Ex.
BENOÎT XVI: EXTRÊMEMENT LUCIDE EN PENSÉE, PAS TOUJOURS EN ACTES
La paura fa novanta [1]. La peur d’un schisme. Une peur qui touche surtout les cardinaux allemands fidèles à l’Eglise catholique, mais malgré tout allemands et se souvenant du schisme de Luther.
Cette peur saisit aujourd’hui Benoît XVI. Et cela le maintient en suspens, entre le besoin de dire la vérité et la peur du schisme.
Le pape émérite ondoie, comme un navire dans la tempête, entre un doute et l’autre.
Ainsi, un jour, il intervient en lançant un message d’apaisement, un autre, il ne peut rester silencieux, et rappelant le cardinal Meisner, adversaire explicite de Bergoglio, il en fait l’éloge et dit, franchement, ce qu’il pense: la barque de Pierre est « déjà presque renversée »; de la même manière, un jour il sort un document sur la pédophilie dans l’Église, qui va dans la direction opposée à ce que dit et fait Bergoglio, engendrant un émoi mondial, et un autre, il se prête à une opération de pacification, comme l’interview de Massimo Franco, il y a deux jours, où il se comporte en pompier.
C’est une tergiversation qui, dans son «absurdité», n’a qu’une seule raison d’être: le doute hamlétique sur ce qui est le pire des maux: les doctrines hérétiques et le comportement trivial de l’argentin, ou bien un schisme mondial, mené par ceux qui sont las de cette «autodémolition de l’Église à travers ses ministres»?
Le même doute, c’est évident, traverse la conscience de son secrétaire, Mgr Gänswein, qui depuis des années s’est aussi engagé dans des déclarations manifestement critiques à l’égard de la nouvelle orientation, et dans des actes de réparation dont la crédibilité apparaît, franchement, faible. Pugnantia te loqui non vides, disaient les anciens: ne vois-tu pas, Gänswein, que tu dis des choses qui se contredisent entre elles?
C’est dans cette façon d’agir que l’on reconnaît l’homme Benoît: l’homme doux qui croit toujours qu’il peut par la bonté réparer les choses; qui ne fait pas usage de son pouvoir de gouvernement, quand il le possède, sauf ensuite à abdiquer, quand il réalise qu’à force de ne pas gouverner, ce sont d’autres qui gouvernent.
Massimo Franco, journaliste fin et honnête, nous l’a fait comprendre, en nous disant qu’il y a beaucoup d’évêques et de cardinaux qui se rendent chez Benoît pour s’exprimer sur ce qui se passe dans «l’église de Bergoglio».
Il me suffit de lire entre les lignes et d’avoir dialogué avec certains de ces ecclésiastiques pour comprendre ce qui se passe dans ces rencontres: Benoît les encourage à rester fermes dans une saine doctrine, il montre qu’il souffre beaucoup lui aussi, mais il invite alors, en Allemand qui sent le poids du schisme luthérien sur ses épaules, à être patient, à ne pas «casser l’Église».
Benoît a peut-être raison, mais il se peut aussi qu’il ait tort sur ce point. Quand tellement de personnes lui ont demandé d’écarter le cardinal Tarcisio Bertone, parce qu’il nuisait à l’Église toute entière, l’homme Benoît a choisi la voie de la douceur, ou du non-gouvernement: il a laissé Bertone à sa place, lui permettant de ruiner son pontificat, puis de se recycler en électeur de Bergoglio.
L’homme Benoît fait-il aujourd’hui la même erreur? Est-il possible de sauver l’unité de l’Église en dehors de la Vérité? Benoît XVI est-il plus utile à l’unité de l’Église en continuant à envoyer des signaux contradictoires (voir aussi ses applaudissements constants à Müller, opposant évident de Bergoglio), ou le serait-il bien plus si, élevant la voix, reconnue par tous pour son autorité, il forçait Bergoglio à arrêter le bulldozer qui, chaque jour, détruit la Tradition et creuse le fossé entre la hiérarchie et le peuple de Dieu ?
Inutile de dire que l’auteur de ces lignes est en faveur de la seconde alternative, préférant dans ce cas la parésie d’un autre Allemand courageux, le Cardinal Walter Brandmüller: qui, en grand historien qu’il est, connaît bien lui aussi les divisions du passé, mais qui sait aussi que la situation actuelle est peut-être sans précédent. En fait, il ne s’agit plus seulement de mauvaises manières ou de luttes de pouvoir internes, ni même de simple hérésie: nous sommes en effet désormais face à l’apostasie.
NDT
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[1] « La peur fait 90 »: Idiome qui serait d’origine napolitaine, intraduisible (pour moi!), dont j’ai trouvé des explications variées, sinon contradictoires sur internet; par ex., chaque nombre tiré à la tombola se voit attibuer par les napolitains – très friands de numérologie -, une signification spécifique, et il se trouve que 90 serait le numéro associé à la peur . Ailleurs, j’ai trouvé comme traduction possible: « la peur fait faire de drôle de choses » (ou « donne des ailes »).
Je n’exclus pas que ce soit encore autre chose.