(et peut-être aussi argentin imbu de péronisme, mais ce n’est pas le sujet ici). Un article datant de 2006, paru dans un site américain « liberal » mais néanmoins très éclairant pour comprendre la personnalité du Pape

(*) Voir aussi sur ce site:

  • Un péroniste au Vatican (25 janvier 2018)
  • “Camerata” Bergoglio ( 31 janv. 2019): Un ouvrage posthume, récemment paru en Italie, et très embarrassant pour lui, évoque le passé péroniste de François
  • Le Pape-Peron ( 3 nov. 2018): L’une des clés de la compréhension de la personnalité de François réside dans sa proximité au péronisme
  • Qui est le Pape Bergoglio? ( 13 févr. 2015): Ce décryptage utilise la triple clé de son pays (Argentine/péronisme), sa condition de jésuite, et l’époque où il a grandi et s’est formé.

Les armoiries de François, avec au centre l’emblème de la Compagnie de Jésus

Dans son billet du 17 juillet 2019, le rédacteur du site italien <Cronacas de Papa Francisco> renvoie à un article datant de décembre 2016, peu après la publication des dubia des 4 cardinaux (auquel le Pape refusait déjà de répondre), signé d’un jeune journaliste américain « freelance« , Dominic Lynch et paru dans un site « liberal » (au sens américain, justement!) intitulé <The Federalist>.
Je me suis souvenue d’avoir vu « passer » l’article à l’époque… sans avoir eu le temps ou l’envie de le traduire, mais il n’est pas trop tard pour le faire: avec le temps, il n’a pas vraiment pris de rides, et il répond à pas mal de questions qu’on se pose sur l’orientation du pontificat, et sur la personnalité même du Pape, dont son état de jésuite serait l’une des clés d’interprétation majeures, l’autre étant sa condition d’argentin imprégné de péronisme, dont nous déjà eu l’occasion de parler et qui n’est pas abordée ici (*).
Voici la présentation de l’article par le blog italien; je partage aussi ses réticences face à l’analyse de Dominic Lynch, qui recherche indûment des excuses et des prétextes pour dédouaner le Pape jésuite.


Pourquoi un jésuite reste-t-il jésuite alors qu’il est pape ?
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(…) L’article est très actuel, non seulement parce que deux ans se sont écoulés et qu’il n’y a pas encore eu de réponse, mais aussi parce que l’auteur explique la raison de l’attitude hétérodoxe de l’actuel évêque de Rome: être Jésuite.
Quand le Newsweek a demandé si le Pape François était catholique, il y en a qui ont répondu: Non, il est jésuite.
Nous ne partageons pas toutes les observations de ce journaliste, mais son analyse du pontificat du premier jésuite devenu pape est tout à fait correcte. Ce qui devrait surprendre de la part d’un jésuite – dit Dominic Lynch – ce n’est pas l’hétérodoxie, mais l’orthodoxie.
Nous espérons donc – et nous prions pour cela – que le Pape François nous surprendra, tôt ou tard, en défendant l’orthodoxie. Après tout, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir…

cronicasdepapafrancisco.com


Le Pape François surprendrait moins si tout le monde se souvenait qu’il est jésuite.

L’hétérodoxie de Francis n’aurait pas dû surprendre. C’est un jésuite grand-teint qui a grandi dans le monde post-Vatican II.

thefederalist.com
Dominic Lynch
22 décembre 2016
Ma traduction

Dans un récent numéro du New York Times, le conservateur et catholique Ross Douthat a publié un éditorial exprimant sa frustration à l’égard du pape François, en particulier son refus de clarifier certaines questions moralement délicates soulevées par sa lettre pastorale « Amoris Laetitia« .

«La logique du « Rome a parlé, l’affaire est terminée » (Roma locuta causa finita) est trop profondément ancrée dans les structures du catholicisme pour permettre autre chose qu’une décentralisation doctrinale temporaire», écrit Douthat. «Tant que le pape restera le pape, toute controverse majeure remontera inévitablement jusqu’au Vatican».

En d’autres termes, François devra répondre tôt ou tard aux questions de ceux qui le critiquent. Et en attendant, une impasse frustrante s’installe entre évêques libéraux et conservateurs, résumée dans la lettre des dubia rédigée par quatre cardinaux en septembre 2016. Ce document posait cinq questions au pape sur les aspects confus de sa lettre pastorale.

Bien entendu, les dubia ont été applaudis par les catholiques conservateurs et condamnés, parfois dans un langage rude, par l’aile la plus libérale de l’Église. Le Pape François a refusé de répondre aux questions posées par la lettre, allant même jusqu’à annuler une rencontre avec un certain nombre de cardinaux à Rome, au cours de laquelle il aurait probablement été confronté à la lettre.

L’absence de clarification de la part du Pape exaspère les conservateurs, et je dois leur demander: à quoi vous attendiez-vous ? François est peut-être le Pape, mais il est toujours jésuite. Pour ceux qui ne connaissent pas les jésuites, une doctrine vague et poreuse est presque leur ‘raison d’être’. En vérité, cette raison d’être est tellement ancrée dans l’ordre qu’il est plus difficile de trouver un jésuite conservateur qu’un libéral dans l’ouest du Texas.

FRANÇOIS EST PEUT-ÊTRE LE PAPE, MAIS IL EST TOUJOURS JÉSUITE.
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Quand François a été élu pape en 2013, les catholiques de la base ne savaient pas à quoi s’attendre.
Benoît XVI, son prédécesseur, était prévisible parce qu’il était connu comme un poids lourd intellectuel et un chien de garde de l’enseignement officiel de l’Église. Ratzinger était l’incarnation du jeu (ou peut-être de la prière) [jeu de mot playing/praying, ndt] selon les règles. Quand il a été élu, les gens savaient à quoi s’en tenir: l’orthodoxie et encore plus. Aujourd’hui, son héritage papal commence à se définir, en partie, par ses apports à l’aile traditionnelle conservatrice de l’Église, le plus important étant le motu propio « Sommorum Pontificum » de 2007, qui tentait de rétablir la Messe latine comme équivalente à la Messe en langue vernaculaire.

François s’est avéré très différent de son prédécesseur, ce qui est d’autant plus intéressant que Benoît XVI a bon pied bon œil, et ne vit qu’à quelques centaines de mètres du pontife actuel. Mais ceux qui espéraient une continuité sans faille entre Benoît et François – et qui ont été enthousiasmés par les nouvelles des rencontres entre le Pape et le Pape émérite – ont été très déçus.

La deuxième encyclique de François (la première [Lumen fidei, juin 2013] était en substance un projet commun entre Benoît et François) disait la direction qu’il allait prendre dans son pontificat. Laudato Si’ a été entièrement écrite par François et se concentre sur les questions environnementales, la consommation et le capitalisme, entre autres thèmes. The Federalist a organisé un colloque sur le thème. Verdict: bof.

Pour être juste, l’Église catholique soutient depuis longtemps « l’environnementalisme » en ce sens que nous devrions être des intendants responsables de la terre. Mais les déclarations de François à ce sujet ont été plus dérangeantes que celles du passé en raison de la singulière spécificité avec laquelle il a dénoncé certaines technologies modernes comme la climatisation, et les recommandations politiques ultra spécifiques qu’il a proposées pour inverser le changement climatique, comme réduire les émissions de carbone en ralentissant le développement économique.

CE QUE « LAUDATO SI » NOUS A APPRIS SUR LE PAPE FRANÇOIS
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Dans l’ensemble, « Laudato Si' » n’a fait que renforcer la tendance qui se dessinait depuis 2013, quand François a commencé son pontificat. A plusieurs reprises, il a fait remarquer que les culture warriors conservateurs étaient trop « rigides ». Il a dit que l’Église ne peut pas être « obsédée » par certaines questions comme l’avortement et le mariage gay. Il s’est demandé pourquoi les jeunes assisteraient à la messe en latin, et l’a qualifiée d' »exception », ce qui a été pris comme une insulte par ceux qui assistent à cette messe. Et il est notoire que son exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » contient dans plusieurs paragraphes des attaques contre le capitalisme à l’américaine, utilisant même l’expression « trickle-down » en référence à un marché libre qu, en fin de compte, nuit aux pauvres.

Mais « Evangelii Gaudium » était plus une ébauche d' »Amoris Laetitia » qu’il n’est paru à l’époque. Discutant des problèmes culturels de l’Eglise, François a en substance écrit la thèse d' »Amoris Laetitia » :

Nous devons reconnaître que si une partie de notre peuple baptisé n’a pas le sentiment d’appartenir à l’Église, c’est aussi dû à certaines structures et à l’atmosphère parfois peu accueillante de certaines de nos paroisses et communautés, ou à une manière bureaucratique de traiter les problèmes, simples ou complexes, de la vie de notre peuple. En de nombreux endroits, l’approche administrative l’emporte sur l’approche pastorale, de même que la concentration sur l’administration des sacrements en dehors de toute autre forme d’évangélisation.

« Amoris Laetitia » va au cœur de la « manière bureaucratique de traiter les problèmes » en attaquant leur légitimité et leur efficacité face à une approche pastorale. Les résultats sont des documents comme celui de Mgr Robert McElroy , archevêque de San Diego, où il décrit comment son diocèse mettra en œuvre « Amoris Laetitia« .

LES JÉSUITES ONT EMBRASSÉ LA « DÉCENTRALISATION DOCTRINALE ».
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En effet, ce que François essaie de réaliser, c’est une « décentralisation doctrinale », pour reprendre les mots de Douthat. En pratique, cela signifie que la hiérarchie centrale de l’Église joue moins de rôle dans les affaires paroissiales quotidiennes, et que les pasteurs et les évêques utilisent les directives vagues de Rome pour mettre en œuvre leur politique d’une manière qui ne heurte pas leurs ouailles. La Vérité peut être altérée – ou pas. François fait confiance aux évêques pour ne pas abuser de la marge de manœuvre qu’il leur accorde. Aux yeux de François, c’est un pari à faire.

Tout cela semble incompréhensible pour les conservateurs, catholiques ou non. Mais ce qui compte vraiment, c’est le fait que le Pape François est un jésuite, et le fait d’être jésuite comporte certains principes qui peuvent définir tout un état d’esprit.

Les jésuites ont leur propre jargon, leurs principes et leur philosophie. Cet ensemble de convictions n’est pas en désaccord avec l’enseignement traditionnel de l’Église, et s’accorde même souvent très bien avec lui. L’Examen [les Exercices spirituels] de Saint Ignace, par exemple, est un excellent exercice de réflexion.

Mais comme pour toute organisation, une constitution aussi structurée façonne ses membres. Des concepts comme magis, cura personalis, « discernement », « hommes et femmes pour les autres », et bien sûr « justice sociale » définissent la Compagnie comme un ordre favorable à la décentralisation doctrinale, et qui a une certaine sensibilité aux concepts pseudo-théologiques comme la théologie de la libération. D’où la réputation des Jésuites d’être un ordre libéral.

L’HÉTÉRODOXIE DE FRANÇOIS NE DEVRAIT PAS SURPRENDRE
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Avant d’aller plus loin, il convient de noter que la Compagnie de Jésus n’est pas le croque-mitaine (boogeyman) des maux de l’Église qu’on en a fait au fil des siècles. Malgré leurs défauts – et il y en a beaucoup – l’ordre attache une grande valeur à l’éducation et l’exécute bien [ndt: encore aujourd’hui?]. L’accent mis sur une approche pastorale fait contrepoids à des ordres comme les Dominicains et les Bénédictins, qui ont tendance à être très centrés sur les règles. Les jésuites ont aussi une approche plus humaine de la doctrine qui peut sembler étouffante et obsolète pour des gens qui ont lutté contre la religion organisée en général ou le catholicisme en particulier. Ce qui, auprès des conservateurs, fait figure d’étalage des règles peut en fait connecter un certain nombre de personnes qui se sentent laissées pour compte ou abandonnées par l’Église. A cet égard, les jésuites sont un ordre indispensable dans le cadre gigantesque qu’est le catholicisme romain.

Mais cette approche explique aussi pourquoi le Pape François semble si souvent frustrant. Lorsqu’il a l’occasion de clarifier la doctrine, il laisse tomber, parce que « l’approche pastorale » l’exige. François suivra cette logique jusqu’au bout.

Il a pris parti contre l’ingérence bureaucratique à laquelle les dirigeants de l’Église se trouvent souvent confrontés: les tribunaux d’annulation, les rappels maladroits pour les conjoints divorcés et remariés de « vivre comme frère et sœur », et le refus de la communion. Le résultat logique de ce nettoyage est une approche pastorale qui ouvre les portes à un ‘catholicisme de cases à cocher‘, aussi longtemps qu’il ne dépasse pas les bornes. Ainsi, si François ne peut pas tout à fait ordonner que les couples divorcés et remariés puissent recevoir la communion, il peut le dire en autant de mots, en s’attaquant à la bureaucratie qui les a empêchés de la recevoir.

Rétrospectivement, l’hétérodoxie de François n’aurait pas dû surprendre. C’est un jésuite pur jus qui a été élevé dans le monde post-Vatican II. L’accent qu’il met sur une approche pastorale est le moteur de sa décentralisation doctrinale. Et bien qu’il soit peut-être bien intentionné, cette approche est souvent mal exécutée, ce qui lui aliène en premier lieu ceux qui ont tendance à être en désaccord avec elle. Le résultat est une lutte de volontés au sein de l’Église, dont l’issue n’est pas évidente. Avec François, désormais, tout le monde sait combien les jésuites sont frustrants.

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