Brillante analyse du site italien ‘ »L’Occidentale » qui relève la pauvreté et la superficialité des arguments dans son entretien avec La Stampa mais aussi, contrairement à Blondet (et peut-être à tort) prend très au sérieux les propos tenus par François. Pour beaucoup, l’usage de la « reductio ad hitlerum » a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase…

Voir aussi: Interview de François à La Stampa: Blondet se déchaîne

UN PAPE POLITIQUEMENT DÉSOLANT…
En ce 15 août, on aimerait dire tout le bien que l’on pense du pape François… Malheureusement, la plupart de ses interventions sont décevantes aussi bien sur le plan intellectuel que sur le plan idéologique. Il a récemment fourni un malencontreux exemple de cette dérive de la pensée tellement contraire à la précision méticuleuse de Benoît XVI. Le pape a fustigé le souverainisme et le populisme en les identifiant l’un à l’autre dans une approximation qu’il a aggravée par une reductio ad hitlerum, elle aussi symptomatique du journalisme de bas niveau et de l’idéologie de gauche.

Christian Vanneste

L’ÉGLISE BERGOGLIENNE ÉGARÉE ENTRE IDÉOLOGIE ET LIEUX COMMUNS

L’Occidentale
12 août 2019
Ma traduction


L’interview accordée à « La Stampa » le 9 août est la déclaration politique la plus explicite et la plus organique de tout le pontificat du Pape François. Dans la conversation, le pape reprend de nombreux thèmes sur lesquels il s’était déjà penché de nombreuses fois auparavant. Mais jamais auparavant il n’avait rassemblé ses thèses sur les grands thèmes de la politique européenne et mondiale dans une synthèse unitaire aussi complète : de l’état de l’intégration européenne à l’immigration, de la dialectique globalisme/souverainisme à la protection de l’environnement.

Et ce n’est pas tout: au cours des dernières décennies, du moins depuis le pontificat de Pie XII, aucun pape n’était entré de façon aussi systématique dans toutes les grandes questions politiques débattues en Occident et en Europe, y compris les affaires intérieures italiennes. Dans son programme d' »Eglise en sortie » et de nouvelle évangélisation dans un Occident de plus en plus sécularisé et anti-chrétien, Jorge Bergoglio fait un effort sans précédent pour qualifier l’Eglise catholique de protagoniste des grands changements mondiaux, porteuse directe de réponses, d’espérance, de confiance pour les peuples angoissés dans une époque d’incertitude.

C’est un choix décisif qui force à limiter la frontière floue entre la prédication du Royaume de Dieu et l’engagement à des objectifs spécifiques à mesurer dans la sphère laïque. Une frontière très souvent ambiguë, qui dans le passé a donné lieu à de dangereux malentendus. Comme dans la phase tourmentée de l’après-Concile, où, dans les années de grands mouvements et de grands bouleversements, la tentation d’embrasser des idéaux de libération, de progrès, d’égalité, de développement, tous s’inscrivant sous le signe des idéologies, a conduit l’Église et le monde catholique à de graves lacérations, auxquelles seuls la sagesse et l’équilibre du Pape Paul VI et la naissance des mouvements en signe de retour à l’esprit originel de communion ecclésiale opposèrent un rempart.

Les risques d’une reprise, quoique dans un contexte différent, d’une ligne d’engagement politique entièrement « terrestre » pour l’Église ne doivent donc pas être sous-estimés. Pour les éviter, il faudrait qu’au sein de l’Église, il y ait une réflexion attentive et approfondie sur les thèmes en question, afin d’élaborer des réponses politiques et sociales incisives, mais aussi cohérentes avec son histoire, son magistère et sa fonction.

Eh bien, la principale impression que l’on tire de l’entretien de François avec « La Stampa » – qui confirme et amplifie celle engendrée par d’innombrables déclarations antérieures – est que précisément de ce point de vue, la « plate-forme idéologique » de son pontificat est nettement insuffisante. Le pape, en effet, s’exprime sur des arguments politiques très complexes et conflictuels avec des déclarations axiomatiques, succintes, d’une généralité déconcertante, parfois même remplies d’inexactitudes dues à une connaissance insuffisante de la discussion en la matière. Franchement, c’est une grande surprise qu’il n’ait pas autour de lui, ou qu’il ne s’en serve pas, des universitaires capables de lui fournir toute la documentation indispensable sur les différents dossiers, et d’orienter sa réflexion en la matière.

Sur le thème de l’opposition entre globalisme et européanisme d’une part, souveraineté et nationalisme d’autre part, le pontife part d’une base intéressante et potentiellement féconde: celle de la distinction entre mondialisation comme « sphère » (humiliante uniformisante des différentes cultures) et comme « polyèdre » (capable de prendre en compte leurs spécificités). Dans l’interview, Bergoglio reprend cette théorie en soulignant à juste titre que dans le dialogue entre les différents pays et cultures, il est nécessaire de partir des identités respectives pour les intégrer dans le dialogue. Mais il réduit aussitôt ce principe à la revendication d’un européanisme générique, compris comme le « rêve des pères fondateurs », et à la condamnation tout aussi générique du souverainisme En ce qui concerne l’Union européenne, le Souverain Pontife s’est contenté de dire qu’elle « s’est affaiblie au fil des ans, en partie à cause de certains problèmes d’administration et de conflits internes. Mais nous devons la sauver », en ajoutant une approbation inconditionnelle à la présidence de la Commission par Ursula von der Leyen, motivée par la considération qu' »une femme peut être apte à raviver la force des Pères fondateurs », parce que « les femmes ont la capacité de s’unir, d’unir ».

Est-il possible que le chef de l’Église catholique n’ait rien de plus spécifique à dire sur l’histoire tourmentée du passage de la Communauté à l’Union européenne, sur la relation complexe dans cette dernière entre centralisation bureaucratique et démocratie, sur les inégalités entre États économiquement plus forts et plus faibles? Qu’il suffise que von der Leyen soit une femme pour obtenir son approbation, mais qu’il n’ait rien à dire sur la dérive nettement séculariste du popularisme allemand, dont l’actuelle présidente de la Commission a été l’expression prééminente, avec une adaptation décisive aux positions laïcistes sur les « principes non négociables ».

Faire des comparaisons avec le pontificat précédent peut sembler jeter du sel sur les blessures, mais il y a vraiment un abîme entre la réflexion profonde et articulée de Benoît XVI sur la crise de l’Europe et ces considérations schématiques.

Au sujet du souverainisme et du populisme qui y est lié, le pontife atteint d’autres sommets d’approximation dans l’interview. Le phénomène souverainiste – incompréhensible sans référence à la rébellion contre les difficultés de la mondialisation et la dérive élitiste de l’UE – est rejeté à la hâte non seulement comme la simple expression d’un égoïsme nationaliste (« nous d’abord… nous… nous »), mais aussi comme la réincarnation possible du fascisme et du nazisme (« on entend des discours semblables à ceux de Hitler en 1934 »). Une énormité du point de vue historique et politique, ainsi qu’une déclaration qui exclut fortement des franges considérables de toutes les sociétés civiles européennes, dans lesquelles les partis souverainistes ont reçu un consensus électoral considérable, et aussi les nombreux catholiques qui ont voté pour eux. Et aussi – ce qui n’est certes pas sans importance – une position explicite par rapport au contexte politique italien, résolument hostile à Salvini et à la droite. Avec pour résultat de présenter l’Eglise – dans des tons drastiques dont on n’a pas souvenir, depuis l’époque où les communistes ont été excommuniés – comme un acteur politique ayant clairement pris parti.

Une vision encore moins pertinente du phénomène, fondée sur une connaissance résolument sommaire et peu réfléchie, émerge lorsque le pape dit que « le souverainisme est une exagération qui finit toujours mal; elle mène aux guerres ». Comme chacun le sait, en fait, les mouvements et partis souverainistes ne sont apparus dans l’histoire européenne qu’au cours des dernières décennies, et le nationalisme et le souverainisme sont des phénomènes différents, non superposables. Sans parler du fait qu’il s’aventure dans une distinction imprudente entre popularisme et populisme, pour soutenir le premier contre le second, concluant que « les populismes nous conduisent aux souverainismes: ce suffixe, ‘isme’ ne fait pas de bien ». Là où il est évident que même le popularisme est un ‘isme’, on ne voit pas bien sur quoi il doit être préféré. Ce sont peut-être des mauvais tours de la langue italienne parlée par un étranger, bien sûr. Mais c’est là un autre problème qu’il ne faut pas négliger dans un contexte de communication aussi crucial.

Sur les phénomènes migratoires, le pontife reprend et radicalise encore des positions déjà exposées à plusieurs reprises sur le sujet. Sa formule bien connue selon laquelle la politique des Etats en la matière se résume en quatre mots « recevoir, accompagner, promouvoir, intégrer », interprétés à la lumière de la « prudence » des gouvernements sur les possibilités concrètes d’accueil, s’explique ici par le simple argument que les Etats de l’Union européenne devraient s’accorder sur la répartition des immigrants en fonction de leur densité démographique. Et en espérant même que les immigrés seront utilisés pour repeupler les villes et les zones démographiquement défavorisées: une affirmation qui donne l’impression d’adhérer à l’idée très impopulaire de « substitution ethnique » [i.e. « le grand remplavcement »!!].

Est-il possible – se demande-t-on – que le pape ne se pose même pas la question de l’impact d’une immigration de plus en plus massive en provenance de l’extérieur de l’Europe sur la stabilité des sociétés du vieux continent? Qu’il ne lui vienne même pas le doute qu’un nombre croissant d’immigrés de moins en moins régularisés en provenance de pays éloignés des normes européennes de coexistence peut créer – ou crée déjà – de très graves problèmes d’ordre public, de compatibilité culturelle, de coexistence et de tolérance religieuse?

Enfin, la question de l’environnement. Sur ce point aussi, les positions de Bergoglio – plus encore que dans l’encyclique Laudato si’ qui lui est entièrement consacrée – apparaissent lapidaires, non critiques, totalement dénuées de nuances. En effet, le pontife est totalement convaincu des thèses catastrophistes sur l’épuisement des ressources de la planète et surtout sur le réchauffement anthropique de la planète, et apporte un soutien convaincu au mouvement fondé par la jeune Greta Thunberg, dont il cite avec satisfaction un slogan plutôt anonyme tel que « Le futur c’est nous ». Et aussi, on se demande pourquoi une autorité spirituelle mondiale d’un tel niveau met en jeu sans réserve la crédibilité de l’institution qu’il conduit en soutenant des opinions fortement discutées, sur lesquelles il y a tout sauf consensus unanime, à la fois parmi les chercheurs et au niveau du débat politique international.

En conclusion, jamais auparavant l’Église catholique, avec cet interview de François, ne s’est proposée non pas comme « catholique », c’est-à-dire universelle, mais au contraire comme un authentique « parti ». Poussée par la noble intention d’évangéliser les peuples en se proposant comme une institution proche des problèmes les plus douloureux et les plus urgents de notre temps, cette attitude produit souvent un effet contraire: elle coupe, ou fait qu’ils se perçoivent comme coupés, tous les fidèles qui ne sont pas d’accord avec la « ligne » idéologique dictée par le Vatican, ainsi qu’une très grande partie des sociétés occidentales qui pourraient s’engager dans une opération de relance de la dimension communautaire, dans la recherche d’un sens supérieur de la vie au-delà des biens matériels, du pouvoir et de la consommation.

En somme, paradoxalement, le pape même qui, au début de son pontificat, mettait en garde l’Église contre le fait de se réduire à un ONG, dans l’intention d’amener sa prédication toujours plus dans le « feu de la controverse » du monde contemporain, risque concrètement de favoriser un résultat encore pire que celui qu’il redoutait. En mettant l’institution au service d’un « programme » entièrement mondain, qui laisse à l’arrière-plan – en lui ôtant son efficacité et sa force de conviction – sa raison d’être première: le kérygme, qu’aucun débat politique ne pourra jamais épuiser ni même rapprocher dans son rapport total avec tous les aspects de l’expérience humaine.

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