A la veille du Synode pour l’Amazonie, les évêques allemands s’organisent pour faire avancer leurs revendications – toujours les mêmes, mariage des prêtres, communion pour les divorcés-remariés, morale sexuelle… – et ils le font en s’appuyant sur le Comité central des catholiques allemands (ZDK), bien sûr de tendance progressiste. Il se trouve que cette manière d’agir, désormais bien rôdée, arrange parfaitement François. L’analyse de Peter Skojek sur le site « 1Peter5« .


Le pas de deux Rhin-Tibre est de retour

Steve Skojec
1Peter5
8 septembre 2019
Ma traduction

Sous le pontificat de François, à chaque fois qu’un synode se profile, nous assistons à ce qui est devenu une danse familière. Faute d’une meilleure description, nous l’appellerons le « pas de deux Rhin-Tibre » (Rhin-Tiber Two-Step). Il s’agit typiquement d’une routine soigneusement calculée entre Rome et l’Église allemande, une Église aux poches profondes qui, de l’avis général, a acheté une influence indue en payant les factures du Vatican, lequel connaît des difficultés financières. Il y a toujours des pas inhabituellement audacieux dans la danse, mais ils sont juste là pour éblouir et distraire. Ce que nous avons inévitablement en fin de compte, quand la musique s’arrête, c’est une forme de synthèse hégélienne qui fait avancer l’agenda de la « réforme » (alias la révolution) juste un peu plus loin.

Hier, Ed Condon de la Catholic News Agency (CNA) a rapporté que les évêques d’Allemagne « faisaient pression en faveur d’un programme synodal controversé » en coopération avec un « groupe laïc allemand influent » (le Comité central des catholiques allemands, connu sous le nom de ZdK) pour créer un « processus synodal contraignant » sur les questions dites clés « découlant de la crise des abus du clergé: célibat clérical, enseignement de l’Eglise sur la morale sexuelle et une réduction du pouvoir clérical ». L' »assemblée synodale » qui serait proposée aurait le pouvoir de prendre des décisions au nom de l’Église allemande.
L’élément « contraignant » est ici le point-clé.
Selon Condon :

De récentes déclarations du ZdK indiquent l’attente que l’assemblée synodale devienne le principal forum de débat et de décision sur les questions ecclésiales en Allemagne.
L’Assemblée plénière du ZdK de 2019 a conclu que son accord pour participer à l’Assemblée synodale était conditionné par la garantie des évêques allemands que les résolutions synodales seraient contraignantes.

Si vous voulez savoir le genre de choses auxquelles la ZdK aimerait contraindre les catholiques allemands à travers ce « processus », ce n’est pas trop difficile à trouver. Le groupe a réclamé « l’admission des divorcés remariés civilement à la sainte communion, l’acceptation de toutes les formes de cohabitation, la bénédiction des couples de même sexe et le réexamen de l’enseignement de l’Église sur la contraception », comme on l’a déjà vu.

Le projet de document est encore en cours d’élaboration, mais Condon assure au lecteur que « la décision d’aller de l’avant vient malgré une mise en garde du pape François aux évêques allemands qu’ils doivent rester en phase avec toute l’Église ».
Le dicton « Fool me once, shame on you ; fool me twice, shame on me » (si tu me prends une fois, honte à toi, si tu me prends deux fois, honte à moi) sert une fois de plus à décrire l’interaction inédite entre le Vatican et l’Eglise allemande.
Mais allons faire un tour ensemble sur le chemin des souvenirs.


En 2015, le cardinal Reinhard Marx, président de la Conférence épiscopale allemande, membre d’origine du conseil des cardinaux conseillers du pape, aujourd’hui connu sous le nom de C6, et président du conseil de surveillance financière du Vatican (ce dernier étant sans doute son rôle le plus important, si l’on suit l’argent), a fait à la presse une déclaration provocatrice en prévision du débat sur la communion pour les divorcés « remariés »:

Le cardinal Marx, archevêque de Munich et Freising, a dit au Tagespost qu’en ce qui concerne la doctrine, l’épiscopat allemand reste en communion avec l’Église, mais sur des questions individuelles de pastorale, « le synode ne peut prescrire en détail ce que nous devons faire en Allemagne ». Les évêques allemands veulent publier leur propre lettre pastorale sur le mariage et la famille après le synode
« Nous ne sommes pas uniquement une filiale de Rome », a dit le cardinal. « Chaque conférence épiscopale est responsable de la pastorale dans sa culture et doit proclamer l’Évangile à sa manière. Nous ne pouvons pas attendre jusqu’à ce qu’un synode déclare quelque chose, car c’est ici que nous devons accomplir le ministère du mariage et de la famille. »

Ce fut donc une surprise qu’à la veille du synode [de 2015], Marx soit soudain devenu ambassadeur de l’unité et de l’obéissance à Rome:

« Nous devons essayer de rester unis », a-t-il dit. « L’Église est la seule institution au monde qui peut parvenir à un accord unanime. Dieu merci, nous avons le pape. Nous, les évêques, n’avons pas à décider. L’unité de l’Église n’est pas en danger. Et une fois que le pape aura décidé, nous nous conformerons à sa décision. »

J’ai suggéré à l’époque que ce renversement complet de sa position sans aucune explication était probablement le résultat de certaines assurances du pape que l’Église allemande allait obtenir exactement ce qu’elle voulait.
Et maintenant, avec le recul, nous savons que c’est ce qui s’est passé (les Allemands ont obtenu ce qu’ils voulaient)
Pour clarifier les choses, je vais vous donner un autre exemple, un peu plus complexe.

La question de l’intercommunion entre catholiques et protestants a été mise en avant lors d’une rencontre entre le pape et des luthériens à Rome en 2015. L’épouse luthérienne d’un catholique a demandé au pape si elle pouvait recevoir la communion dans une église catholique. Il a répondu:

C’est un problème auquel chacun doit répondre, mais un pasteur-ami m’a dit un jour: « Nous croyons que le Seigneur est présent là, il est présent. Vous croyez tous que le Seigneur est présent. Et alors quelle est la différence? » – « Eh, il y a des explications, des interprétations ». La vie est plus grande que les explications et les interprétations. Faites toujours référence à votre baptême. « Une foi, un baptême, un Seigneur ». C’est ce que nous dit Paul, et ensuite en tirer les conséquences. Je n’oserais jamais le permettre, car ce n’est pas ma compétence. Un seul baptême, un seul Seigneur, une seule foi. Parlez au Seigneur et allez de l’avant. Je n’ose rien dire de plus.

Dans les années qui ont suivi, cela déclencha une vague de développements sur l’intercommunion. En février 2018, ils ont culminé avec la décision des évêques allemands de publier un document d’orientation permettant aux protestants, sous certaines conditions, de recevoir la Sainte Communion dans les églises catholiques.
Cependant, en avril de la même année, le Pape François signa la décision de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de rejeter le document. Les évêques allemands nièrent que leur décision ait été rejetée. Des sources continuaient d’affirmer que non seulement elle avait été rejetée, mais que le pape avait expressément dit aux évêques allemands qu’il ne voulait pas publier un document sur l’intercommunion. (Vous entendez, la musique de la danse?)
Les catholiques fatigués de se battre se réjouirent que le pape ait pour une fois fait quelque chose d’orthodoxe.

Pas si vite, ai-je prévenu. Examinez son dossier à ce sujet. Il ne fait pas ce que vous croyez qu’il fait.

Et deux mois plus tard, nous avons eu notre réponse sur sa position. « Le Pape dit que les évêques locaux doivent trancher au sujet de l’intercommunion » titrait Crux le 21 juin 2018. François disait lors d’une conférence de presse en avion [de retour de Genève où il s’était rendu à l’occasion du 70e anniversaire du conseil œcuménique des églises] qu’il soutenait la demande faite par la CDF aux évêques allemands de « repenser » leur proposition.
Mais était-ce parce qu’il était opposé à l’intercommunion? Pas du tout:

En vertu du code de la loi Canon (sic!), c’est à l’évêque local de décider dans quelles conditions la communion peut être administrée aux non-catholiques, et pas aux conférences épiscopales locales.
« Le code dit que l’évêque de l’église particulière, et c’est un mot important, « particulière », dans le sens d’un diocèse, est responsable de ça… c’est entre ses mains. »
De plus – dit François -, le problème d’avoir une conférence épiscopale entière qui s’occupe de ces questions, c’est que « quelque chose qui a été élaboré dans une conférence épiscopale devient rapidement universel ».

Ce que François ne voulait pas, et là où les évêques allemands avaient trébuché sur la piste de danse (volontairement ou non), c’est qu’ils voulaient faire quelque chose d’explicite et de standardisé, qui aurait été plus efficace si cela avait été vague et relatif à chaque diocèse. Ils avaient fait preuve d’un peu trop d’organisation, ce qui va à l’encontre de l’idée que le pape se fait de « faire le bazar ».

Ils ont toujours eu exactement ce qu’ils voulaient. En fait, chaque évêque a obtenu encore plus de pouvoir sur la question que s’il s’agissait d’une politique à l’échelle de la conférence. L’illusion de l’opposition papale à l’intercommunion n’était que cela: une illusion.

J’appelle cette technique « bonneteau (shell game) papal », en référence au tour de magie où un magicien utilise une balle cachée sous l’un des trois gobelets et demande à son public de découvrir où elle se trouve lorsqu’il les replace sur la table:

Le problème avec la version bergoglienne de cette illusion est qu’il n’y a pas de révélation finale. Le magicien distrait le public de ce qui se passe sur la table et le remercie d’être venu sans jamais soulever les gobelets pour lui montrer où la balle a atterri. Il ne veut pas qu’ils sachent qu’il a fait son tour de magie, parce que tout son travail consistait simplement à les distraire assez longtemps pour qu’ils oublient qu’il faisait un tour.

Ceux qui regardent le spectacle rentrent chez eux en supposant que la balle est restée où elle était.
Mais elle n’est plus sous le gobelet « François-interdit-l’intercommunion-via-la-CDF« . Elle est à présent sous le gobelet « François-dit-que-les-évêques-individuels-peuvent-décider-des-règles-de-l’intercommunion« .
Et le résultat final ?
Pas de décision du sommet. Pas de décret officiel. C’est beaucoup plus facile de jeter la balle par terre et de créer le chaos. Atomiser et déconstruire la foi universelle, un évêque à la fois.


Nous revoilà donc avec les Allemands à la tête d’un « processus synodal », dont nous savons que François est friand. Après tout, toute sa papauté a été une véritable porte tambour d’émeutes synodales.
Ils [les allemands] impliquent un grand groupe de laïcs, ce qui est très « Vatican II », et qui semble super-collaboratif, et comme par hasard, ils ont choisi de travailler avec un groupe connu pour pousser à renverser les enseignements moraux non négociables de la Foi.
Et maintenant, le pape intervient, mettant en garde l’Église allemande :

… contre des « plans et des mécanismes » qui pourraient s’avérer « tout sauf utiles pour un chemin commun » pour l’Église. Le pape a dit que tout « chemin synodal » devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie.

« Ce que cela signifie concrètement et comment cela va se développer devra certainement être considéré encore plus profondément », a écrit le pape, rappelant aux Allemands que la synodalité « signifie sortir avec toute l’Église sous la lumière de l’Esprit Saint ».
L’objectif déclaré du groupe est de « livrer les premiers résultats intermédiaires » de leurs projets de résolution cet automne, les rapports « devant coïncider avec la réunion du Synode sur l’Amazonie à Rome, à laquelle les membres de la hiérarchie allemande se sont intéressés de près et où ils ont joué un rôle influent dans la rédaction des documents préparatoires ».

Zut, tout ça me semble bien familier.

Le pape fera-t-il pression pour un programme plus décentralisé en Allemagne? Les évêques allemands donneront-ils au pape l’assurance que même leurs décisions « contraignantes » seront le fruit d’un consensus populaire ?
Je ne sais pas, et ça n’a pas vraiment d’importance de toute façon. Ne vous laissez pas distraire par la danse. Quoi qu’ils veuillent vraiment, l’Église allemande obtiendra ce qu’elle veut, et elle deviendra la pépinière pour des résultats similaires dans d’autres pays où la volonté de suivre son exemple existe. Comme pour la communion dans la main, la permission limitée de continuer un abus peut se transformer rapidement en un droit universel. Ceux qui pensent différemment n’ont pas prêté attention.

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