Nico Spuntoni passent au crible l’homélie prononcée par le Pape lors de la Messe d’ouverture. Nous en avions brièvement parlé hier (Le Synode de la discorde), les mots de François laissent redouter l’ouverture de « la voie à la nouveauté dans l’Eglise ». Sans parler de l’attaque à peine voilée au président brésilien – nouvelle incursion de l’Eglise dans un domaine (la politique) qui n’est pas le sien.

Photo Vatican.va

Le Pape ouvre le Synode par une attaque voilée contre Bolsonaro

Nico Spuntoni
La NBQ
7 octobre 2019
Ma traduction

Dans l’homélie d’hier, en ouverture du Synode sur l’Amazonie, François a parlé à plusieurs reprises du « feu de Dieu », par opposition au feu par « intérêt » qui « a dévasté l’Amazonie ». Une critique de ceux qui défendent « le statu quo » semble ouvrir la voie à la nouveauté dans l’Église. Et les réprimandes pour les temps où « il y a eu colonisation au lieu d’évangélisation ne sont pas absentes!

Trois semaines. C’est le temps que durera le Synode ouvert hier par le Pape François avec la Messe célébrée dans la Basilique Saint-Pierre. À Saint-Pierre, les 184 Pères synodaux, en présence d’experts, auditeurs, invités spéciaux et représentants autochtones, ont défilé devant le Pape. Aux évêques convoqués à Rome pour l’Assemblée spéciale sur l’Amazonie, Bergoglio a dit dans son homélie que l’ordination épiscopale est « un don de Dieu » qui « ne s’achète pas, ne s’échange pas, ne se vend pas » mais que « l’on reçoit et l’on offre »: « Si nous nous l’approprions, si nous nous mettons au centre et ne mettons pas au centre le don, en tant que Pasteurs nous devenons des fonctionnaires: nous faisons du don une fonction et la gratuité disparaît, et ainsi nous finissons par servir nous-mêmes et par nous servir de l’Église ».

Un discours centré sur le verbe « raviver » pour relancer l’image favorite d’une Église « toujours en route, toujours en sortie ». « Si tout reste immobile, si ce qui rythme nos jours, c’est le ‘‘on a toujours fait comme ça’’, le don disparaît, suffoqué par les cendres des craintes et par la préoccupation de défendre le status quo », a affirmé Bergoglio. Des paroles qui ne semblent pas exclure la possibilité que l’assemblée qui s’est ouverte hier ouvre la voie à l’introduction d’innovations significatives dans la vie de l’Église.

En même temps, François, citant saint Paul, rappelle que « Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais de prudence ». Et puis il a mis en garde: « La prudence, ce n’est pas l’indécision, ce n’est pas une attitude défensive. C’est la vertu du Pasteur qui, pour servir avec sagesse, sait discerner, est sensible à la nouveauté de l’Esprit ».

L’image du « feu de Dieu » est revenue plusieurs fois dans l’homélie d’ouverture du Synode et a servi à l’opposer avec celle du « feu qui brûle et dévore ». Dans ce passage, Bergoglio a fait référence au « feu allumé par des intérêts qui détruisent, comme celui qui a récemment dévasté l’Amazonie », qui « n’est pas celui de l’Évangile ». Poursuivant l’opposition figurative, le pape a opposé le feu de Dieu comme source d’unité au feu dévorant qui, au contraire, « s’embrase quand on ne veut défendre que des idées personnelles, constituer son propre groupe, brûler les diversités pour uniformiser tous et tout. ».

Il y a eu aussi une critique singulière, avec une référence probable à l’histoire de l’évangélisation des Amériques: « que de fois le don de Dieu au lieu d’être offert est-il imposé, que de fois y a-t-il eu colonisation au lieu d’évangélisation!« , s’est exclamé Bergoglio. Cette observation a été suivie d’une invocation à Dieu pour « nous protéger de l’avidité du nouveau colonialisme ».

Entre-temps, du Brésil, le mécontentement du gouvernement en place continue de filtrer, à propos de la direction que le Synode sur l’Amazonie semble destiné à prendre: en effet, Bolsonaro et ses soutiens craignent justement que les projecteurs internationaux braqués sur la région et le message d’une menace constante aux droits environnementaux et humains dans cette zone puissent ouvrir la voie à une intervention étrangère: paradoxalement, l’un de ces « nouveaux colonialismes » dont parle le pape dans son homélie.

Ces derniers mois, le président brésilien a adopté la ligne de la prudence, préférant ne pas aller au choc frontal avec le Vatican, mais son irritation n’est pas un mystère: ce n’est pas par hasard qu’il a récemment reçu le nonce apostolique, Mgr Giovanni D’Aniello. Le contenu de la rencontre est resté top secret, mais il ne fait aucun doute qu’on a surtout discuté du Synode. D’autre part, Bolsonaro a dit qu’il voyait « beaucoup d’influence politique » dans les travaux préparatoires de l’Assemblée des évêques, et à l’ONU il a rejeté l’idée que les forêts amazoniennes sont les « poumons du monde » – une expression utilisée par le pontife lui-même dans ses appels contre les incendies.

La distance entre Brasilia et Rome semble vraiment infranchissable: encore la semaine qui vient de s’achever, le cardinal Claudio Hummes, rapporteur général du Synode et président de la REPAM, a insisté à nouveau sur l’importance des réserves indiennes qui – selon ses dires – seraient fondamentales pour « la conservation de l’Amazonie ». Idée à l’opposé de celle de Bolsonaro qui, tenant un engagement pris pendant la campagne électorale, a choisi de retirer la gestion des frontières des réserves à la Fondation nationale pour les peuples autochtones, pour la confier au ministère de l’Agriculture. Le leader du Parti social-libéral est convaincu que les réserves sont un obstacle au développement de l’agro-industrie et a dénoncé l’existence d’influences étrangères sur les communautés d’autochtones visant à entraver l’action de son exécutif.

En outre, il y a un peu plus d’un mois, le Cardinal Hummes s’est lancé à l’attaque de « son » président avec une lettre, signée au nom des évêques brésiliens du Synode, exprimant son regret d’avoir été criminalisé comme « ennemis du pays ».

Mais dans l’homélie d’hier, François a clairement indiqué qu’il « bénissait » le travail du cardinal brésilien (qui l’a soutenu lors du dernier conclave) malgré les critiques qu’il avait reçues chez lui, et il a fait explicitement son éloge, le définissant de manière significative comme « notre bien aimé cardinal Hummes ». Dans son discours d’ouverture, Bergoglio s’est donc dépensé en faveur des « nombreux frères et sœurs d’Amazonie » qui « portent de lourdes croix et attendent la consolation libératrice de l’Évangile, la caresse d’amour de l’Eglise ». Des mots qui semblent se référer aux peuples indigènes de la région et qui soutiennent l’idée d’une menace de mort constante due à la défense de leurs terres contre les phénomènes de déforestation et d’extraction sauvage.

Une narration toutefois rejetée par l’administration vert et or [allusion aux couleurs du drapeau brésilien], qui a toujours prétendu agir non pas contre les Indiens, mais contre les ONG qui y opèrent et qui – selon cette version – seraient des outils idéologiques et politiques sur des territoires soumis à la souveraineté brésilienne.

Nico Spuntoni

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