L’Abbé Barthe a la gentillesse de m’envoyer sa traduction complète de l’interview du Corriere, dans laquelle il y a surtout « du très bon », mais aussi « du très agaçant ». Quoi qu’il en soit, il est juste de lire la totalité de l’interview…
- Voir aussi: Cardinal Sarah
Entretien du Cardinal Robert Sarah avec Gian Guido Vecchi du Corriere della Sera, le 7 octobre 2019
Eminence, vous aviez consacré votre dernier livre au silence. Maintenant, vous écrivez dans Le soir approche et déjà le jour baisse : « Mais maintenant je ne peux plus me taire ». Comme s’il y avait eu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire de nouveau ?
« Ma réaction n’est évidemment pas guidée par l’impulsivité, et il n’y a aucune raison particulière qui en est la cause. Ce livre est le résultat d’une réflexion qui, pour moi, n’est pas nouvelle, que j’ai mûrie peu à peu depuis longtemps : ce n’est pas un traité académique, il exprime mon cri de pasteur à partir de l’analyse de notre époque. Je ne peux donc plus me taire – mais j’ose le dire : nous ne le pouvons pas – car ce que je constate en réalité est grave : nous vivons une crise spirituelle très forte. Nous sommes face à une apostasie silencieuse. Elle concerne le monde entier, mais trouve son origine principalement en Europe. Et cela vient du rejet de Dieu, un rejet qui est maintenant inscrit dans la conscience occidentale. Parce qu’aujourd’hui, c’est l’homme qui a remplacé Dieu. Le Père est rejeté et Dieu est rejeté, parce qu’on n’admet pas qu’on peut compter sur quelqu’un. Chacun veut s’autodéterminer, dans la vie, dans la mort, dans la sexualité, jusqu’à vouloir changer la nature humaine sur le fondement de ses propres idées. C’est quelque chose qui n’est jamais arrivé et qui est particulièrement pervers. Cela ne correspond pas au désir de l’homme de faire sans cesse de nouvelles découvertes, de progresser, d’utiliser en profondeur et pour le bien toutes les facultés cognitives et intellectuelles qu’il a reçues comme un don. Ici, nous sommes bien au-delà même du surhomme de Nietzsche. Aujourd’hui, nous vivons une barbarie de l’intérieur, pas comme les Romains du IV siècle qui l’ont vécue de l’extérieur, venant de leurs ennemis. Je vous invite à relire un livre du philosophe John Senior, The Death of Christian Culture, publié en 1978. Mon cri d’alarme est aussi un cri d’amour pour l’homme. Revenons à ce que nous sommes, revenons au réel. L’homme civilisé est fier d’être un héritier.
Beaucoup ont lu ou liront votre livre en opposition au pontificat actuel. D’autre part, le texte est dédié à la fois à Benoît XVI et à François, « le fils fidèle de saint Ignace ». Où est la vérité ?
« La vérité est que beaucoup écrivent non pas pour témoigner de la vérité, mais pour s’opposer les uns aux autres, pour nuire aux relations humaines. Ils se moquent complètement de la vérité. La vérité est que ceux qui m’opposent au Saint-Père ne peuvent présenter une seule parole, une seule phrase ou une seule attitude à l’appui de leurs déclarations absurdes, je dirais diaboliques. Le Diable divise, oppose les gens les uns contre les autres. La vérité est que l’Église est représentée sur terre par le Vicaire du Christ, c’est-à-dire le Pape. Et quiconque est contre le Pape est ipso facto en dehors de l’Église. Je comprends que la société humaine – et le monde intellectuel en particulier – a besoin de débats contradictoires pour définir ses propres positions, comme s’il n’y avait pas d’autres manières de comprendre que l’alternative entre » nous » et » eux « . Cela me semble être une erreur grossière, pour ne pas dire diabolique. Mais l’histoire de l’Église, avec l’esprit du diable qui veut la diviser, est une longue histoire faite de difficultés, de divisions mais aussi, et toujours, avec la recherche de l’unité dans le Christ, dans le respect des différences : c’est une histoire fondée sur la foi en un Dieu fait homme qui est venu partager avec chacun de nous le chemin de la vie et le fardeau de la souffrance. Tout le reste n’est que spéculations absurdes. J’ajouterais que chaque Pape est celui qui « convient » à notre époque, que la Providence voit très bien ce qui nous est nécessaire ; vous le savez cela ? La question est : ce que vous et moi avons reçu de nos pères est-il encore valable pour nos enfants ? Et si oui, comment faire pour qu’ils se réapproprient cet héritage ? C’est la vérité de ces évidences que nous sommes appelés à redécouvrir, à la fois avec l’analyse sans pareille de la pensée de Benoît XVI et avec la grande et lumineuse action de François. Avec la différence évidente de leurs sensibilités, il y a une grande harmonie et une grande continuité, comme chacun a pu le constater au cours de ces années. Nous devons toujours interpréter les paroles du Pape François en recourant à l’herméneutique de la continuité. Tout comme en son temps entre Jean-Paul II et Paul VI. L’histoire de l’Église est belle et la réduire à l’aspect politique typique des spectacles télévisés est une opération de « marketing », et non une façon de chercher la vérité ».
Quand a commencé la « nuit obscure » de l’Église ? Et pourquoi est-elle arrivée ?
« Trouver son origine précise n’est jamais facile. Chacun dira son point de vue et trouvera un moyen d’avancer ou de reculer dans le temps la date qui lui semble la meilleure, y compris en fonction des lectures « politiques » qu’il en fera. Il me semble cependant que les réflexions récentes de Benoît XVI cernent bien le problème : il ne s’agit pas d’une lecture de Mai 1968 ou concernant la pédophilie, comme on l’a écrit par erreur et faussement. C’est un texte sur la crise de la foi que nous vivons. Nous pouvons certainement dire que le siècle des Lumières, d’abord, puis Mai 68, ont accentué le processus, mais je ne m’arrête pas à cette constatation. La nuit obscure commence d’abord dans l’âme de l’homme, dans sa recherche effrénée pour créer aujourd’hui un « humanisme sans Dieu », où Dieu est l’homme lui-même, avec ses facultés, la puissance de la science, les lumières de la technologie, les richesses d’une économie toujours plus mondialisée et inhumaine. C’est la tentation du Maître du monde, pour citer un livre de Robert H. Benson cher au Pape François, qui a pris possession de notre conscience. Même les accents millénaristes resurgissent : « Dépêchons-nous, car soit nous sauvons le monde, soit nous serons les derniers habitants de la terre », entend-on, y compris dans l’Église et de la part de certains prêtres qui ont été trompés par des joueurs de flûte qui promettent des solutions infaillibles pour leurs propres intérêts personnels. C’est une hystérie incontrôlée. Une fois que nous nous aventurons sur ces chemins, à quoi sert le scandale de la Croix, à quoi sert le témoignage que nous devons rendre à Jésus-Christ ? Souvenons-nous de la perversité des idéologies totalitaires du passé récent, qui promettaient le paradis sur terre à leurs partisans. Une société inspirée par l’Evangile protège les plus faibles des conséquences du péché. Au contraire, une société coupée de Dieu devient rapidement une dictature et une structure de péché. Comme nous lisons dans l’Évangile de Jean : « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas vaincue. La vraie lumière est venue dans le monde, la lumière qui éclaire chaque homme. Il était dans le monde… mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 4-5. 9-11) ».
Vous manifestez votre crainte à l’égard de la doctrine, qui serait mise en doute ou diluée. Mais n’y a-t-il pas le risque d’une lecture trop rigide ? N’est-il pas naturel de s’interroger sur la doctrine ? Que la compréhension de l’Evangile peut évoluer avec le temps ?
« Si par compréhension nous entendons une interprétation qui change constamment pour s’adapter aux divers temps, je vous réponds : non. L’Evangile est l’Evangile, et il est la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est toujours valable quelle que soit l’époque, parce qu’elle transcende l’histoire et la vie terrestre des hommes. L’épître aux Hébreux dit : « Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il l’est pour l’éternité. Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères » (He 13, 8-9). La Parole et la Doctrine de Jésus ne changent pas. « l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours » (Is 40, 8). « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Mt 24,35 ; Mc 13,31 ; Lc 21,33). L’Église est prophétique ou non. Elle se tient devant les fragilités de l’homme, non pas pour les satisfaire, mais pour accompagner l’homme sur le chemin du bonheur, qui passe aussi par la Croix des difficultés, des épreuves et de sa conversion radicale. C’est pourquoi Jésus est venu parmi nous en disant : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est proche : convertissez-vous et croyez en l’Évangile » (Mc 1, 15). Si nous voulons nous interroger sur l’accueil de la doctrine, il serait étrange que nous ne le fassions pas : les questions innées de l’homme sur son propre destin sont toujours présentes, et il est normal de nous demander ce que les enseignements de l’Église nous disent tant à moi qu’à nous tous à notre époque. Mais soyons clairs : la doctrine n’est pas une vitrine d’antiquaire, c’est un corps vivant ».
Que voulez-vous dire par là ?
« La doctrine n’est pas un ensemble de préceptes moralisateurs, mais l’ensemble des enseignements qui nous viennent des Écritures, de la Parole de Dieu et de la Tradition. Ceux qui ne le comprennent pas doivent peut-être redécouvrir ce que cela signifie être chrétien et appartenir à l’Église aujourd’hui. Le fait est que l’homme ne tolère pas d’entendre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, parce que, comme je l’ai déjà dit, il veut déterminer cela par lui-même, annihiler son histoire jusqu’à sa propre identité. Mais la doctrine catholique est une personne ! C’est Jésus présent dans sa Parole. Comment pouvons-nous penser que l’Evangile est l’expression de quelque chose qui serait détaché de la réalité ? Soit notre foi est fondée sur la rencontre avec une Personne, qui est Dieu fait homme, par son Fils Jésus, et donc sur notre témoignage qui doit être renouvelé chaque jour pour le Christ mort et ressuscité, soit notre foi est fallacieuse et fondée sur les idoles de la modernité. Mais un père ou une mère qui ne montre pas à son fils le bon chemin, quel père est-il ? Et quelle mère est-elle ? On croit donc que l’ouverture de l’Église, à laquelle le Pape François nous appelle constamment et à juste titre, signifie la dilution de ce en quoi nous croyons dans la pensée de la société contemporaine, qui est sécularisée et décadente. Mais le Christ n’est pas venu pour céder à la société, il est venu pour sauver l’humanité de sa chute, pour apporter la Vérité et changer chacun de nous personnellement, en profondeur. La Vérité et les dogmes de la foi nous obligent à élever la barre, à viser haut, à vivre chaque jour pour devenir saints. Le relativisme est facile, parce que rien en lui n’a de valeur et ne compte : il conduit au désengagement de la vie et, par essence, à l’abaissement de l’homme. Je le répète : l’Église entre en crise quand, pour plaire au monde et se rendre acceptable, elle cesse d’être prophétique et s’adapte au sentiment commun ou à la pensée dominante, qui est aujourd’hui le relativisme ».
Le Synode sur l’Amazonie discutera également de l’hypothèse de l’ordination sacerdotale « viri probati ». Dans l’Église catholique, des Orientaux aux Anglicans retournés à la communion avec Rome, un clergé marié existe déjà. Mais François, en janvier, expliquait que cela ne changerait pas la discipline du célibat dans l’Église latine (« Je ne veux pas, c’est clair ») : seulement, on pourrait étudier la possibilité d’ordonner des « personnes âgées mariées » dans des « régions très éloignées » qui exerceraient seulement le « munus sanctificandi », donc « messe, confession, onction des malades », sans fonction de guide ni d’enseignement, les « munera regendi et docendi ».. Mais pourquoi cette hypothèse effraie-t-elle tant de gens ?
« Cela ne fait peur à personne. La proposition est théologiquement absurde et implique une conception fonctionnaliste du sacerdoce, en ce sens qu’elle cherche à séparer le tria munera (santificandi, docendi et regendi) en totale contradiction avec les enseignements du Concile Vatican II (Lumen Gentium n° 20-22, Christus dominus n° 2, Presbyterorum Ordinis n° 4-6) et de toute la Tradition de l’Église latine qui établit son unité substantielle. Et puis l’ordination sacerdotale des hommes mariés signifierait dans la pratique remettre en question le caractère obligatoire du célibat en tant que tel. A cet égard, nous devrions peut-être nous rappeler la phrase de saint Paul VI, que le pape François a faite sienne dans son discours devant un groupe de journalistes, le 27 janvier 2019 : » Je préfère donner ma vie plutôt que de changer la loi sue le célibat ». Je le répète : nous ne craignons rien. Le Synode étudiera, puis le Saint-Père en tirera les conclusions. La question est autre : il s’agit de comprendre le sens de la vocation sacerdotale. Se demander pourquoi il n’y a plus de personnes prêtes à tout donner pour Dieu, pour le sacerdoce et pour la virginité. Au lieu de cela, on préfère raisonner sur la base d’artifices, avec la présomption qu’ils pourraient aider à résoudre des problèmes plus vastes et souvent des problèmes de justice. Combien de fois ai-je entendu dire : si les prêtres pouvaient se marier, il n’y aurait pas de pédophilie. Comme si nous ne savions pas que ce problème, ou plutôt ce crime, concerne principalement les familles, parce que c’est là que cela se produit le plus. Ou : puisqu’il n’y a plus de vocations, mettons le paquet sur l’élargissement des facultés offertes aux laïcs. C’est cela la présomption des hommes. Et franchement, il ne me semble pas que les Églises où le célibat sacerdotal n’existe pas aujourd’hui soient beaucoup plus florissantes que l’Église catholique, si tel est le but de cette opération ».
Pourquoi le sacerdoce est-il en crise ?
« Je suis convaincu que la crise du sacerdoce est un élément central de la crise de l’Église : l’ennemi du sacerdoce aujourd’hui est l’efficacité, la productivité, comme si nous étions les employés d’une entreprise. Les prêtres ont été profondément abîmés dans leur identité. On leur a fait croire qu’ils devaient être des hommes efficaces. Un prêtre est fondamentalement celui qui continue parmi nous la présence du Christ. Il ne doit pas être défini par ce qu’il fait, mais par ce qu’il est : ipse Christus, le Christ lui-même. Pendant la Sainte Messe, le prêtre est face à face avec Jésus-Christ et à ce moment précis, il s’identifie au Christ, devenant non seulement un Alter Christus, un autre Christ, mais il est même Ipse Christus, le Christ lui-même. Si le prêtre est vraiment le Christ lui-même, comment imaginer ordonner des prêtres « âgés mariés » ? Ce sacerdoce ne serait pas le sacerdoce de Jésus Christ, mais une fabrication humaine, sans valeur christique. Eh bien, il est désespérant que certaines personnes s’enlisent dans la volonté de répondre avec un esprit légaliste à un problème qui concerne la foi et la vie, et d’ailleurs ces personnes sont souvent les mêmes qui sont toujours prêtes à contester le légalisme. Pourquoi vivons-nous cette situation aujourd’hui ? C’est la question que nous devons nous poser, mais c’est une question que tout le monde veut éluder. Le Pape François a déjà dit très clairement qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les solutions à court terme ne donnent que des réponses immédiates et satisfaisantes. Le problème, c’est la crise de la foi. Il y avait douze apôtres : si nous nous appuyons sur un raisonnement fondé sur le nombre, aucun chiffre ne sera jamais suffisant pour justifier et satisfaire l’orgueil des hommes ».
Mais que pensez-vous du Synode sur l’Amazonie ?
« J’ai entendu dire que certains veulent faire de ce Synode un laboratoire pour l’Église universelle, d’autres ont déclaré qu’après ce Synode rien ne sera plus comme avant. Si c’est vrai, c’est malhonnête et trompeur. Ce Synode a un objectif spécifique et local : l’évangélisation de l’Amazonie. Je crains que certains Occidentaux confisquent cette assemblée pour faire avancer leurs projets. Je pense en particulier à l’ordination des hommes mariés, à la création de ministères féminins ou à la juridiction des laïcs. Ces points touchent à la structure de l’Église. Profiter de cette occasion pour introduire des programmes de nature idéologique serait une manipulation indigne, une tromperie malhonnête, une insulte à Dieu qui guide son Église et lui confie son plan de salut. De plus, j’ai été choqué et indigné que la détresse spirituelle des pauvres en Amazonie ait servi d’excuse pour soutenir des projets typiques du christianisme bourgeois et mondain. C’est abominable ».
Vous avez écrit que vous voulez réconforter les chrétiens dans le désarroi. On a parfois l’impression que les plus perdus, aujourd’hui, sont précisément les plus rigoureux et les plus assidus des fidèles. Comme si, tandis que l’Église « sortante » de François s’adresse à la périphérie et au lointain, au « centre », elle se sentirait négligée. Une situation qui rappelle la parabole du fils prodigue et la consternation de son frère aîné, qui obéissait toujours à son père en le voyant préparer le veau gras pour le fils qui était parti. Ressentez-vous ce désarroi ?
« Alors, laissez-moi vous dire ceci : le problème est qu’il y a des prêtres, des évêques et même des cardinaux infidèles qui font défaut – et c’est tout aussi grave que bien d’autres péchés – en n’apportant pas la vérité du Christ aux autres ! Ils désorientent les fidèles chrétiens par leur langage confus, ambigu et liquide. Nous devons avoir le courage de retourner sur les chemins du combat spirituel : le combat de la foi, comme le dit saint Paul à Timothée, car notre arme principale est la prière. Beaucoup se sentent perdus parce qu’ils ont le sentiment et l’expérience que l’Eglise devient une corporation ou une ONG, ce qui est exactement le contraire de ce que le Pape François dit depuis le début de son pontificat. Les diatribes entre le centre et la périphérie vous intéressent : comme je le disais auparavant, vous êtes toujours à la recherche d’un « nous » et d’un « eux ». L’Église n’est pas cela ! Hélas, nous voulons faire de l’Église une société humaine et horizontale. Nous voulons parler un langage médiatique. Nous voulons la rendre populaire. Ainsi, les prêtres sont invités à ne pas parler de Dieu et du scandale de la Croix de Jésus, mais à s’engager corps et âme dans les questions sociales : agriculture, écologie, dialogue, lutte contre la pauvreté, justice et paix. On ne parle plus de Dieu mais de migrants, de marginalisés et de sans-abri !
Et cela nous manquerait, n’est-ce pas ?
« Ce sont là des questions importantes et vitales au sujet desquelles l’Église ne peut pas fermer les yeux. Mais personne ne s’intéresse à une telle Eglise. « Si l’Eglise oublie son âme contemplative, sa mission échouera et elle sera abandonnée par ses fidèles parce que sa spécificité ne sera pas reconnue en elle », a déclaré l’imam Yahya Pallavicini, Président de la COREIS (instance représentative de la communauté musulmane en Italie). L’Église n’est intéressante que parce qu’elle nous permet de rencontrer Jésus. La vraie réforme est celle du mode de vie des prêtres. Les prêtres doivent se sentir « hantés », si je puis dire, par le désir de sainteté. On croit parfois que l’histoire de l’Église n’est marquée que par des réformes structurelles, qui, elles aussi, sont nécessaires. Mais je suis sûr que ce sont les saints qui changent l’histoire. Les structures ne suivent et ne perpétuent alors que l’action des saints. C’est pourquoi je dis : des idées sur les réformes de la société, sur la manière d’orienter l’homme pour améliorer le mode de vie ou le soin apporté à la création, laissons-les au Pape, qui les exprime très bien, et, nous, travaillons pour ramener les fidèles à Dieu. J’ajouterais : les problèmes sociaux auxquels François fait face sont imprégnés et trouvent toujours leur origine dans le Christ. Chaque jour, le Pape parle de Jésus et de l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Christ : mais combien de fois les médias en parlent-ils ? Ils ne sont pas intéressés, et aussi souvent les prêtres, parce qu’il est beaucoup plus facile de s’arrêter à nos propres catégories humaines que d’ouvrir notre cœur et de dire : « Dieu, je suis à toi, je vais faire ce que tu veux ». Dans mon livre, je parle d' »athéisme liquide ». Il s’infiltre partout, même dans nos discours ecclésiastiques. Il consiste à admettre, à côté de la foi, des façons de penser et de vivre radicalement païennes et mondaines. Dieu n’occupe pas le centre de notre vie, de nos pensées et de nos actions. La vie de prière n’est plus centrale. Je suis convaincu que les prêtres doivent proclamer la centralité de Dieu par le témoignage de leur vie. Une Église où le prêtre ne porte plus ce message est une Église malade. Et pour revenir à la parabole du père miséricordieux que vous avez mentionnée : dites-moi, qui peut se sentir offensé parce que le père attend et accueille le fils qui est parti ? Qui va à la recherche de la brebis égarée ? Qui ? Ce n’est pas celui qui est dévoré par l’orgueil et la plénitude de soi. Au contraire, quel signe le Pape donne-t-il aujourd’hui ! Lui, le pasteur suprême de tous, s’abaisse pour aller chercher les brebis, et non seulement celles qui ont été perdues, mais aussi celles qui ne sont peut-être jamais entrées dans le bercail du fait de leur éducation ou de leur culture, donc les plus éloignées de l’Église. C’est cela l’évangélisation. Et c’est de ce témoignage dont tous les prêtres doivent s’inspirer, parce que c’est vivre l’Évangile dans la prière. C’est autre chose que l’efficacité du gestionnaire.