Giuseppe Nardi décrypte la signification de la nomination du « jeune » cardinal primat de Manille, théologien reconnu mais surtout représentant éminent de la dite « école de Bologne » qui interprète Vatican II selon une herméneutique diamétralement opposée à la « réforme dans la continuité » chère à Benoît XVI (qui l’a fait cardinal!) à la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples et sa promotion cette fois « officielle » comme papabile pour le prochain conclave et même successeur adoubé de François.

Entre Tagle et Parolin, ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour ceux qui espèrent que la fin de ce pontificat mettra aussi un terme à la confusion actuelle. Mais la date du prochain conclave étant dans un futur hypothétiques (il faut se rappeler la succession de Jean-Paul II: combien de papabili promus par les médias sont rentrés dans l’ombre, voire morts avant le pape qu’ils devaient remplacer), rien n’est encore joué! Et on le sait, « Dieu écrit droit sur des lignes courbes ».


L’ascension de Luis Antonio Tagle

Une nomination sous le signe de la succession du pape François.

Giuseppe Nardi
katholisches.info
9 décembre 2019
Traduction d’Isabelle

(Rome) En ce deuxième dimanche de l’Avent, fête de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, le Vatican a annoncé la nomination du cardinal Luis Antonio Tagle comme préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples. Depuis de nombreuses années, le cardinal philippin est considéré comme « papabile » et comme un possible successeur du pape François.

Le cardinal Tagle, archevêque de Manille et primat des Philippines depuis 2011, succède ainsi au cardinal Fernando Filoni, qui, depuis 2011 aussi, était préfet de la Congrégation de Propaganda Fide, comme s’appelait jadis la congrégation romaine fondée en 1622 pour le Nouveau Monde.

Le cardinal Filoni n’a encore que 73 ans et n’a donc pas encore atteint l’âge canonique pour présenter sa démission. Pour la perte de sa charge, il a reçu du pape François l’honneur et la dignité de Grand Maître de l’Ordre équestre  du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

Cet ordre se rattache aux anciens ordres traditionnels des chevaliers croisés. Si, sous sa forme actuelle, il n’existe que depuis 1868, il  prolonge néanmoins la tradition des Milites Sancti Sepulcri de 1099. Le rétablissement, en 1847, du patriarcat latin de Jérusalem joua un rôle décisif à cet égard. L’Eglise utilisa les possibilités qui s’ouvraient alors pour encourager, en Terre Sainte, des projets pour la préservation des lieux saints. Jusque-là, et depuis la perte des derniers bastions des croisés, l’Ordre était rattaché à l’ordre franciscain et la dignité de grand Maître à celle de pontife romain ou de patriarche latin. Depuis 1949, il y a, pour cette raison, des légats pontificaux. Si elle comporte du prestige, la dignité de Grand Maître n’implique pas une influence quelconque sur le gouvernement de l’Eglise.

La deuxième promotion de Tagle par le pape François

Sous le pontificat de François, cette promotion est la seconde pour le cardinal Tagle. Celui-ci posa les bases de son ascension en tant que collaborateur de la très progressiste « Ecole de Bologne », qui prétend au monopole de l’interprétation du Concile Vatican II. Elle défend, depuis sa fondation, l’herméneutique de la rupture, concept progressiste, qui distingue entre « préconciliaires » et « postconciliaires » ;  les premiers étant destinés à être supplantés à tous points de vue.

Tagle, en larmes, reçoit la barrette des mains de Benoît XVI le 24 novembre 2012

Le pape Jean-Paul II nomma, en 2001, le sympathique et éloquent théologien comme évêque de Imus. Le pape Benoît XVI le promut en 2011 archevêque de Manille et primat des Philippines et le créa cardinal en novembre 2012 au cours d’un consistoire « complémentaire », quelques semaines avant l’annonce de sa renonciation. On a expliqué cette promotion insolite par le « faible » de Benoît XVI pour les théologiens. Il serait plus intéressant de savoir quelle recommandation fut à l’origine de cette nomination. En tout cas, le pape émérite a rendu possible, sous de tout autres auspices, l’ascension ultérieure de Tagle.

A peine fait cardinal, le Philippin était déjà cité comme « papabile » lors du conclave de 2013. Depuis l’élection du pape François et le changement d’ambiance qui l’accompagne, des voix plus insistantes le présentent comme le successeur « naturel » du pape argentin. Et l’Ecole de Bologne n’est pas la seule à penser ainsi et à faire, depuis longtemps, la promotion de Tagle comme un « François II ». En novembre 2016, le directeur de l’Ecole a désigné le cardinal comme le « parfait interprète de François ».

C’est en mai 2015 que Tagle reçut, du pape François, sa première promotion :  celui-ci le fit président de Caritas Internationalis et successeur à ce poste du cardinal (et fidèle du pape) Oscar Rodriguez Maradiaga.

Hier a suivi sa seconde promotion, puisque François l’a appelé dans le cercle illustre des préfets des neuf congrégations romaines, les dicastères les plus élevés en rang du Saint-Siège.

A la charge de préfet de la Propaganda Fide est liée automatiquement celle de Grand Chancelier de l’université pontificale Urbaniana, et aussi le « titre » informel de « pape rouge ». C’est ainsi qu’on appelle le préfet de la Propaganda Fide, à côté du pape noir, le général des jésuites, et naturellement du vrai pape, vêtu de blanc.

Le congé prématuré donné au cardinal Filoni indique un changement d’orientation de l’activité missionnaire de l’Eglise. Un changement déjà perceptible, ces dernières années, à plusieurs indices d’importance inégale, dont quelques-uns sont énumérés ci-dessous :

  • le combat acharné du pape François contre le prosélytisme, qui est perçu comme un refus de la mission.
  • la réponse du pape françois à l’athée Eugenio Scalfari, signifiant qu’il ne voulait pas le convertir ;
  • le document de décembre 2015 de la Commission pour les relations avec le judaïsme, qui dépend du président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, où l’on explique le « refus » d’une « mission institutionnelle » de l’Eglise « envers les Juifs ».
  • la déclaration du pape François lors d’une rencontre mondiale du mouvement des Focolari, selon laquelle la religion à laquelle on appartient n’aurait « pas d’importance ».
  • la signature du Document sur la fraternité humaine à Abu Dhabi, dans lequel  on affirme que la « pluralité des religions » est une expression de la volonté divine ;  ce que François a répété plusieurs fois depuis lors.
  • la création d’un Conseil Supérieur  pour la réalisation de ces objectifs ;
  • le soutien au projet de l’Abrahamic Family House à Abu Dhabi, avec son centre de culte commun pour les trois religions « abrahamiques » et la construction d’une église, d’une synagogue et d’une mosquée ;
  • la reconnaissance d’idoles païennes dans le sillage du Synode sur l’Amazonie,traitées avec vénération par des dignitaires de l’Eglise et leur présence dans la basilique Saint-Pierre et dans une autre église.

Si l’on en croit l’écho médiatique favorable, le cardinal Tagle aurait ainsi reçu, du pape François, la mission de mener à bien ce changement d’orientation.  Le site progressiste Religion Digital ne cachait pas sa joie :

« Le pape François poursuit la révolution de la Curie. »

Avec cette nomination, le pape François lui donne un supplément de visibilité internationale. François, ce faisant, l’a placé lui-même dans le cercle des successeurs possibles.

Le général des jésuites, Arturo Sosa Abascal, a déclaré à la mi-septembre que les critiques du pape François dans l’Eglise avaient finalement compris que le pape argentin « ne changerait pas d’avis ». Le « pape noir » voulait  dire que François ne déviait pas de son but, dès lors qu’il était convaincu de son bien-fondé. C’est pourquoi le père Sosa a ajouté :

« Il est déjà question de sa succession ».

Cela vaut aussi et surtout dans les projets de François – qu’il ait ou non choisi pour cela le cardinal Tagle. François veut avoir son mot à dire. Et c’est dans cette optique qu’ont lieu les créations cardinalices.

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