entre les « deux papes ». Ce n’est pas la première fois que nous en parlons ici, et la question a déjà été soulevée par beaucoup. Mais c’est la première fois qu’éclate au grand jour une conséquence néfaste. Le professeur de Mattei (qui parle de grave « erreur théologique » du cardinal Ratzinger!) et un théologien italien, Miguel Cuartero Samperi, proche du cardinal Sarah (*) alimentent la réflexion.

(*) Il a publié en 2019 un ouvrage « Tommaso Moro. La luce della coscienza » , préfacé par Robert Sarah


Le vrai gâchis est la cohabitation des deux Papes…

Roberto de Mattei
Corrispondenza Romana
15 janvier 2020
Ma traduction

La dernière polémique, qui a explosé après la publication du livre sur le sacerdoce du cardinal Sarah et de Benoît XVI, confirme la situation de confusion douloureuse dans laquelle se trouve l’Église aujourd’hui.

La nouvelle d’un texte écrit à quatre mains par le pape émérite et le cardinal Robert Sarah a explosé comme une bombe le 12 janvier. Le livre, présenté par Nicolas Diat, l’homme de confiance du cardinal Sarah, a été publié par Fayard sous le titre Des profondeurs des nos cœurs et contient une défense ferme du célibat ecclésiastique. Le lobby médiatique progressiste est immédiatement passé à l’offensive, niant que le pape émérite ait jamais écrit un livre avec le cardinal Sarah et accusant ce dernier d’avoir entrepris une « opération éditoriale » contre le pape François. Le cardinal Sarah a réagi très fermement de son côté: « Je déclare solennellement que Benoît XVI savait que notre projet prendrait la forme d’un livre. (…) Certaines attaques semblent insinuer un mensonge de ma part. Ces diffamations sont d’une gravité exceptionnelle ».

Le 14 janvier cependant, Mgr Georg Gänswein, secrétaire de Joseph Ratzinger et préfet de la Maison Pontificale, a partiellement démenti le cardinal Sarah, lui demandant de retirer la signature du pape émérite en tant que co-auteur du livre:  » Le pape émérite savait que le cardinal préparait un livre et avait envoyé son texte sur le sacerdoce l’autorisant à l’utiliser comme il le souhaitait. Mais il n’avait approuvé aucun projet de livre à double signature, ni vu et autorisé la couverture. C’était un malentendu sans que la bonne foi du Cardinal Sarah soit mise en doute ».

Le cardinal guinéen n’a pas accepté d’être désigné comme responsable du malentendu et a publié trois lettres, avec les dates du 20 septembre, du 12 octobre et du 25 novembre 2019, d’où émerge la pleine harmonie entre lui et Benoît XVI, lequel donne le feu vert à la publication avec ces mots: « Pour ma part, le texte peut être publié sous la forme que vous avez prévue ».

Cependant, la demande de Mgr Gänswein a été acceptée et dans les prochaines éditions, la double signature sera supprimée du livre, dont l’auteur sera le « Cardinal Sarah avec la contribution de Benoît XVI ». Par contre, « le texte complet reste absolument inchangé », a précisé le cardinal Sarah dans un tweet.

Un vrai « gâchis », dont la responsabilité semble être celle du collaborateur du Cardinal, Nicolas Diat, qui a probablement insisté sur l’initiative plus qu’il ne devait, et surtout de Mgr Gänswein, qui a certainement cédé à la pression de ceux qui voulaient ‘vider’ le contenu du livre, également dans le but de disqualifier le cardinal guinéen, abusivement présenté comme « ultraconservateur ».

De l’affaire, cependant, il ressort un gâchis bien plus grave, qui est celui de la cohabitation contre nature au Vatican des deux Papes, surtout lorsque l’un d’eux, Benoît XVI, après avoir renoncé au pontificat, garde son nom, conserve sa habit blanc, donne la Bénédiction Apostolique, qui n’appartient qu’au Souverain Pontife et rompt une fois de plus le silence auquel il s’était voué en démissionnant. En un mot, il se considère comme Pape, même s’il est « émérite ».

Cette situation est la conséquence d’une grave erreur théologique du cardinal Ratzinger. En conservant le titre de pape émérite, comme cela se passe pour les évêques, il semble croire que l’accession au pontificat imprime à l’élu un caractère indélébile analogue à celui du prêtre. En réalité, il n’existe que trois degrés sacramentels de sacerdoce: le diaconat, le presbytérat et l’épiscopat. Le pontificat appartient à une autre hiérarchie de l’Église, celle de juridiction ou de gouvernement, dont il constitue le sommet. Une fois élu, le Pape reçoit la charge de juridiction suprême, et non un sacrement de caractère indélébile. Le sacerdoce ne se perd pas même avec la mort, car il existe « in aternum« . On peut au contraire « perdre » son pontificat, non seulement avec la mort, mais aussi dans le cas d’un renoncement volontaire ou d’une hérésie manifeste et notoire. S’il renonce à être pontife, le Pape cesse d’être pontife: il n’a pas le droit de porter l’habit blanc ni de donner la bénédiction apostolique. Du point de vue canonique, il n’est même plus cardinal, mais redevient un simple évêque. Sauf si son renoncement est invalide: mais cela, dans le cas de Benoît XVI, doit être prouvé. De fait, le titre de Pape aujourd’hui est attribué à François et à Benoît, mais l’un d’eux est certainement abusif, car un seul peut être le Pape dans l’Église.

L’histoire de l’Église a connu des papes et des antipapes qui se sont battus les uns contre les autres, mais chacun d’eux a excommunié l’autre et la clarté imposait des choix, comme cela s’est produit dans le grand schisme d’Occident, dans lequel toute la chrétienté s’est trouvée excommuniée, par l’un ou l’autre des papes et les fidèles ont été contraints de prendre position. Ce qui n’est jamais arrivé, c’est que deux Papes se reconnaissent mutuellement comme légitimes et se respectent et se révèrent, sauf pour se battre en coulisses par un intermédiaire. Essayer de les monter publiquement l’un contre l’autre est une entreprise ingrate, démentie par les faits et vouée à l’échec. Il n’y a pas de « bon » Pape, et pas de « mauvais » Pape. Il n’y a pas deux Papes. Il n’y a qu’une grande confusion, destinée à s’accroître.

Que se passera-t-il en effet quand le processus de liquidation du célibat ecclésiastique, officiellement initié par le Synode sur l’Amazonie, sera poursuivi par le « parcours synodal » de la Conférence épiscopale allemande? Le pape François donnera-t-il le feu vert aux évêques allemands? Et que dira Benoît XVI face au « parcours » de ses frères allemands, qui annoncent vouloir donner une « valeur obligatoire » à leurs décisions en Allemagne ? Pour sa part, le cardinal Sarah confirmera-t-il « l’obéissance filiale au Pape François » qu’il manifeste dans son communiqué de presse du 14 janvier ou unira-t-il sa voix à celle des cardinaux qui entendent résister au processus d’autodémolition de l’Église, suivant l’enseignement apostolique: « il faut obéir à Dieu plus qu’aux hommes » (Ac 5, 29)?
C’est l’heure de la clarté, pas de la confusion.


« Silence, l’émérite! Silence pour toujours! »

Ironie et mensonges contre le Cardinal Sarah et Benoît XVI.

La censure et les offenses des Vaticanistes de la miséricorde et de la tendresse.

Miguel Quartero Samperi
14 janvier 2020
www.sabinopaciolla.com
Ma traduction

La situation qui s’est créée depuis 2013, avec la renonciation du pape Benoît XVI et l’élection du pape François au trône papal, est pour le moins anormale. La cohabitation (qui dure maintenant depuis sept ans) de « deux papes » au Vatican est sans précédent dans l’histoire bimillénaire de l’Église, principalement parce qu’aucun des deux, entre Benoît et François, n’est un pontife illégitime ou schismatique, mais légalement élu par le Collège des cardinaux selon les normes canoniques en vigueur.

Le renoncement de Benoît a sans doute représenté un casse-tête pour les canonistes puisque le Code de Droit Canon ne prévoit pas, et donc ne réglemente pas, la figure du pontife émérite (alors que celle de l’évêque émérite est habituelle). Il est prévisible que dans les années à venir on envisagera la possibilité d’intervenir canoniquement en définissant le rôle, le statut et d’autres détails concernant la vie et la mission des futurs Souverains Pontifes émerites.

En soi, du point de vue de la vie et du gouvernement de l’Église, le problème ne se pose pas : François est le feliciter regnante selon l’ancienne expression latine réservée au pape ou au roi au gouvernement. Et Benoît XVI jouit de ses dernières années dans la prière et le retrait, représentant un patrimoine spirituel et théologique d’une énorme profondeur pour l’Église (comme l’a déclaré le pape François lui-même).

Ce n’est certainement pas le moment d’imposer des règles de conduite au vieux Benoît XVI. Il n’est évidemment pas possible de penser que, plus de six ans après son retrait, il sera obligé de renoncer à son nom, à sa bague, à son titre, à sa soutane blanche et à sa calotte blanche, ou qu’il sera obligé de se taire ou de s’éloigner du Vatican pour éviter les interférences et les courts-circuits théologiques avec le pape régnant. C’est pourtant ce que beaucoup semblent vouloir, craignant que la figure et les paroles de Benoît XVI puissent représenter un danger pour l’unité de l’Église, interprétant toutes ses interventions publiques comme un « magistère parallèle », quand ce n’est pas comme une action subversive et ciblée contre l’autorité du pape François.

Beaucoup d’actes et de paroles du pape Benoît ont été interprétés dans ce sens. Il a suffi, par exemple, d’un message de condoléances pour la mort du cardinal Meisner en juillet 2017 ou d’une photo avec le professeur Melina, ancien doyen de l’Institut Jean-Paul II exclu d’enseignement par le nouveau chancelier Mgr Paglia pendant l’été de 2019. En avril dernier, la publication par le locataire du monastère de Mater Ecclesiae d’un long article dans lequel il exposait son idée sur le scandale des abus sexuels dans l’Église a fait grand scandale. Dans cette contribution, publiée en marge du Sommet du Vatican sur les abus convoqué par le pape François, Benoît XVI cite parmi les principales raisons du drame des abus, l' »effondrement progressif de la théologie morale » au sein du monde catholique et la crise de la foi qui a fait sortir Dieu de l’horizon de la pensée et de la vie de l’homme occidental. La publication des « notes » sur les abus a fait éclater une polémique parmi les secteurs les plus progressistes de l’Église, manifestement offensés et blessés par la contribution de Benoît XVI qui, en tant qu’émérite, aurait dû éviter de se prononcer sur la question.

Ces jours-ci, une vague de protestations contre le pape émérite alimente la polémique après l’annonce d’un livre écrit par Benoît XVI et le cardinal Robert Sarah, considéré par beaucoup comme un cheval de Troie au Vatican, non seulement en raison de son étroite amitié avec le pape Benoît, mais surtout en raison de ses positions sur la liturgie, la morale et l’immigration lues comme des positions en contraste avec celles du pape François (mais qui, à vrai dire, sont en parfaite harmonie avec la tradition et le magistère ecclésiastiques). Le livre, intitulé « Des profondeurs de nos cœurs » est publié par Fayard en France, Ignatius Press aux Etats-Unis d’Amérique et Cantagalli en Italie (éditeurs qui ont publié la trilogie du cardinal Sarah, trois livres qui sont devenus les best-sellers religieux incontestés de ces dernières années). Le thème central du livre est le célibat sacerdotal, une discipline aujourd’hui remise en question par le Synode sur l’Amazonie, mais que les auteurs considèrent comme vitale pour le maintien du sacerdoce ministériel et de l’Église catholique. Ils écrivent « du fond de leurs cœurs », pour demander de ne pas toucher au fondement du sacerdoce, après la prière et la méditation :

« Il y a un lien ontologico-sacramentel entre le sacerdoce et le célibat. Tout remodelage de ce lien constituerait une remise en cause du magistère du Concile et des papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. Je prie humblement le Pape François de nous protéger définitivement d’une telle éventualité, en opposant son veto à tout affaiblissement de la loi du célibat sacerdotal, même limité à l’une ou l’autre région ».

Sans attendre de lire le livre, de nombreux commentateurs ont sauté sur leur chaise à l’idée que l’émérite puisse intervenir sur un thème récemment traité – de manière « aperturiste » – par le récent spectaculaire synode (c’est le cas de le dire) sur l’Amazonie, mais apparemment encore « ouvert » et en attente de définition: celui du célibat sacerdotal. Il est probable que beaucoup d’hommes mariés ont un grand désir de devenir prêtres et que beaucoup de prêtres ressentent un désir irrésistible de se marier (dans les deux cas, nous devrons parler d’une « crise vocationnelle à l’âge adulte ») ; sinon, comment expliquer une telle clameur pour un sujet comme celui-ci? Ou bien, le simple fait que le pape Benoît XVI exprime son jugement est-il considéré comme nuisible à la dignité du pape François ?

Selon le Vaticaniste Iacopo Scaramuzzi d’Aska News (agence de nouvelles italienne), il s’agit d’une véritable « attaque contre François et le Synode ». Benoît, « ne respecte pas la promesse de rester caché et d’obéissance annoncée par lui-même » et a eu « peu de sens des institutions » en se prononçant sur le sujet du célibat sans respect ni pour le Pape François ni pour le Synode des évêques qui vient de discuter de la question en approuvant un changement de doctrine à la majorité.

Le biographe n°1 du pape François, le journaliste Austen Ivereigh tonne sur Twitter parlant d' »une opération éditoriale sophistiquée menée par le cardinal Sarah, Nicolas Diat et leurs riches soutiens anti-François« . Une cour sans scrupules travaillant dans le dos de Benoît XVI lui-même.

Un qui s’échauffe facilement, c’est le professeur Massimo Faggioli, professeur de théologie à la prestigieuse Université de Villanova, qui ironise sur internet « Pie IX est de retour! » et encore « Seule une Catherine de Sienne du 21ème siècle peut libérer l’Emérite de son emprisonnement au Vatican ».

Christopher Strack, journaliste de la Deutsche Welle à Berlin, parle de la présence et de la voix du Pape Benoît comme d’un « choc pour l’Eglise » et attaque durement le livre pour sa couverture! Le nom qui apparaît sur la couverture est en fait Benoît XVI qui sur la photo est habillé en pape, mais – dit Strack – « celui qui parle à côté de Sarah est en réalité un vieux prêtre qui a de nombreux mérites théologiques, qui depuis le 28 février 2013 n’est plus Benoît XVI, et dont la couleur n’est plus le blanc papal. Il est l’évêque de Rome démissionnaire ». A son successeur (François) de s’en occuper ». Voilà pour Strack. Tout ça de Berlin.

Le journaliste Cernuzio de Vatican Insider rappelle les paroles de Benoît XVI avant sa démission – « En ce moment de ma vie, le Seigneur m’appelle à gravir la montagne, à me consacrer encore plus à la prière et à la méditation » -, pour souligner « sept ans après, lettres, documents, notes, un livre ». Incohérences de l’émérite.

Le prêtre jésuite James Martin, champion de la pastorale LGBT, et chroniqueur de la revue America, ne pouvait pas être absent. « N’a-t-il pas dit, en démissionnant, qu’il serait caché du monde? » s’interroge le jésuite qui demande comment un vieil homme comme Ratzinger, qui est actuellement « incapable de tenir une conversation pendant plus de quinze minutes », avait réussi à écrire un livre.

Réactions déplacées et gênantes qui ne sont certainement pas nouvelles pour ceux qui connaissent ces professeurs tout prêts, Code et Catéchisme en main, à critiquer le Pape émérite dès qu’il ouvre la bouche. Nouveaux maîtres d’une théologie qui n’a plus de maîtres, où c’est celui qui parle le plus fort ou qui ose le plus qui l’emporte.

Mais l’accusation la plus grave vient de la revue des jésuites americains, America, où Gerard O’Connell affirme que Benoît XVI n’aurait rien écrit et n’aurait jamais approuvé la publication du livre. Un Benoît XVI victime d’une grave extorsion par le Cardinal Sarah. La nouvelle a été immédiatement reprise par plusieurs personnages que l’on vient de mentionner (d’Austen à Faggioli) sans attendre les démentis ou les preuves de O’Collins et de sa « source fiable ».

[La partie qui suit ignore encore les derniers développements]

La réponse du cardinal guinéen ne s’est pas fait attendre longtemps, il a tweeté des preuves de sa collaboration effective avec le pape Benoît (lettres autographes qui parlent du texte en préparation). Sarah écrit: « Certaines accusations semblent suggérer que j’ai menti. Ces diffamations sont d’une gravité exceptionnelle. J’offre dès ce soir les premières preuves de mon étroite collaboration avec Benoît XVI pour écrire ce texte en faveur du célibat. Je parlerai demain si nécessaire. RS + ».

Attaques très graves et injustifiées contre un cardinal de la curie contraint de prouver son innocence contre les fake news lancées par la nouvelle censure des Vaticanistes qui semblent crier : « Faites taire l’émérite. Qu’il se taise pour toujours ».

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