Avec ce brillant tour d’horizon qui prend la forme ironique d’un « cours accéléré », Marcello Veneziani dissèque les symptômes de cette utopie du siècle, inversion sans précédent du bon-sens, au détriment de la logique, de nos convictions, de nos valeurs et de la vérité même. Il poursuit ainsi son exploration de notre société malade, vue par un intellectuel de droite (il y en a donc encore?) qui tente de survivre dans un monde où les idées de la gauche la plus folle ont pris le pouvoir.

Cours intensif sur le politiquement correct

Marcello Veneziani (La Verità, 16 février)
Ma traduction

Mais c’est quoi, exactement, le politiquement correct? Nous le mentionnons tous les jours sans peut-être en saisir tout le sens. Je vais essayer d’offrir un guide succinct, un résumé critique et un jus concentré.

Pour commencer, le politiquement correct est un canon idéologique et un code d’éthique qui monopolise la mémoire historique, le récit global du présent et prescrit la manière de se comporter. Né des cendres de 68, il progresse aux États-Unis et en Europe du Nord, il se développe en remplaçant le communisme par l’esprit radical (ou le radical chic selon Tom Wolfe) et en remplaçant l’hégémonie marxiste et gramscienne par le « bigotisme progressiste » (comme le définit Robert Hughes). Il rompt les ponts avec le sentiment populaire, ne représente plus le prolétariat, du moins celui de nos sociétés; il sépare les droits des devoirs et les lie aux désirs, rejette les limites et les frontières personnelles, sociales, sexuelles et territoriales, au nom d’une liberté sans limite, et remplace la nature par la volonté des sujets.

Et il remplace l’anticapitalisme par l’antifascisme, adhérant à l’establishment techno-financier dont il entend s’accréditer comme son précepteur.

Le politiquement correct est une forme de réductionnisme idéologique qui produit les fractures suivantes: a) il réduit l’histoire, l’art, la pensée et la littérature au présent, en ce sens que tout ce qui s’est passé doit être lu, réécrit et jugé à la lumière du présent, selon les canons corrects et les genres; b) il réduit la réalité au moralisme, en ce sens qu’il rejette les choses telles qu’elles sont et les réécrit comme elles devraient l’être selon son code d’éthique et de genre; c) il réduit la révolution dont on a vainement rêvé au XXe siècle et en 1968 à une mutation lexicale, en ce sens que, la réalité des choses et l’imperfection du monde ne pouvant être modifiées, les mots sont changés pour les indiquer, adoptant un langage hypocrite et rococo; d) il réduit les différences idéologiques à une superidéologie globale ou pensée unique, qui se nie comme telle.

Aux quatre réductions ci-dessus, le politiquement correct ajoute une série de remplacements: 1) il remplace le sentiment commun, l’intérêt populaire, les liens familiaux et communautaires par la priorité donnée à certaines diversités et minorités, considérées comme discriminées ou marginalisées. Et il adopte un schéma victimiste: ce ne sont pas les grands, les héros, les génies qui méritent les honneurs, les rues, les louanges unanimes, mais les victimes (héritage chrétien, note René Girard). 2) il remplace la préférence pour ce qui nous est propre – notre identité, nos traditions, notre façon de voir, notre civilisation et notre religion, nos liens et nos appartenances – par la préférence pour tout ce qui est lointain – les cultures et les coutumes des autres, les migrants, les mondes lointains, les raisons de ceux qui viennent de l’extérieur (ce que Roger Scruton appelait l’oicophobie); 3) il remplace la vieille dichotomie entre compatriote et étranger, ou la dichotomie politico-militaire entre ami et ennemi par la dichotomie entre Bien et Mal, de sorte que celui qui n’est pas aligné sur le canon n’est pas celui qui pense différemment ni un adversaire à combattre, mais est le Mal absolu à éradiquer et à annihiler. Avec l’ennemi, vous pouvez conclure un pacte, vous pouvez le vaincre et le soumettre; pas le Mal, il doit être effacé et damné dans la mémoire. 4) il remplace l’adversaire, le dissident, l’antagoniste par le raciste, l’ennemi de l’humanité, du progrès et de la raison. Et il lui réserve un traitement à mi-chemin entre la pathologie et la criminologie, l’accusant de phobies: il est homophobe, sexophobe, islamophobe, xénophobe, etc. Par conséquent, il n’y a pas de querelle avec lui, mais on l’isole au moyen d’un cordon sanitaire, on le confie à la prophylaxie médicale et à la prévention dans les écoles, les universités et les médias; ou, quand le cas est confirmé, on le confie aux tribunaux et à la condamnation. Le préjugé idéologique réduit les dissidents au rang de pré-jugés, c’est-à-dire condamnés par l’histoire, le progrès et la raison. Pas de conflits mais des bombes humanitaires, des opérations de police culturelle ou international.

Pour le politiquement correct, la réalité, la nature, la famille, la civilisation jusqu’à présent connue, vécue et nommée, sont erronées. Le politiquement correct est le moralisme en l’absence de moralité, le racisme éthique en l’absence d’éthique, le bigotisme en l’absence de religion.
Voilà, en résumé, le politiquement correct.

Apostille finale consacrée à la façon dont on réagit. Qui rejette l’imposition du politiquement correct et réagit par l’insulte contre ses totems et ses tabous, entre pleinement dans son jeu et en confirme le bien-fondé et la structure. C’est une forme de réponse stupide et instinctive qui renforce le politiquement correct. En termes d’efficacité, la réponse opposée, mimétique, de ceux qui jouent le jeu, cèdent, se taisent ou se réjouissent, répondant avec hypocrisie à l’hypocrisie du politiquement correct n’est pas meilleure. Dans ce cas aussi, on reste sur son terrain, on fait son jeu, on vise une survie immédiate et individuelle compromettant une vision alternative plus large.

Souvent, on se limite à opposer à l’idéologie la réalité, à sa narration la vie pratique. Au contraire, il faudrait tenter l’effort inverse: démanteler leurs tics, totems et tabous, en utilisant l’arme de l’intelligence, de la confrontation culturelle, du sens critique et de l’ironie. Et en indiquant des voies alternatives, des lectures différentes, d’autres priorités. Ici, malheureusement, l’intolérance de l’un rencontre l’insipidité de l’autre, résultat de l’ignorance, de la paresse et de l’indifférence.

Si le politiquement correct domine, c’est aussi parce qu’il ne trouve pas de réponses adéquates. Seulement des expulsions et des silences. La ville est aux mains des fous, dit le souverain aux messagers d’une ville en révolte; mais les « sages », pendant ce temps-là, que font-ils leur demanda le roi Charles d’Anjou? Posons-nous la question, nous aussi.

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