Nico Spuntoni, l’une des signatures de pointe de la Bussola, a publié récemment un livre intitulé « Vatican et Russie à l’ère Ratzinger » où il fait justice de la légende selon laquelle la rencontre de 2016 à la Havane entre le François et le patriarche de Moscou serait un grand succès diplomatique dû au charisme personnel du premier et à son « Eglise miséricordieuse ». Occasion de rappeler les liens privilégiés que Joseph Ratzinger a toujours entretenu avec ses pairs orthodoxes (*). Recension de Rino Cammilleri.

Covid oblige, le Vatican subit lui aussi le fameux lockdown, et il n’y a aucun signe d’activité publique de Benoît XVI depuis… de trop longs mois. Les livres assez nombreux qui lui sont consacrés ces jours-ci (pas en France, malheureusement) et les recensions qui en sont faites sont une occasion d’entendre à nouveau sa voix, et de le sentir encore proche de nous.

(*) Un très beau témoignage de cette proximité spirituelle et affective (loin de toute connotation politique) est donné par cet échange de correspondance datant de 2001, entre Joseph Ratzinger, préfet de la CDF et le métropolite orthodoxe Damaskinos.
J’avais scanné il y a bien longtemps le texte dans le livre « Faire route avec Dieu », de Joseph Ratzinger, édition Parole et Silence, pages 203 et suivantes, avant de le reprendre des années plus tard: Benoit-et-moi 2014|Oecuménisme

Lundi 25 avril 2005, dans la salle Clémentine du Palais apostolique, Benoît XVI reçoit les représentants des différentes confessions chrétiennes venus à Rome pour la messe d’inauguration de son pontificat. Le patriarcat orthodoxe de Moscou était représenté par le métropolite Kyrill/Cyril, alors président du département des relations extérieures du patriarcat orthodoxe de Moscou

Rencontre entre Cyril et François, fruit du travail de Benoît XVI

Rino Cammilleri
La NBQ
28 mai 2020
Ma traduction

Le 11 février 2016 eut lieu la rencontre historique entre les papes de Rome et de Moscou. Dans « Le Vatican et la Russie à l’époque de Ratzinger », Nico Spuntoni souligne que sans le travail du pontificat de Benoît XVI, rien ne serait arrivé. Dans le livre, on parle de Ratzinger à la Congrégation pour la doctrine de la foi, de son amour pour la liturgie qui l’a rapproché des orthodoxes et de son appel aux racines chrétiennes.

Le 11 février 2016, en terrain neutre (La Havane), eut lieu la rencontre historique entre le pape de Rome et celui de Moscou. C’était la première fois dans l’histoire. François et Kirill se virent un jour consacré à Notre-Dame de Lourdes, on ne sait pas si c’est un hasard. Comme cet événement historique avait été fortement souhaité et encouragé par Poutine, il aurait peut-être été préférable de choisir le 13 mai (Notre-Dame de Fatima), car c’est lors de cette apparition que la conversion de la Russie fut prophétisée.

Peut-être Karol « totus tuus » Wojtyla l’aurait-il choisi. Mais Wojtyla avait, comme nous le savons, un autre devoir à accomplir concernant la Russie, et la tâche revint donc à Bergoglio. Il a réussi ce qu’aucun autre pape n’avait réussi auparavant. De toute évidence, le directeur de la « Civiltà catolica » [le père Spadaro, sj] attribua tout le mérite à la « diplomatie de la miséricorde » inaugurée par le pape argentin. Cependant, notre signature [comme Cammilleri, Spuntoni collabore à la Bussola] Nico Spuntoni précise que sans les longs travaux préparatoires du précédent pontificat, aucune rencontre n’aurait eu lieu, « miséricorde » ou non.

Et il explique avec tout un livre, « Le Vatican et la Russie à l’époque de Ratzinger » que le chemin du rapprochement entre les deux Eglises avait commencé des années auparavant, avec la perestroïka, qui avait ouvert la digue dont devait jaillir l’avalanche qui allait conduire en peu de temps au renouveau religieux actuel après soixante-dix ans d’athéisme obligatoire. Et pendant ces dix années, le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le Cardinal Ratzinger, a joué un rôle très important. Le moment était à saisir. L’Église orthodoxe, héritière de la tradition byzantine, avait besoin de la protection de l’État pour devenir le pivot de la société et de l’esprit russes; le Kremlin avait besoin d’une légitimité aux yeux du peuple, qui ne pouvait venir que de la seule institution qui soit restée crédible après l’effondrement de l’URSS. En retour, il y a eu l’établissement de relations diplomatiques entre Rome et Moscou et la reprise de la Commission pour le dialogue entre les deux Églises.

Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, avait un train d’avance avec la sensibilité russe : il n’était pas polonais comme son prédécesseur et montrait un amour pour la liturgie traditionnelle qui le rapprochait du goût orthodoxe. Des mesures concrètes comme le frein à l’action des missionnaires polonais sur le sol russe et des mesures morales comme la condamnation du relativisme et l’insistance sur les racines chrétiennes de l’Europe firent de lui, aux yeux des orthodoxes, un allié face aux défis contemporains. Dans la voie de l’œcuménisme, les orthodoxes restent encore les premiers interlocuteurs, car plus proches de l’Église latine.

La critique de Benoît XVI de la mondialisation comprise comme idéologie et opposition historique à un monde unipolaire, ainsi que la position plus prudente sur l’expansion des gréco-catholiques en Ukraine (question qui reste sensible) ont convaincu Poutine de soutenir de tout son poids la « sainte alliance » (définition du vaticaniste Sandro Magister) entre les deux Eglises et de relancer ce dialogue qui sous le pontife polonais risquait de devenir « un gel œcuménique ». N’oublions pas le lien étroit entre l’Église et l’État en Russie. Avec le nouveau climat créé par le pape Ratzinger, le Kremlin approuva l’échange d’ambassadeurs entre la Fédération de Russie et le Vatican. Nous verrons quels seront les développements de cette histoire.

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