Le retour de Benoît XVI à Ratisbonne pour être aux côtés de son frère parvenu (sans doute, mais nous ne savons « ni le jour, ni l’heure ») au terme de son pèlerinage terrestre, mais toujours chez lui, a fait déjà couler pas mal d’encre: comme toujours lorsqu’il s’agit de lui, la polémique n’est pas loin (*) Et comme, compte tenu du caractère intime du voyage, la matière est maigre, les inventions ne manquent pas.

(*) Certains ont été jusqu’à lui « conseiller » de rester en Bavière, pour mettre fin à la situation ambiguë des « deux papes » au Vatican.
Comme si, dans des circonstances familiales aussi douloureuses, on pouvait lui prêter le moindre calcul!!
Des photos circulaient dès mercredi, montrant un « Ratzinger extrêmement fragile ». J’ai hésité à en choisir une pour illustrer cet article, mais elles sont désormais publiques, tout comme Joseph Ratzinger est lui-même un personnage public, et il est normal que ses agissements suscitent un certain intérêt. Sans compter qu’elles sont profondément émouvantes et percent littéralement le cœur, témoignage de cette humanité que les médias lui ont dénié depuis le début en l’affublant de noms parmi lesquels « rotweiller de Dieu » était de très loin le plus aimable.

C’est au fond une image admirable, et une magnifique preuve d’amour et de courage, si l’on pense à la fatigue et au défi que représente un tel voyage (en avion!) pour un homme de 93 ans, qui plus est porteur d’un pacemaker

Voici un article de la Bussola (non exempt d’inexactitudes), qui fait néanmoins le point avec honnêteté et bienveillance:

Ratzinger rentre à la maison, entre promesses et conjectures

Nico Spuntoni
La NBQ
20 juin 2020

Le pape émérite au chevet de son vieux frère malade. Les conjectures sur la possibilité d’un non-retour à Rome et les raisons familiales sur la promesse de ne pas vouloir être absent comme à la mort de sa sœur en 1991 (**).

Le jeune Joseph, âgé de dix-huit ans, considéré comme prisonnier de guerre bien qu’il eût déserté, est rentré chez lui le jour de la solennité du Très Sacré-Cœur de Jésus en 1945. Un mois plus tard exactement, c’était au tour de Georg – de retour d’Italie après trois ans à faire le tour de l’Europe – de frapper à la porte de la ferme de la Hufschlag. Un retour inattendu, célébré par les deux frères qui entonnent au piano l’hymne de l’église allemande « Grand Dieu, nous te louons ». Les vies des deux Ratzinger ont toujours été synchronisées, comme deux notes de musique jouées ensemble.

Le courageux voyage entrepris en pleine pandémie par le pape émérite, âgé de 93 ans, pour rejoindre à Ratisbonne son frère de 96 ans, gravement malade, en est une nouvelle preuve. Depuis neuf ans, l’Allemagne manquait à Benoît XVI, et il n’avait pas mis les pieds en Bavière depuis 2006, l’année de l’émouvante visite apostolique sur les lieux de son enfance. À l’époque, le pontife régnant confessait sa nostalgie pour sa terre bien-aimée et ne cachait pas une certaine amertume à l’idée que ce pourrait être sa dernière fois dans le fief catholique de l’Allemagne.

Mais le Seigneur en a voulu autrement: le pape émérite a atterri jeudi à l’aéroport de Munich peu après midi et a été immédiatement transporté au séminaire diocésain de Ratisbonne, sa résidence durant ce séjour, proche de la maison de Monseigneur Georg dans la Luzengasse, dans un bus de Malteser International. Le même service que les bénévoles allemands de l’organisation liée à l’Ordre de Malte offrent aux personnes âgées ayant des difficultés à marcher qui souhaitent rendre visite à leurs proches malades, et donc une image qui donne l’idée de l’identification de ce « pèlerin qui commence la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre » avec les souffrances communes à des milliers de ses compatriotes.

À son arrivée, malgré les rues barrées par la police allemande, un groupe de fidèles s’est formé et l’a accueilli de manière festive, en agitant le drapeau bavarois. Le pape émérite les a remerciés en agitant sa main derrière la vitre (cf. vidéo de « mittelbayerische.de« ). Avec lui, son secrétaire personnel, Monseigneur Georg Gänswein, le nouveau commandant adjoint de la gendarmerie du Vatican, Davide Giulietti, l’un des quatre « anges gardiens » de l’association laïque Memores Domini qui l’assistent au monastère du Mater Ecclesiae, son médecin personnel, deux gendarmes et une infirmière.

Sur le trajet entre Munich et Ratisbonne, il a également eu la compagnie de l’évêque Rudolf Voderholzer – nommé par lui en 2012 – avec lequel il a ensuite dîné. Le porte-parole du diocèse, Clemens Neck, a déclaré que le pape émérite était rayonnant après avoir revu son frère, mais a également expliqué qu’il n’y aurait pas d’apparition publique car c’est la volonté des Ratzinger de garder cette visite exclusivement privée. Au séminaire, Benoît XVI dort dans la même chambre que lors de la visite apostolique de 2006, qui n’a été utilisée par la suite que par le cardinal Gerhard Ludwig Müller lors de ses séjours à Ratisbonne.

Dans la structure vivent 28 candidats au sacerdoce et quelques autres prélats qui, cependant, ne partagent pas les repas avec le pape émérite. C’est la femme consacrée des Memores Domini qui s’en occupe dans une salle à manger adjacente à la chambre, où Monseigneur Gänswein et les autres membres de la délégation du Vatican prennent également leurs repas. Depuis l’élection en 2005 et aussi après la renonciation en 2013, c’est l’ancien maître de chapelle des Petits Chanteurs de la cathédrale de Ratisbonne qui se rendait fréquemment au Vatican pour être en compagnie de son frère cadet avec lequel, malgré sa cécité et les difficultés de la marche, il passait agréablement ses journées entre prières, musique et promenade de l’après-midi à la grotte de Lourdes dans les jardins du Vatican. La détérioration de sa santé et la pandémie mondiale ont contraint les deux hommes à une distance forcée et inhabituelle que le pape émérite a voulu interrompre avec le premier voyage à l’étranger depuis qu’il a renoncé au trône papal.

On peut donc comprendre l’agitation de Monseigneur Georg qui, bien que gravement malade, a passé la matinée avec le réveil à la main pour vérifier l’heure d’arrivée. Hier matin, Benoît XVI est retourné voir son frère et a célébré une Sainte Messe dont, selon les témoins, les chants chantés étaient audibles depuis l’extérieur du Séminaire. Le pape émérite était « épuisé » par le voyage mais « incroyablement heureux » d’avoir pu rencontrer Georg à nouveau malgré quelques difficultés de communication car, comme le rapporte une source à Christoph Renzikowski de la Cna, « l’un entend mal, l’autre a des difficultés pour parler ».

Hier, le Bild, le tabloïd le plus vendu en Europe, a écrit que Ratzinger pourrait rester en Allemagne et ne pas retourner au Vatican. Une hypothèse également avancée par le Vaticaniste américain Edward Pentin qui, dans un tweet, a révélé le retour immédiat à Rome du véhicule de l’armée de l’air italienne à bord duquel le pape émérite avait voyagé. Matteo Bruni lui-même, directeur du bureau de presse du Saint-Siège, a déclaré que le séjour durerait « le temps nécessaire », dans la même ligne que ce que Neck a déjà déclaré, selon lequel « nul ne connaît ni l’heure ni le jour » où il sera rappelé à la Maison du Père, en référence à l’état de santé de Monseigneur Georg.

Ce n’est pas un mystère que Ratzinger ait imaginé de finir ses jours dans la « tranquillité » – comme il aime à le répéter – précisément dans sa Bavière bien-aimée et précisément à Pentling, une banlieue de Ratisbonne où il a encore une maison dans la verdure et où il avait prévu de déménager avec son frère aîné après avoir démissionné de son poste de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Un projet cultivé avec soin par les deux, au point que Georg – qui avait déjà quatre-vingts ans – se rendait tous les jours en bus à la maison et, une fois rentré à Ratisbonne, appelait son frère le cardinal pour le rassurer sur le fait que tout était en ordre.

Saint Jean-Paul II, qui le considérait comme irremplaçable, a toujours refusé la démission de son « gardien de la doctrine de la foi », le gardant à Rome et l’obligeant à reporter cet objectif, définitivement mis en suspens avec l’élection de 2005. La maison de Pentling est la même où, en 1991, Maria, sa sœur bien-aimée qui, grâce à son travail de jeunesse dans un magasin, a permis aux deux frères de s’inscrire au séminaire de Traunstein en 1937 sans ruiner les finances familiales, est décédée subitement.

Sa mort fut probablement le traumatisme le plus douloureux de la vie du pape émérite : les trois Ratzinger avaient l’habitude, conservée pendant des années, de se retrouver chaque année en Bavière à l’occasion de la fête de la Toussaint et de se rendre sur la tombe de leurs parents en commémoration des morts. Cette année-là, cependant, des problèmes de santé empêchèrent le préfet de l’ex-Saint-Office de partir avec Maria, qui, arrivée à la maison de Georg à Ratisbonne, fut frappée par une grave hémorragie cérébrale et mourut le soir même. Joseph n’a pas pu dire au revoir pour la dernière fois de sa vie à sa sœur qui avait consacré 34 ans à son service et a dû se limiter aux funérailles dans la célèbre cathédrale gothique (**).

Cette mort, a dit Monseigneur Georg, a rendu la relation fraternelle encore plus profonde et on peut donc supposer que Benoît XVI n’a pas voulu courir le risque de revivre un traumatisme similaire à celui vécu il y a 29 ans. Le désir d’être en compagnie de celui qui a toujours été « un point d’orientation et de référence » dans sa vie a poussé le pape émérite, une fois consulté son successeur, à défier la distance, la vieillesse et la pandémie. D’autre part, loin de s’identifier au surnom de « gendarme de l’Eglise » que lui donnaient ses détracteurs – l’utilisant dans un sens péjoratif – dès les années 80, Ratzinger a toujours été un esprit libre qui, parlant de lui-même, reconnaissait une « inquiétude congénitale ».

Un trait distinctif qui n’est pas sans rapport avec son frère aîné qui, malgré son âge avancé et les difficultés de la marche, continue de refuser de s’installer à Rome parce que « les loyers sont très élevés et il est difficile de trouver un bon appartement », espérant au contraire que son frère puisse venir régulièrement le voir dans la Bavière jamais oubliée. Et Joseph, qui déjà en tant que puissant cardinal à la tête de l’ancien Saint-Office dans son propre pays se présentait en plaisantant comme « le frère cadet du célèbre chef de chœur », l’a satisfait lors de la dernière étape du pèlerinage sur terre.


NDT

(**) Une anecdote, peut-être issue de la presse allemande, circule, selon laquelle Benoît XVI ne voulait pas revivre ce qu’il avait vécu avec sa sœur en 1991: alors qu’elle venait d’être brutalement frappée par une crise cardiaque, il n’avait pu être à ses côtés lors de ses derniers instants.
Cette histoire est fausse. Je reproduis ci-dessous un article que j’avais rédigé au tout début de ce site, en 2006:

On sait peu de chose sur la sœur du Pape.
Il en a un peu parlé dans ses mémoires, et on sait qu’elle est restée auprès de lui toute sa vie, qu’elle l’a suivi à Rome pour tenir sa maison lorsqu’il a reçu de Jean-Paul II la charge de préfet de la CDF, et qu’elle est morte en 1991.
J’avais trouvé ce texte sur le site de L’Avvenire. «Pietro Pavan, il mio amico sapiente »
Il s’agit d’une conférence prononcée en 1999 par le Cardinal Ratzinger, en hommage à son confrère le Cardinal Pietro Pavan, auteur de l’encyclique de Jean XXIII Pacem in Terris, et décédé en 1995.
Voici le passage où, de façon très simple et très émouvante, comme il sait le faire, il raconte les circonstances de la mort de Maria. Ce n’est pas démonstratif, et c’est d’autant plus bouleversant.

[…]Le Cardinal m’a ensuite invité avec une grande cordialité au “Petit village de la Sainte Vierge” (Paesetto della Madonna), où il demeurait.
En me rendant à l’aéroport de Fiumicino, j’avais souvent vu la colline avec le jardin potager, et j’avais toujours pensé qu’une semblable oasis ne pouvait prospérer que grâce au travail des religieuses. En outre, quand Pavan me sollicita de me rendre au “Petit village”, il me dit que son air iodé et oxygéné serait pour moi le meilleur des remèdes pour récupérer des lourdes responsabilités de ma charge.
A une telle invitation, on ne pouvait certes pas résister, compte tenu de la grande cordialité avec laquelle elle avait été faite. L’occasion arriva peu de temps après, en 1991.
Ma sœur se rendit comme d’habitude en Allemagne pour visiter la tombe de nos parents, et, resté seul à Rome, j’en profitai pour me rendre au “Petit village de la Sainte Vierge”.
Je dois dire que ce fut une intervention de la Providence, car le second jour de novembre, de manière absolument imprévue, ma sœur mourut, et c’est seulement grâce aux religieuses de l’endroit, si proche de l’aéroport, que je pus la voir pour quelques heures encore vivante.
C’est pour cela que j’ai gardé dans mon cœur un grand souvenir de ma première visite au “Petit village”
[…]


Enfin, voici un petit billet trouvé sur la page Facebook « La Vigna del Signore« . J’ai bien aimé le ton, loin des anecdotes archi-rebattues et des polémiques malveillantes, qui met en parallèle « l’histoire belle » des frères Ratzinger et un vieux film de David Lynch, et qui capte avec tendresse et émotion la profondeur de ce lien fraternel unique:

Joseph Ratzinger rencontre son frère Georg. Une histoire vraie et une histoire belle

Lorsque j’ai appris que Benoît XVI quittait le Vatican pour aller à Ratisbonne rendre visite à son frère Georg, 96 ans, longtemps malade, cela m’a rappelé le film de David Lynch « A True Story » (Une histoire vraie, 1999).
Les circonstances sont certainement très différentes, d’autant plus que, contrairement à l’histoire racontée par le réalisateur américain, les deux frères Ratzinger ont toujours été très proches (ils ont été ordonnés prêtres le même jour, le 29 juin 1951, dans la cathédrale de Freising).
Ce que les deux événements ont en commun, c’est le voyage.
Les images d’aujourd’hui montrent un Joseph Ratzinger fortement éprouvé par l’âge. Amoindri. En fauteuil roulant, avec difficulté de mouvement. Dans le film de Lynch qui, comme le dit le titre, est tiré d’une histoire vraie, le protagoniste, avec des problèmes évidents de marche, entreprend un long voyage (386 kilomètres) à bord d’une tondeuse à gazon branlante (« c’est quelque chose que je dois faire ! ») pour revoir après tant d’années un frère malade avec lequel il avait rompu ses relations.
Un voyage qui vise à une rencontre qui pourrait être la dernière.
Les deux voyages – celui magistralement raconté par Lynch et celui de Benoît – sont à la fois une histoire vraie et une histoire belle.
Tous deux découlent d’un choix de cœur et, dans le cas de Benoît, le jour même où l’église célèbre la fête du Sacré-Cœur de Jésus.
Après tant de voyages apostoliques à titre officiel, c’est pour lui un voyage privé qui en dit long, même s’il n’y aura pas de discours.
C’est l’expression d’une vie entière.

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