Ce bel hommage à Benoît XVI issu d’un blog italien (*) doit être compris en relation avec le discours prononcé par le Saint-Père (émérite!), en présence de François, à l’occasion du 65ème anniversaire de son ordination sacerdotale, le 28 juin 2016, reproduit en annexe: Benoît XVI avait choisi comme fil conducteur un mot grec savant « Eucharistomen« , qu’un confrère ordonné en même temps que lui avait écrit sur l’image-souvenir de sa première messe; et un autre mot, tout simple: « merci ».

(*) sans doute pro-François, puisque son auteur a collaboré à l’hebdomadaire (aujourd’hui disparu, semble-t-il) mi-people mi-hagiographie « Il mio Papa »

Eucharistomen: la messe des frères Ratzinger

Luca Caiazzo
21 juin 2020
Ma traduction

A la nouvelle que le pape Benoît XVI s’était envolé pour l’Allemagne afin de rendre visite à son frère gravement malade, la presse internationale a consacré peu de place au milieu des breaking news du jeudi 18 juin. Ce matin seulement (21 juin 2020), le diocèse de Ratisbonne a officiellement annoncé que le vol de retour est prévu pour le lundi 22 juin de Munich à Rome, circonvenant le temps de cette visite privée, intime et familiale au « temps nécessaire » déclaré par le directeur du bureau de presse du Saint-Siège Matteo Bruni.

Un voyage de l’âme, du silence priant du monastère Mater Ecclesiae à Ratisbonne, pour être proche de son frère de 96 ans, gravement malade. Le voyage unique, vers son pays natal, effectué par Benoît XVI, depuis la renonciation historique au pontificat (11 février 2013), accompagné par son secrétaire personnel (l’homme qui s’occupe le plus de lui) Mgr Georg Gänswein, son médecin [le docteur Polisca, cardiologue, qui fut son médecin personnel durant son pontificat, et que François s’est empressé de congédier après son élection], une infirmière, une des memores domini et le commandant adjoint du corps de gendarmerie de l’État de la Cité du Vatican.

Le lien des frères Ratzinger est marqué par une intense communion de vie, une unité spirituelle et si fraternellement familière qui les lie de manière unique depuis la date de leur ordination sacerdotale le 29 juin 1951 à Freising. Le lien, correspondant à leur proximité presbytérale depuis leur jeunesse, était parsemé de moments de simple familiarité, de repos, de rencontres dans la prière: Joseph jeune professeur de théologie dogmatique et Georg musicien et chef de chœur d’excellence. En 2008, quand la ville de Castel Gandolfo voulut offrir la citoyenneté d’honneur à son frère, Benoît XVI s’est exprimé par ces mots :

« Depuis sa naissance, mon frère a été pour moi non seulement un compagnon, mais aussi un guide fiable. Il a toujours représenté un point d’orientation et de référence avec la clarté et la détermination de ses décisions ».

Un lien intime et surnaturel dans le sacerdoce: le pape émérite de 93 ans, aujourd’hui affaibli par l’âge et les problèmes de marche et de vue, tout en conservant sa lucidité mentale et sa fraîcheur intellectuelle, a demandé à pouvoir rendre visite à son frère alité qui n’est manifestement plus en mesure de rejoindre Rome comme il l’a toujours fait ces dernières années, depuis qu’il [Joseph] est préfet de la Congrégation de la Foi puis pape.

Un voyage difficile pour un homme de cet âge, qui s’avère un stress difficile à supporter, d’ailleurs de nombreuses sources affirment que la démission de Ratzinger a son origine précisément dans l’impossibilité physique de supporter les voyages apostoliques, les audiences, les travaux du Synode des Évêques, les visites aux paroisses romaines et le rythme général qu’il avait imprimé à son Pontificat (d’après la Declaratio annoncée en ces termes par le Pontife lui-même: « ingravescente aetate non iam aptas esse ad munus Petrinum aeque administraandum« ).

Un voyage-pèlerinage parmi les souvenirs de jeunesse, d’enfance, des premiers pas comme prêtre, professeur puis évêque: un pèlerinage à la maison, avant de rentrer à la Maison; « Je suis simplement un pèlerin qui commence la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre », avait-il déclaré le 28 février 2013 depuis Castel Gandolfo peu avant la fin de son pontificat. Un pèlerinage chez le frère prêtre malade, comme cela se fait toujours chez les hommes de bien qui savent apporter consolation et réconfort. Un voyage avec une destination sûre: pouvoir célébrer la Sainte Messe, c’est-à-dire l’Eucharistie et « dire merci » à Dieu, par le Christ et dans l’Esprit pour son frère, avec son frère, sur le lieu de sa vocation et quelques jours avant le 69e anniversaire de son ordination. Un voyage qui semble être un congé spirituel, un acte de célébration et de louange à Dieu qui l’a appelé, choisi, confirmé et soutenu dans les épreuves et les joies de sa vie chrétienne, de Souverain Pontife à simple moine obéissant au Pape:

« Eucharistomen » dit un merci humain, merci à tous. Merci surtout à vous, Saint-Père! Votre bonté, dès le premier moment de l’élection, à chaque moment de ma vie ici, me touche, me porte réellement intérieurement. Plus que dans les jardins du Vatican, avec leur beauté, votre bonté est l’endroit où j’habite: je me sens protégé.
*

benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/65e-anniversaire-de-lordination

Un merci qui parcourt des kilomètres et traverse les frontières, au-delà de tout effort physique, comme dans toute Eucharistie. Après ces mois de jeûne eucharistique, de suspension des Célébrations ouvertes à l’assemblée fidèle du peuple, un vieux prêtre, devenu Évêque de Rome, aujourd’hui émérite de ce diocèse, fait un voyage-pèlerinage, l’œuvre de miséricorde « Visiter les malades » juste pour dire « merci« : ce qui importe pour pouvoir célébrer la Vie.

Quelle humilité, Padre Benedetto! Pas de grand discours, pas même un communiqué public ou écrit, juste un lent cheminement, dans ce banal fauteuil roulant rouge poussé vers son désir, celui de pouvoir célébrer la Sainte Messe, dans une atmosphère de simple familiarité, chez son frère malade: de pouvoir lever la patène, tenir le calice et dire « Merci! » L’heureuse célébration (la dévotion des frères Ratzinger au Sacré-Cœur de Jésus est bien connue) du jour de la sanctification sacerdotale est un prélude à ce que l’histoire livrera à la postérité: l’image de l' »humble ouvrier dans la vigne du Seigneur » qui ne veut rien d’autre que d’être Cooperatores Veritatis.

« Eucharistomen » nous renvoie à cette réalité de l’action de grâce, à cette nouvelle dimension que le Christ a donnée. Il a transformé en action de grâce, et ainsi en bénédiction, la croix, la souffrance, tout le mal du monde. Et ainsi fondamentalement, il a transsubstantié la vie et le monde et nous a donné et nous donne chaque jour le pain de la vraie vie, qui dépasse le monde grâce à la force de son amour.

*

ibid

Bon retour au monastère, Padre Benedetto!


Annexe

Saint-Père, chers frères ,

.

il y a 65 ans, un confrère, ordonné avec moi, a décidé d’écrire sur l’image-souvenir de la première Messe, en plus de son nom et de la date, un mot en grec: « Eucharistomen » convaincu qu’avec ce mot, dans ses multiples dimensions, il est déjà dit tout ce que l’on peut dire à ce moment. « Eucharistomen » dit un merci humain, merci à tous. Merci surtout à vous, Saint-Père! Votre bonté, dès le premier moment de l’élection, à chaque moment de ma vie ici, me touche, me porte réellement intérieurement. Plus que dans les jardins du Vatican, avec leur beauté, votre bonté est l’endroit où j’habite: je me sens protégé. Merci aussi pour les mots de remerciements, pour tout. Et nous espérons que vous pourrez avancer avec nous tous sur ce chemin de la Divine Miséricorde, montrant le chemin de Jésus, vers Jésus, vers Dieu.

.

Merci également à vous, Eminence [Cardinal Sodano], pour vos paroles qui ont vraiment touché mon cœur : « Cor ad cor loquitur« . Vous avez rendu présentes à la fois l’heure de mon ordination sacerdotale, et aussi ma visite en 2006 à Freising, où je l’ai revécue. Je peux seulement dire qu’ainsi, avec ces mots, vous avez interprété l’essentiel de ma vision du sacerdoce, de mon action. Je vous suis reconnaissant pour le lien d’amitié qui, jusqu’à aujourd’hui, continue depuis longtemps, de toit à toit [réfèrence à leurs habitations, très proches à vol d’oiseau]: elle est presque présente et tangible

.

Merci, cardinal Müller, pour le travail que vous faites pour la présentation de mes textes sur le sacerdoce, dans lesquels j’essaie d’aider aussi les confrères à entrer toujours à nouveau dans le mystère dans lequel le Seigneur se donne dans nos mains.

.

« Eucharistomen »: en cet instant, l’ami Berger a voulu faire allusion non seulement à la dimension du ‘merci’ humain, mais naturellemnt à la parole plus profonde qui se cache, qui apparaît dans la Liturgie, dans l’Écriture, dans les mots «gratias agens benedixit Fregit deditque» ([il prit du pain], rendit grâce, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples).

.

« Eucharistomen » nous renvoie à cette réalité de l’action de grâce, à cette nouvelle dimension que le Christ a donnée. Il a transformé en action de grâce, et ainsi en bénédiction, la croix, la souffrance, tout le mal du monde. Et ainsi fondamentalement, il a transsubstantié la vie et le monde et nous a donné et nous donne chaque jour le pain de la vraie vie, qui dépasse le monde grâce à la force de son amour.

.

Enfin, nous voulons nous insérer dans ce «merci» du Seigneur, et ainsi recevoir réellement la nouveauté de la vie et aider à la transsubstantiation du monde: que ce soit un monde non de mort , mais de vie; un monde dans lequel l’amour a vaincu la mort.

.

Merci à vous tous. Que le Seigneur nous bénisse tous.

.

Merci Saint-Père

*

Benoît XVI, 28 juin 2016
Ma traduction
Mots Clés : ,
Share This