Les images d’un Saint-Père affaibli, souffrant, muet, contraint de s’en remettre aux autres pour toutes les choses du quotidien ont une force et une portée symbolique qui nous disent bien plus que tous les discours (pour peu que nous y prêtions attentions) sur la valeur de la vie, la santé (devenue valeur suprême à la faveur de la pandémie covid), la famille, le sacrifice de soi. Et nous aident à mieux comprendre certains de ses « choix mystérieux ». Très belle réflexion de Benedetto Frigerio (et comment continuer à croire, en voyant ces images que sa démission était due seulement à des motifs matériels et à de banals complots humains?)
Benoît XVI en Allemagne: une lumière sur le renoncement et sur Fatima
Benedetta Frigerio
La NBQ
25 juin 2020
Ma traduction
Les images d’un Ratzinger très affaibli, qui voyage pour réconforter son frère malade nous rappellent ce que Notre-Dame de Fatima a révélé être la seule façon de sauver le monde. Il s’agit de l’offrande de soi jusqu’au sacrifice de la vie, celle dont Benoît XVI parlait avant de se retirer et qui nous a semblé peut-être peu face à l’attaque que subissait l’Église. En réalité, le pape émérite donne chair et force à ses enseignements.
Les images de Benoît XVI en fauteuil roulant qui, à 93 ans, a décidé d’aller voir son frère aîné, George Ratzinger, probablement pour un dernier adieu, donnent chair à tous ses discours. Elles sont puissantes parce que le pape émérite est visiblement éprouvé, sans force, mais le visage et les yeux sont ceux, joyeux, d’un enfant. Ceux, assurés du bien, tout en étant profondément conscients d’un monde qui hait le Dieu même qui lui a donné la vie.
Elles sont puissantes, car alors que le diable médiatique tentait de déplacer l’attention en lisant le voyage en Allemagne selon une clé politique (la rumeur disait que Ratzinger ne reviendrait pas au Vatican), le pape a décidé d’entreprendre un voyage difficile, mettant en péril sa santé afin de réconforter son frère malade, disant la messe avec lui et visitant la tombe familial.
Puissante, aussi, l’image de lui, très âgé, sans masque, entouré d’hommes en bonne santé qui le portaient. Pour dire, à un moment où les gens sont terrifiés par la mort, qu’il faut donner la vie. Et la vie doit être donnée par amour. Cet amour pour lequel on doit risquer même un tel voyage. Car la joie de l’existence, même fragile et vieille, vient de cette offrande de soi à Dieu, donc aux circonstances et aux hommes. « On reçoit la vie précisément quand on la donne », a dit le pape lors de sa dernière audience générale le 27 février 2013.
Et ces images d’un pape qui ne parle plus sont encore plus éloquentes que bien des mots. Et même, elles sont la synthèse la plus efficace de ses paroles de pape. Un peu comme celles de Jean-Paul II qui ne pouvaient plus parler mais qui, courbé par la maladie, saluait la foule en s’appuyant sur la croix, après des années à tenter d’expliquer le pouvoir salvateur de la souffrance. La signification du joug doux et léger offert aux hommes par Jésus pour les restaurer. Folie pour les païens immergés dans l’hédonisme égoïste.
Et dire qu’en se retirant dans la vie cloîtrée, Benoît XVI nous avait avertis que son choix était pour nous, qu’il ne nous abandonnerait pas. Mais nous nous demandions encore comment, déconcertés, déçus, perdus. Répétant que oui, il allait prier pour nous, mais en pensant qu’au fond, ce n’était pas suffisant. Même si lui, toujours durant sa dernière audience générale, essaya de nous faire comprendre que « je n’abandonne pas la Croix mais que je reste d’une manière nouvelle avec le Seigneur crucifié. Je ne porte plus le pouvoir de la charge de gouvernement, mais je reste dans le service de la prière ».
Un service coûteux, qui coïncide précisément dans l’offrande de soi, dans le sacrifice comme vocation voulue aujourd’hui par le Seigneur lui-même pour le salut du monde. Celui dont la Vierge parla à Fatima, demandant aux petits bergers non pas de devenir des docteurs de l’Église, mais de donner leur jeune vie à Dieu afin que commence dans les cœurs le triomphe de Son Cœur Immaculé.
Mais nous, nous pensions qu’il fallait, plus que cela, quelqu’un qui continue à crier la vérité haut et fort et avec amour; qu’il fallait, aujourd’hui plus que jamais, un père éloquent qui, sans crainte, puisse continuer à défendre et à donner du courage à ses enfants face à la violence d’un monde désormais de plus en plus soumis au pouvoir de son prince terrestre. Et en effet, son choix monastique a été suivi par la tempête, l’attaque extrême du diable sur la barque de Pierre.
Nous ne serions donc pas sincères si, dans une Église d’hommes efféminés et apeurés, nous disions que nous n’avons pas la nostalgie des paroles viriles de Ratzinger, qui vous rendent fiers d’appartenir au Christ, parce qu’elles vous rappellent la beauté des raisons et la pertinence pour la vie, afin qu’elle soit remplie. Vous Le montrant sur son visage doux mais courageux d’allemand qui a appris de son père à ne pas s’accommoder du pouvoir et qui, comme son père, a risqué sa vie pour ne pas suivre les ordres du régime nazi contre la foi. C’est pour cela que, dans une lectio divina de 2012, il indiqua clairement que
nous ne voulons pas toujours « conformés », loués, nous ne voulons pas les apparences, mais la vérité et cela nous donne la liberté… Prions le Seigneur pour qu’il nous aide à être des hommes libres dans ce non-conformisme qui n’est pas contre le monde, mais qui est le véritable amour du monde »
*
Visite au Grand Séminaire pontifical le 12 février 2012,
w2.vatican.va
Sept ans après son renoncement, l’Église est aujourd’hui plus que jamais ébranlée, mais la puissance des gestes du pape émérite et ses choix mystérieux (incompréhensibles pour ceux qui n’ont pas la foi), montrent plus que jamais que le Magistère de Ratzinger n’était pas idéologie mais amour: que la vie a de la valeur de la conception à la mort naturelle, que la santé ne doit pas devenir la valeur première de la vie chrétienne, que la fragilité est un bien, que la famille est le lieu où l’on apprend à connaître Dieu et donc à se donner aux hommes. De sorte que lorsque la famille ne vit pas dans l’obéissance à son Créateur, elle fait de tels désastres qu’elle éloigne nombre de personnes de la foi (c’est-à-dire de la certitude que Dieu nous aime et est bon) : « Je ne pourrais pas indiquer – écrit-il dans son autobiographie – une preuve plus convaincante de la vérité de la foi que l’humanité sincère et simple que la foi a fait mûrir chez mes parents.
C’est pour cela que Ratzinger a rappelé que « les enfants doivent apprendre à prier en famille… dès leur plus jeune âge » pour vivre ainsi « dans une atmosphère de présence de Dieu » et il l’a fait à partir d’une expérience d’amour mûri pour Dieu à travers celle de ses parents. Tout cela, il le disait avec compassion à une humanité rebelle parce que blessée. « Je voudrais inviter chacun à renouveler sa ferme confiance dans le Seigneur, à se confier comme des enfants dans les bras de Dieu… Je voudrais que chacun se sente aimé par ce Dieu qui a donné son Fils pour nous », s’écria-t-il la place Saint-Pierre.
C’est ainsi qu’en se donnant à Dieu, d’abord en subissant la haine du monde, puis dans le silence (même si nous ne verrons probablement les vrais fruits de cette offrande qu’au ciel), Benoît XVI nous donne l’envie d’être meilleurs. Pas de la bonté du monde, qui est une tolérance gaie mais froide faite d’étreintes et de sentiments extériorisés sans pudeur. Mais plutôt de celle qui rend capable de se donner docilement jusqu’au sacrifice de soi, même pour ses ennemis.
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