En 2017, le P. Scalese répond à Roberto de Mattei, qui venait de publier un article où il opposait une lecture théologique de Vatican II, pour laquelle la discussion est légitime, et reste ouverte, et une « historique » qui fait selon lui du Concile « une catastrophe pour l’Eglise« . Le Père Scalese ne partage pas cette analyse de la seconde lecture (càd de ce qui s’est réellement passé avant, pendant et après) et il explique pourquoi.

Précédents articles

Sur le plan théologique, toutes les distinctions peuvent et doivent être faites pour interpréter les textes de Vatican II, qui a été un Concile légitime: le vingt et unième de l’Église Catholique. Ses documents peuvent être définis tour comme pastoraux ou dogmatiques, provisoires ou définitifs, conformes ou non à la Tradition. Chaque texte, pour un théologien, a une qualité différente et un degré d’autorité et de force différent. Le débat est donc ouvert.
(…)
Sur le plan historique, toutefois, Vatican II constitue un bloc non décomposable: il a son unité propre, son essence propre, sa nature propre. Considérée dans ses racines, dans son déroulement et dans ses conséquences, il peut être décrit comme une révolution dans la mentalité et le langage, qui a profondément changé la vie de l’Église, initiant une crise morale et religieuse sans précédent. Si le jugement théologique peut être nuancé et exhaustif, le jugement de l’histoire est impitoyable et sans appel. Le Concile Vatican II n’a pas seulement échoué: il fut une catastrophe pour l’Église.

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Roberto de Mattei, 2 août 2017, www.corrispondenzaromana.it

Je crois que le temps est venu de commencer à défendre le vrai Concile de ceux qui prétendent s’en faire abusivement l’interprète, faisant passer pour «Concile» ce qui en est une simple caricature. Je crois que le temps est venu pour les vrais amoureux de la tradition de commencer à considérer Vatican II et le magistère post-conciliaire comme faisant partie de la tradition (avec toutes les distinctions possibles sur le plan théologique) et à les défendre au nom de la tradition.

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Père Scalese

Concile et histoire

Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
11 août 2017
Ma traduction

J’ai toujours été convaincu de l’utilité et de la nécessité d’une réflexion théologique dépassionnée sur le Concile Vatican II («Concile et esprit du Concile», cf. Vatican II et l’esprit du concile vus par le Père Scalese (I))). Cela sans rien ôter à l’importance de l’approche historique. Le livre du professeur de Mattei «Vatican II. Une histoire à écrire» reste selon moi un point de référence incontournable pour reconstruire la dynamique des événements: il est juste de savoir comment les choses se sont vraiment passées. Comme il est juste de prendre sereinement note des effets négatifs du Concile dans la vie de l’Eglise. Dans l’article de 2009, je les ai décrits, sans fausses pudeurs, dans les termes suivants:

La réforme liturgique a rendu les églises désertes; le renouvellement des catéchèses a répandu l’ignorance religieuse; la réforme de la formation sacerdotale a vidé les séminaires; la modernisation de la vie religieuse met en danger l’existence de beaucoup d’instituts; l’ouverture de l’Église au monde, au lieu de favoriser la conversion du monde, a signifié la « mondanisation » de l’Église elle-même.

Il s’agit de faits historiques difficilement contestables. Mais nous devons nous demander: cette observation sans préjugés des faits justifie-t-elle le jugement historique «impitoyable et sans appel» du Professeur de Mattei? Vatican II doit-il nécessairement être rejeté comme une «catastrophe pour l’Eglise»? Personnellement, je ne le pense pas. Et cela, en essayant de rester sur un plan strictement historique.

1. Il n’est pas historique d’affirmer que le Concile Vatican II aurait donné le coup d’envoi à une crise religieuse et morale sans précédent, en ignorant – ou feignant d’ignorer – que cette crise était déjà en cours depuis des décennies, voire des siècles. Présenter l’Église préconciliaire comme une Église parfaite, où tout allait sans problèmes, est tout simplement faux. Sans se lancer dans des recherches longues et prenantes, il suffit de se poser la question: d’où sortaient les théologiens qui, à l’intérieur et à l’extérieur du Concile, poussaient le plus à une transformation radicale de l’Eglise? Étaient-ce des Martiens? N’étaient-ce pas des théologiens qui œuvraient librement déjà avant le Concile et avaient été formés dans les séminaires et les facultés ecclésiastiques avant le Concile? Cela signifie que certaines idées circulaient déjà dans l’Égliseà tel point que d’abord Pie X (encyclique Pascendi), et ensuite Pie XII (Encyclique Humani generis) avait ressenti le besoin d’intervenir pour tenter de freiner certaines tendances. Sans y réussir. On dira: mais au moins les Papes d’avant le Concile s’opposaient à ces tendances; Vatican II les a adoptées. Je verrais la chose autrement: le Concile, prenant acte de l’échec des précédentes interventions papales, a essayé une autre voie, celle du «discernement»: distinguer dans les tendances novatrices celles qui étaient valides, pour les adopter, et celles qui étaient erronées, pour les repousser.

2. Il n’est pas historique de ne considérer dans le déroulement du Concile que les luttes entre factions opposées, les jeux de pouvoir, les manigances des lobbies, les abus de présidence, les compromis au rabais. Ce sont des faits historiques incontestables; mais ce ne sont pas les seuls. C’est aussi l’histoire, l’effort de Paul VI pour redresser le Concile; c’est aussi l’histoire, cet engagement de la majorité des Pères dans ce travail de discernement dont nous parlions; c’est aussi l’histoire, les documents conclusifs du Concile. Ceux-ci ne peuvent pas être situés dans une dimension a-historique ou méta-historique; ils sont tellement historiques que nous pouvons en reconstruire la genèse, en fixer la valeur théologique différente, en mettre en évidence les limites, etc.

3. Une attitude vraiment historique, en outre, devrait envisager sérieusement la distinction, faite par Benoît XVI dans sa dernière rencontre avec le clergé romain avant de se retirer (14 Février 2013), entre le «Concile des Pères» et le «Concile des médias», le «Concile réel» et le «Concile virtuel» [w2.vatican.va]; et en vérifier les reflets dans la réalité: lequel de ces deux «Conciles» a eu le plus d’influence dans la vie de l’Eglise? Les conséquences négatives du «Concile» doivent-elles être attribuées au Concile des Pères ou à celui des médias? En d’autres termes, aux documents du Concile ou à l’«esprit du Concile»? Ce sont des questions auxquelles un historien ne peut se soustraire. Nous ne parlons pas ici de l’interprétation à donner aux textes conciliaires – qui est la tâche du théologien – mais nous essayons de comprendre comment les choses se sont réellement passées. Et ceci revient exclusivement à l’historien, lequel ne peut se limiter à dire que le Concile a été une catastrophe, une révolution qui a donné le coup d’envoi à une crise religieuse et morale sans précédent. Il s’agit d’une simplification absolument anti-historique.

4. Il n’est pas historique, dans l’examen de la période post-conciliaire, de ne considérer que les catastrophes évidentes et indiscutables causées par une application erronée du Concile. Il convient également de considérer l’effort de défense et de reconstruction des papes post-conciliaires (Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI). Ceux-ci ont donné la seule interprétation légitime du Concile, ont appliqué son oeuvre réformatrice et se sont opposés aux tentatives de subversion de l’Eglise au nom du «Concile». Les Papes qui se sont succédé au cours des cinquante dernières années, au milieu des brumes qui se sont propagées après le Concile, ont été les phares qui ont indiqué aux fidèles la route à suivre. Bien que parmi de nombreuses difficultés et contradictions – qui ne doivent pas être cachées, mais qui ne peuvent pas surprendre – ils ont éclairci de nombreux points. Non qu’ils aient éliminé la confusion, mais ils ont identifié plusieurs points clés sur lesquels il n’était pas possible de continuer à discuter indéfiniment.

Eh bien, puisque de nos jours, l’un après l’autre, on remet en question précisément ces points-clés, qui semblaient désormais acquis; puisqu’on est en train de démanteler tout ce qui avait été reconstruit dans la période post-conciliaire, comme si cinquante ans s’étaient écoulés en vain; puisqu’on essaie de faire passer l’idée que le vrai Concile n’est pas celui des documents, mais celui d’un «esprit» non précisé qui continuerait à agir dans l’Eglise, sans tenir compte des critères précédemment indiqués; je crois qu’il ne sert à rien de continuer à polémiquer contre Vatican II, en le considérant comme la source de tous les maux de l’Eglise; je ne crois pas que la situation actuelle puisse être considérée de façon simpliste comme «fruit» du Concile.

Au contraire, je crois que le temps est venu de commencer à défendre le vrai Concile de ceux qui prétendent s’en faire abusivement l’interprète, faisant passer pour «Concile» ce qui en est une simple caricature.

Je crois que le temps est venu pour les vrais amoureux de la tradition de commencer à considérer Vatican II et le magistère post-conciliaire comme faisant partie de la tradition (avec toutes les distinctions possibles sur le plan théologique) et à les défendre au nom de la tradition. Penser que la tradition s’est arrêtée en 1962 (ou en 1958) signifierait donner raison à ceux qui avant, pendant et après le Concile, jusqu’à aujourd’hui, ont essayé et essaient de subvertir l’Eglise. Le Concile, le vrai, n’a pas été une révolution, mais seulement une tentative, plus ou moins réussie, de rénover l’Eglise dans la tradition. La révolution, c’est ce qu’ont essayé et essaient d’imposer les modernistes d’hier et d’aujourd’hui. A eux, il faut s’opposer, non seulement au nom de la tradition, mais aussi au nom Concile lui-même, qui est partie intégrante de cette tradition.

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