Pourquoi le pape François ressent-il le besoin de remplacer tous les membres de son secrétariat privé? Après son premier secrétaire, remplacé au début de l’année par un prêtre uruguayen charismatique qui s’était distingué par ses activités auprès des jeunes des rues, c’est au tour du second secrétaire d’être remplacé, cette fois par un jeune fonctionnaire de la Curie. Andrea Gagliarducci analyse les implications de ces nominations (lire surtout la fin de l’article) en terme de continuité de l’Institution. En réalité, François ne supprime pas la fonction, mais la vide de l’intérieur, comme si elle lui appartenait à LUI, et non à la tradition de l’Eglise. Encore un « processus entamé », pour lequel il sera très difficile à ses successeurs de revenir en arrière.
Le pape François et un nouveau secrétariat privé
Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
3 août 2020
Ma traduction
Pourquoi le pape François ressent-il le besoin de remplacer tous les membres de son secrétariat privé ? Dans un premier temps, Fabián Pedacchio Leániz, qui était le premier secrétaire du pape François depuis le début du pontificat, a quitté l’office au début de l’année. Pedacchio était fonctionnaire à la Congrégation pour les évêques depuis 2007, date à laquelle le cardinal Bergoglio l’a envoyé à Rome.
La semaine dernière, Mgr Yoannis Lahzi Gaid, deuxième secrétaire du pape François, a également quitté l’office. Égyptien issu du service diplomatique du Vatican, Gaid a également travaillé dans le domaine des relations islamo-chrétiennes et est maintenant membre du Comité supérieur pour la fraternité humaine, né après la déclaration d’Abou Dhabi.
Le pape François a donc démantelé son équipe. Mgr Pedacchio a été remplacé par le père Gonzalo Aemilius, un prêtre uruguayen issu d’une famille fortunée qui s’est distingué par son travail auprès des jeunes des rues. Aemilius s’est installé à Rome il y a quelques années, et le pape François lui a confié le soin spirituel du dispensaire de Santa Marta, une des activités caritatives au sein du Vatican.
Mgr Gaid a été remplacé comme deuxième secrétaire par le père Fabio Salerno, un fonctionnaire de la Secrétairerie d’État qui avait auparavant servi à la nonciature en Indonésie et à la mission du Conseil de l’Europe. Il n’a jamais travaillé avec le pape François, ni comme secrétaire. Mais, au moins, il connaît l’institution du Vatican.
Le changement de secrétariat privé du pape donne matière à réflexion. Le secrétariat du pape n’est pas un bureau de la Curie. Cependant, le secrétariat a été une « façon de faire » fondamentale pour gérer les rencontres et les horaires des papes. Les secrétaires privés ont été appelés à travailler avec la Préfecture de la Maison pontificale. Ce n’est pas un hasard si Stanislaw Dziwisz et Georg Gänswein, respectivement secrétaires de Jean-Paul II et de Benoît XVI, ont été nommés plus tard préfet adjoint et préfet.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un bureau de la Curie, le pape François a voulu appliquer à ses secrétaires la règle selon laquelle au Vatican, chaque poste a un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Cette règle fait partie de la réforme de la Curie actuellement en discussion. Le pape a appliqué cette loi encore non écrite à son secrétariat, bien qu’assez librement: Mgr Pedacchio est resté sept ans, tandis que Mgr Gaid a servi le pape pendant six ans. Mgr Gaid devait partir l’année dernière, et le pape François l’a gardé une année de plus.
Le pape François a donc traité le secrétariat personnel comme n’importe quel autre bureau de la Curie. Reste à voir si ce changement sera inclus dans Praedicate Evangelium, la constitution apostolique qui réformera la Curie romaine.
La composition finale du nouveau secrétariat donne également matière à réflexion. Mgr Pedacchio et Mgr Gaid étaient tous deux des fonctionnaires du Vatican de longue date. Pedacchio a servi dans la Congrégation pour les évêques, tandis que Gaid vient du service diplomatique du Vatican.
Le père Aemilius, le nouveau secrétaire, n’a aucune expérience du Vatican. On pourrait rétorquer que ni Dziwisz ni Gäwnswein n’étaient issus des rangs du Vatican. Un deuxième secrétaire ayant l’expérience du Vatican les a aidés, tant sur le plan linguistique que sur celui des méthodes.
Le pape François a pris la décision de suivre la même logique – un secrétaire personnel qui n’est pas du Vatican, qu’il connaît déjà, plus un fonctionnaire du Vatican – mais à sa manière. Il a pris un homme du service diplomatique du Vatican. Le père Salerno devra apprendre les tâches de secrétaire du pape, tandis que le premier secrétaire apprend encore à naviguer dans de nouvelles eaux.
En réalité, le pape François n’utilise pas beaucoup son secrétariat. Il préfère gérer ses réunions. Il a un carnet de rendez-vous public, et un carnet personnel que personne ne voit. Le pape ne veut pas de filtres : il rencontre qui il veut, quand il veut, comme il veut.
Le pape François va-t-il continuer à agir de la sorte ?
Le modus operandi du Pape François met aussi en danger la Préfecture de la Maison Pontificale. La fermeture de la Préfecture a été largement médiatisée. Elle n’a jamais eu lieu [ndt: en réalité, il a procédé différemment, la vidant de sa substance, càd la transformant en une coquille vide… quid de la sitiuation de Georg Gänswein?].
Selon les anti-Préfecture, les réunions d’État du pape François pourraient être organisées par le bureau du protocole de la Secrétairerie d’État. En même temps, le secrétariat personnel du pape pouvait s’occuper de tout le reste.
Le pape François semble n’apprécier aucune contrainte institutionnelle. Pourtant, chaque bureau au sein du Palais Apostolique a une histoire et une signification, tout comme chaque disposition protocolaire.
On dit souvent que le pape François s’oppose à la notion de « cour de la Renaissance ». La cour du Vatican est née pour aider le pape dans son travail, lui fournir le filtre nécessaire pour comprendre les problèmes et l’aider dans son gouvernement. Le pape François a souvent parlé des maladies que l’on peut contracter en travaillant à la Curie et a mis en garde contre l’autoréférentialité.
En fin de compte, le pape pense que les postes génèrent du carriérisme et doivent donc être limités. Personne ne semble reconnaître que certains fonctionnaires peuvent mieux travailler lorsqu’ils restent plus longtemps à leur poste, car le temps aide à assimiler l’histoire, la tradition et le modus operandi.
Le démantèlement du secrétariat du Pape conduit à un monde où la langue même du Vatican est en jeu. Cela pèsera lourdement à l’avenir. Comment un pape pourra-t-il donner plus d’importance à son secrétariat sans donner l’impression de rétablir une cour ? Comment un pape qui apprécie davantage les symboles de l’institution pourra-t-il les utiliser sans être attaqué en tant que traditionaliste ?
La nomination du nouveau secrétaire indique que le pape François conserve une partie de l’héritage de la pensée institutionnelle, décevant ceux qui s’attendent à une révolution. Mais le pape peut toujours rompre avec les précédents par ses actes. Les futures nominations devront être analysées avec soin.