La formidable analyse du philosophe athée italien (déjà rencontré dans ces pages, voir en particulier Une question, 20/4/2020) qui nous invite à réfléchir sur « la terreur sanitaire pure et simple » qu’on nous a imposée à la « faveur » du virus. Il vient de publier un recueil des articles qu’il a écrits au fil de ces mois « d’état d’urgence » (Où en sommes-nous? L’épidémie comme politique, inutile d’attendre sa traduction en français): publication à chaud, puisque malheureusement non seulement l’opération d’ingéniérie sociale n’est pas dernière nous, mais elle connaît ces jours-ci une progression plus foudroyante que le virus lui-même.

L’épidémie comme politique, le Covid expliqué par Agamben

Fabio Piemonte
La NBQ
29 septembre 2020
Ma traduction

Une grande transformation est en cours dans les démocraties occidentales: au nom de la santé et de la biosécurité – nouveau paradigme scientifique – elles s’ouvrent à une nouvelle forme de despotisme dans laquelle les citoyens acceptent des restrictions de liberté sans précédent. Le philosophe Giorgio Agamben en parle dans son recueil de réflexions intitulé A che punto siamo? L’epidemia come politica”.

« Un appareil idéologique explicitement totalitaire, opérant à travers l’instauration d’une terreur sanitaire pure et simple et d’une sorte de religion de la santé » diffuse quotidiennement des « chiffres dépourvus de toute consistance scientifique ». Mais « comment se fait-il qu’un pays entier, sans s’en rendre compte, se soit effondré éthiquement et politiquement face à une maladie? »

À cette question, le philosophe Giorgio Agamben apporte une réponse pénétrante dans “A che punto siamo? L’epidemia come politica”, un recueil de réflexions critiques sur les différentes phases de l’urgence sanitaire que nous connaissons. Le philosophe romain dénonce ouvertement les conséquences d’un « état d’exception » qui, dans notre pays aussi, a de fait suspendu certaines libertés fondamentales qui sont garanties par la Constitution. Et en effet, il semble que cette « menace pour la santé ait fait accepter à des hommes des limitations de liberté qu’ils n’avaient jamais rêvé de pouvoir tolérer, ni pendant les deux guerres mondiales ni sous des dictatures totalitaires ». Par ailleurs, comme l’enseigne l’histoire, « l’état d’exception est le mécanisme qui permet la transformation des démocraties en États totalitaires ».

Dans cette perspective, la gestion de l’information, en vertu de laquelle « le gouvernement a mis en place une commission qui a le pouvoir de décider quelles nouvelles sont vraies et lesquelles doivent être considérées comme fausses » est tout aussi fondamentale.

En réalité, en ce qui concerne les chiffres diffusés, les choses ne sont pas exactement comme on le dit, il s’agit au contraire d' »une gigantesque opération de falsification de la vérité », car « donner un chiffre de décès sans le rapporter à la mortalité annuelle dans la même période et sans préciser la cause réelle du décès n’a aucun sens ». Et de fait, le président de l’ISTAT (version italienne de l’INSSE, ndt), Gian Carlo Blangiardo, en ce qui concerne les chiffres officiels de 2019, a annoncé dans un rapport qu' »en mars 2019, les décès dus aux maladies respiratoires étaient de 15 189, et l’année précédente de 16 220. Incidemment, on note qu’ils sont supérieurs au nombre de décès par Covid (12 352) déclaré en mars 2020″.

Les contradictions sont également à l’ordre du jour entre les médecins et les virologues, qui souvent « admettent qu’ils ne savent pas exactement ce qu’est un virus, mais prétendent en son nom décider de la façon dont les humains doivent vivre ».

Le mantra pour tous, sans discrimination, est alors celui de la distanciation sociale (et non « personnelle » ou « physique » comme on pourrait s’y attendre), qui prépare le terrain pour la « définition d’une nouvelle structure de la relation entre les humains », car une « urgence perpétuelle génère un besoin constant de sécurité ». On a donc intentionnellement créé « une gigantesque vague de peur, causée par le plus petit être existant, que les puissants du monde guident et orientent en fonction de leurs fins. Ainsi, dans un cercle vicieux pervers, la limitation de la liberté imposée par les gouvernements est acceptée au nom d’un désir de sécurité qui a été induit par ces mêmes gouvernements qui interviennent maintenant pour le satisfaire ».

Une autre conséquence éthico-politique non négligeable d’un tel « état d’urgence » est « l’abolition pure et simple de tout espace public », dès lors que « les mesures nous obligent de facto à vivre dans des conditions de couvre-feu. Mais une guerre avec un ennemi invisible qui peut se cacher dans chaque autre homme est la plus absurde des guerres ».

Pendant la période de confinement, nous avons assisté au paradoxe consistant à « suspendre la vie pour la protéger », au nom non pas d’une preuve scientifique partagée par les experts, mais d’un fidéisme scientiste qui nie toute foi religieuse et se pose comme vérité absolue, de sorte que « les hommes ne croient plus en rien d’autre que l’existence biologique nue (séparée de la vie affective, culturelle et spirituelle) qui doit être sauvée à tout prix« .

Face à la douleur des proches des patients morts dans l’solement, Agamben se demande « comment nous avons pu accepter, uniquement au nom d’un risque qu’il n’était pas possible de spécifier, que les personnes qui nous sont chères et les êtres humains en général non seulement meurent seuls, mais que – chose qui n’était jamais arrivée auparavant dans l’histoire, d’Antigone à aujourd’hui – leurs cadavres soient brûlés sans funérailles ».

Aux juristes, l’expert en biopolitique fait par contre remarquer « l’utilisation inconsidérée des décrets d’urgence par lesquels le pouvoir exécutif remplace le pouvoir législatif, abolissant ainsi le principe de séparation des pouvoirs qui définit la démocratie ».

En penseur non catholique, Agamben ne ménage pas non plus ses critiques à l’égard de l’Église:

Sous un pape nommé François, elle a oublié que François embrassait les lépreux. Elle a oublié que l’une des œuvres de miséricorde est de rendre visite aux malades. Elle a oublié que les sacrements ne peuvent être administrés qu’en présence, que les martyrs enseignent qu’il faut être prêt à sacrifier la vie plutôt que la foi et que renoncer à son prochain signifie renoncer à la foi.

Bref, maintenant que « le citoyen n’a plus un droit à la santé (health safety), mais devient juridiquement obligé à la santé (biosecurity) », on assiste à l’inauguration d' »un nouveau paradigme de biosécurité, auquel toutes les autres nécessités doivent être sacrifiés. Il est légitime de se demander si une telle société peut encore être définie comme humaine ou si la perte des rapports sensibles, du visage, de l’amitié, de l’amour peut être réellement compensée par une sécurité sanitaire abstraite et vraisemblablement complètement fictive ».

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