Benedetta Frigerio, presque une semaine après l’invasion du Capitole, reprend le mantra de la fracture entre les « élites » (de fausse droite comme de gauche) et le peuple, qui trouve ici une confirmation éclatante sur une scène planétaire. En lisant l’article, on est frappé par la similitude avec la France (cf. les « gilets jaunes »), même si, extérieurement au moins, les choses se passent différemment. Le Parti Républicain américain actuel correspond chez nous, en gros, au parti « LR » (la droite qualifiée de républicaine par la gauche, qui la méprise mais accepte éventuellement de partager le pouvoir avec elle, via l’alternance; aux USA, c’est le GOP « classique », élitiste et BCBG) et à la droite dite « extrême » (celle des classes populaires, que ses adversaires détestent, mais craignent; aux USA, ce sont les électeurs de Trump). Le lynchage de Trump doit nous servir d’avertissement au cas où une alliance contre-nature entre la droite « républicaine » et la droite « extrême » (qui, sociologiquement parlant, n’ont presque rien en commun) accédait au pouvoir par les urnes.
Un exemple très éclairant de ce mépris, illustré par Edouard Husson
Toute l’arrogance des « Anywheres ». Comme si le diplôme était, après 50 ans de culture soixante-huitarde, un gage de compétence. C’est le contraire: le problème de notre monde vient de l’inflation de diplômes frelatés. Et du mépris des semi-instruits pour l’expérience des peuples. https://t.co/bAylgesEHy
— Edouard Husson (@edouardhusson) January 8, 2021
Beaucoup d’intellectuels voient un échec de l’éducation dans ce qui a mal tourné à Washington...
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Les « Anywheres » sont ceux qui se sentent bien « n’importe où », càd les gagnants de la mondialisation – les électeurs de Macron – par opposition aux « Somewheres », ceux qui sont « nés quelque part » et qui y tiennent
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Le GOP se débarrasse de Trump mais le vrai coup d’État est à gauche
Benedetta Frigerio
La NBQ
12 janvier 2021
Ma traduction
Les faits montrent clairement qu’il y a quelque chose de louche dans l’attaque du Capitole et qu’attribuer la faute à Trump est le résultat d’un récit malhonnête qui désormais touche franchement au ridicule. Et pourtant, une partie de l’establishment du Gop [Great Old Party] a immédiatement retourné sa veste, confirmant la déconnexion entre le peuple et une élite (gauche et droite, croyants et non-croyants) qui se sent moralement supérieure à lui. Mais le président sortant est loin d’être fini.
Tout comme après l’élection de François, le retrait de Trump a été l’occasion d’un brusque revirement contre le président sortant de la part de ceux qui l’avaient soutenu et même adulé. Ainsi, avant même d’essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé lors de la manifestation du 6 janvier, où des centaines de milliers de personnes étaient présentes pour protester pacifiquement contre la fraude des élections présidentielles de novembre dernier, sénateurs, politiciens, intellectuels et journaux ont retourné leur veste
Il suffit de dire que seuls 8 des 12 sénateurs déterminés à ne pas reconnaître l’élection de Biden ont tenu leur promesse (les républicains ont mieux résisté à la Chambre avec 139 contre l’élection du démocrate), tandis que la sénatrice de l’Alaska Lisa Murkowski, immédiatement après la manifestation, a crié : « Je veux qu’il démissionne (avant le 20 janvier, date de la cérémonie d’investiture de Biden), je ne veux plus de lui, il a déjà fait assez de dégâts ». Le sénateur Ben Sasse (Nebraska) n’a pas fait mieux, signalant qu’il est prêt à envisager la destitution si celle-ci est approuvée par la Chambre à la demande de la présidente Nancy Pelosi. Même une loyaliste comme Lindsey Graham, sénatrice de Caroline du Sud, a laissé tomber le président.
Mais on le sait, Trump est un homme qui a redonné vie à un parti, le parti républicain, qui l’avait d’emblée vu comme un ennemi. Lors des primaires pour l’élection de 2016, l’establishment Gop avait tout fait pour l’éloigner, sans parler des intellectuels conservateurs (catholiques et autres) terrifiés par son côté « brut de coffre ». Malgré cela, le vote populaire a été plus que jamais en sa faveur et tout le monde a donc dû accepter la candidature du magnat américain. Ainsi, qu’ils le veuillent ou non, après des personnages trop « démocrates-chrétiens », comme Mitt Romney (2012), incapables de représenter un peuple fatigué d’une gauche plus radicale que jamais (celle de la présidence Obama qui a débuté en 2008), Trump s’est présenté contre Clinton. Les grands médias étant déjà tous alignés contre lui, personne n’aurait imaginé qu’un homme aussi éloigné de la politique puisse battre un éléphant politique démocrate comme Clinton. Mais quand la réalité s’est mise en place, déclenchant l’hystérie de tous les progressistes américains avec des stars et des célébrités marchant contre le président en incitant à la violence (« J’ai souvent pensé à faire sauter la Maison Blanche » a crié ici la pop star Madonna) sans aucune conséquence juridique ou condamnation médiatique, petit à petit, les détracteurs républicains de Trump ont commencé à s’organiser.
Pendant ces années, une partie des Républicains (par exemple les théocons) a continué à s’opposer à lui pour ses choix de politique étrangère (il n’a pas fait une seule guerre et a contribué à la détente au Moyen-Orient avec des accords de paix sans précédent comme entre le Maroc et Israël, le Bahreïn et Israël, le Soudan et Israël, les Emirats et Israël, dans les Balkans et en assouplissant les relations avec la Corée du Nord) tandis que tous les médias, même une partie du staff de Fox News, ont continué à le combattre. Quelques hommes politiques de confiance, comme Pompeo et Pence, et quelques journaux, comme The Federalist, Breith Bart et The Daily Caller, sont restés à ses côtés, mais lorsqu’ils ont réalisé l’extrême danger de perdre à plates coutures, dès qu’ils ont compris comment les faits du Capitole allaient être présentés, ils se sont démarqués.
Pour une fois, CNN a souligné à juste titre que ces positions sont ridicules. Il suffit de dire que Ted Cruz, le sénateur du Texas qui a parrainé la manifestation et a même voté contre l’élection de Biden, a déclaré, dès qu’il a réalisé ce qui se passerait après le 6 janvier « je suis en désaccord avec le langage et la rhétorique du président depuis quatre ans ». La députée républicaine du Wyoming, Liz Cheney, en a rajouté une dose en reprochant à Trump d’avoir « attisé les flammes » du soulèvement, tout comme l’ancien gouverneur républicain du New Jersey Chris Christie et l’ex-représentant républicain de Caroline du Sud Trey Gowdy. Même des ministres comme Betsy Devos (ministre de l’éducation) ont commencé à accuser Trump de ces incidents. Enfin, outre les rumeurs selon lesquelles un nombre croissant de Républicains au Congrès seraient prêts à voter pour sa destitution (procédure qui, par le passé, a conclu à son innocence), certains disent que le loyaliste vice-président sortant, Mike Pence, est prêt à invoquer le 25e amendement afin de faire démissionner Trump pour empêchement à gouverner avant le 20 janvier.
La responsabilité morale de ce qui s’est passé incomberait au président sortant également pour son secrétaire à la justice William Barr, qui s’était déjà démarqué de lui quand Trump a décidé de faire la lumière sur la fraude électorale. Aujourd’hui, on parle d’un Pence plus modéré à la tête du parti, d’une occasion en or pour le Gop de se montrer moins extrémiste, en oubliant que sans Trump, les républicains seraient morts. Et en oubliant que sans la force de lutter contre les pouvoirs forts et les systèmes médiatiques hostiles, comme il l’a fait, le parti n’aurait pas obtenu ne serait-ce qu’un centième de ce qu’il a obtenu pour ses électeurs. Mais cela importe peut-être peu pour les dirigeants du Gop.
Comme l’a bien résumé Tucker Carlson, journaliste de Fox News, il y a en fait une raison profonde à cela :
« Les gens qui dirigent le Parti républicain n’aiment pas beaucoup leurs propres électeurs . Et surtout, ils ne veulent pas des électeurs amenés par Trump. Trump a considérablement abaissé le standing du parti, « du country club il l’a amené au terrain de camping », comme ils le disent souvent en ricanant. Et cela les terrifie… Trump a vraiment mangé au McDonald’s : il l’a fait et ils le savaient… On l’entend rarement dire à haute voix, mais c’est la vérité : c’est une forme très spécifique de haine intra-blanche… ils éprouvent du mépris pour les gens de la classe ouvrière qui leur ressemblent. »
Mais revenons aux faits : Trump a été accusé d’être coupable de ce qui s’est passé, d’incitation à la violence. Pourtant, parmi la foule entrée au Capitole, seule quelques individus liés au mouvement Antifa étaient armés, tandis que la police déployée devant le bâtiment était une poignée contre des centaines de milliers de manifestants, avec une femme non armée tuée à l’extérieur du Congrès par un officier qui a tiré au hasard dans la foule produisant la victime-martyre des manifestations (par coïncidence, cette fois, la responsabilité n’a pas été imputée à la police). Peut-on dire que Trump en est la cause alors que depuis des mois, il appelle à l’ordre en condamnant ceux qui mettaient le feu à Washington et à d’autres villes, détruisaient des bâtiments, des églises, des vitrines, des voitures et blessaient d’autres personnes ?
Trump a été pris par surprise par un appareil d’État (« Deep state ») qu’il a dénoncé à maintes reprises et dont il sait qu’il est massivement opposé à sa présidence. Le coup d’État a manifestement été mené par la gauche qui, en tentant immédiatement de l’écarter illégalement et en trichant, puis en légitimant pendant des mois de violentes protestations qu’elle qualifie de pacifiques, a fait de Trump un leader de millions de terroristes, justifiant ainsi la récente censure des médias (Trump a été expulsé de Twitter et de Facebook tandis que Parler a été supprimé des serveurs d’Apple, de Google et d’Amazon). Ce qui signifie que le président actuel est encore très craint et loin d’être mort.
Le principal sondagiste républicain Frank Luntz, suite à plusieurs entretiens avec des électeurs républicains de base et des fonctionnaires, réalisés après le 6 janvier, a expliqué : « Les administrateurs fuient un navire qui coule, mais ses partisans ne l’ont pas abandonné et veulent en fait qu’il continue à se battre ». Doug Deason, un important donateur républicain, a déclaré que les événements de cette semaine n’ont pas ébranlé sa confiance en Trump : « Il a été le meilleur président de ma vie, y compris Reagan ». C’est peut-être pour cette raison qu’il fallait faire passer plus de 73 millions d’Américains pour des terroristes intérieurs.
Mots Clés : Présidentielles US,Trump