Sous ce titre provocateur se cache une question dramatique pour les catholiques, qu’AM Valli développe ici longuement, s’inspirant du titre d’un roman dystopique intitulé justement « Roma senza Papa ». Certes, physiquement, un pape est présent à Rome… mais en réalité, c’est Jorge Bergoglio, ce n’est pas Pierre, et Jorge Bergoglio, refuse d’endosser ce rôle. Et c’est infiniment plus grave que son adhésion à l’agenda de l’Onu et au politiquement correct, car le Dieu dont il nous parle n’est pas le Dieu de la Bible: c’est un Dieu « compagnon de route », pas un père; un Dieu qui disculpe, pas le Dieu qui pardonne.

Bergoglio, qui n’aime pas se présenter comme le successeur du prince des apôtres et qui, dans l’Annuaire pontifical, a fait passer au second plan l’appellation de Vicaire du Christ, se sépare implicitement de l’autorité que Notre Seigneur a conférée à Pierre et à ses successeurs. Et ce n’est pas une simple question canonique. C’est une réalité dont les conséquences sont les plus graves pour la papauté.

Rome sans Pape. Il y a Bergoglio. Pas Pierre

Rome n’a pas de pape. La thèse que j’entends soutenir peut se résumer en ces quatre mots. Quand je dis Rome, je ne me réfère pas seulement à la ville dont le pape est évêque. Je dis Rome pour signifier le monde, pour signifier la réalité actuelle.

Le pape, bien que physiquement présent, n’est pas vraiment là parce qu’il n’est pas pape (non fa il papa). Il est là, mais il n’accomplit pas sa tâche de successeur de Pierre et de vicaire du Christ. Il y a Jorge Mario Bergoglio, il n’y a pas Pierre.

Qui est le pape ? Les définitions, selon qu’on veut privilégier l’aspect historique, théologique ou pastoral, peuvent être différentes. Mais, pour l’essentiel, le pape est le successeur de Pierre. Et quelles étaient les tâches assignées par Jésus à l’apôtre Pierre? D’un côté, « pais mes brebis » (Jn 21, 17); de l’autre, « tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (Mt 16, 19).

Voilà ce que le pape doit faire. Mais aujourd’hui, il n’y a personne pour accomplir cette tâche. « Et toi, une fois converti, affermis tes frères dans la foi » (Lc 22, 32). C’est ce que Jésus dit à Pierre. Mais aujourd’hui, Pierre ne paît pas ses brebis et ne les confirme pas dans la foi. Pourquoi? On dira: parce que Bergoglio ne parle pas de Dieu, mais seulement des migrants, de l’écologie, de l’économie, des questions sociales. Ce n’est pas le cas. En réalité, Bergoglio parle aussi de Dieu, mais de toute sa prédication sort un Dieu qui n’est pas le Dieu de la Bible, mais un Dieu adultéré, un Dieu, je dirais, dépourvu de pouvoir ou, mieux encore, adapté. A quoi ? A l’homme et à sa prétention d’être justifié en vivant comme si le péché n’existait pas.

Bergoglio a certainement placé les questions sociales au centre de son enseignement et, à quelques exceptions près, semble être en proie aux mêmes obsessions que la culture dominée par le politiquement correct, mais je crois que ce n’est pas la raison profonde pour laquelle Rome est sans pape. Même en voulant privilégier les questions sociales, on peut toujours avoir une perspective authentiquement chrétienne et catholique. La question, avec Bergoglio, en est une autre, à savoir que la perspective théologique est biaisée. Et pour une raison très précise : parce que le Dieu dont Bergoglio nous parle est enclin non pas à pardonner, mais à disculper.

Dans Amoris laetitia, nous lisons que « l’Église doit accompagner ses enfants les plus fragiles avec soin et attention ». Je regrette, mais ce n’est pas vrai. L’Église doit convertir les pécheurs.

On lit également dans Amoris laetitia que « l’Église ne manque pas de valoriser les éléments constructifs dans les situations qui ne correspondent pas encore ou plus à son enseignement sur le mariage ». Je regrette, mais ce sont des mots ambigus. Dans les situations qui ne correspondent pas à son enseignement, il peut bien y avoir des « éléments constructifs » (mais après, dans quel sens?), toutefois, l’Église n’a pas pour tâche de valoriser ces éléments, mais de convertir à l’amour divin auquel on adhère en observant les commandements.

Dans Amoris laetitia, nous lisons également que la conscience des personnes « peut non seulement reconnaître qu’une situation ne répond pas objectivement à la proposition générale de l’Évangile, mais elle peut aussi reconnaître avec sincérité et honnêteté ce qui est pour le moment la réponse généreuse que l’on peut offrir à Dieu, et découvrir avec une certaine certitude morale que c’est le don que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, bien que ce ne soit pas encore pleinement l’idéal objectif ». De nouveau, l’ambiguïté. Premièrement, il n’y a pas de « proposition générale » de l’Evangile, à laquelle on peut adhérer plus ou moins. Il y a l’Evangile avec son contenu très précis, il y a les commandements avec leur force. Deuxièmement: Dieu ne peut jamais, au grand jamais nous demander de vivre dans le péché. Troisièmement: personne ne peut prétendre posséder « une certaine certitude morale » sur ce que Dieu « exige au milieu de la complexité concrète des limitations ». Ces expressions fumeuses n’ont qu’un seul sens: légitimer le relativisme moral et se moquer des commandements divins.

Ce Dieu qui s’est engagé plus qu’autre chose à exonérer l’homme, ce Dieu en quête de circonstances atténuantes, ce Dieu qui s’abstient de commander et préfère comprendre, ce Dieu qui « est proche de nous comme une mère qui chante une berceuse », ce Dieu qui n’est pas juge mais « proximité », ce Dieu qui parle de la « fragilité » humaine et non du péché, ce Dieu plié à la logique de « l’accompagnement pastoral » est une caricature du Dieu de la Bible. Car Dieu, le Dieu de la Bible, est certes patient, mais pas laxiste; il est certes aimant, mais pas permissif; il est certes attentionné, mais pas accommodant. En un mot, il est père dans le sens le plus complet et le plus authentique du terme.

La perspective adoptée par Bergoglio semble au contraire être celle du monde : qui souvent ne rejette pas totalement l’idée de Dieu, mais rejette les traits qui sont moins en accord avec la permissivité généralisée. Le monde ne veut pas d’un vrai père, qui aime au point de juger, mais d’un ami; ou mieux encore, d’un compagnon de route qui laisse faire les choses et dit « qui suis-je pour juger? »

J’ai écrit en d’autres occasions qu’avec Bergoglio, triomphe une vision qui renverse la vision réelle: c’est la vision selon laquelle Dieu n’a pas de droits, mais seulement des devoirs. Il n’a pas le droit de recevoir un culte digne, ni de ne pas être bafoué. Il a cependant le devoir de pardonner. Au contraire, selon ce point de vue, l’homme n’a pas de devoirs, mais seulement des droits. Il a le droit d’être pardonné, mais pas le devoir de se convertir. Comme s’il pouvait y avoir un devoir de Dieu de pardonner et un droit de l’homme à être pardonné.

C’est pourquoi Bergoglio, peint comme le pape de la miséricorde, me semble le pape le moins miséricordieux qu’on puisse imaginer. En fait, il néglige la première et fondamentale forme de miséricorde qui est sa responsabilité et sa seule responsabilité: prêcher la loi divine et, ce faisant, montrer aux créatures humaines, du haut de l’autorité suprême, le chemin du salut et de la vie éternelle.

Si Bergoglio a conçu un « dieu » de ce genre – que volontairement j’indique avec une minuscule, puisque ce n’est pas le Dieu Un et Trine que nous adorons – c’est parce que pour Bergoglio il n’y a aucune faute dont l’homme doive demander pardon, ni personnelle ni collective, ni originelle ni actuelle. Mais s’il n’y a pas de faute, il n’y a pas non plus de Rédemption; et sans la nécessité de Rédemption, l’Incarnation, et encore moins l’oeuvre salvatrice de la seule Arche du salut qu’est la Sainte Eglise, n’a pas de sens. On se demande si ce « dieu » n’est pas plutôt le simia Dei, Satan, qui nous pousse vers la damnation justement au moment où il nie que les péchés et les vices avec lesquels il nous tente peuvent tuer notre âme et nous condamner à la perte éternelle du Bien suprême.

Rome est donc sans pape. Mais si dans la dystopie du Vatican de Guido Morselli (le roman intitulé justement ‘Rome sans pape’) il en était ainsi physiquement, parce que ce pape imaginaire était parti vivre à Zagarolo, aujourd’hui Rome est sans pape d’une manière beaucoup plus profonde et radicale.

J’entends déjà l’objection: mais comment peut-on dire que Rome est sans pape quand François est partout? Il est à la télévision et dans les journaux. Il a fait la couverture de Time, Newsweek, Rolling Stones, et même Forbes et Vanity Fair. Il est présent sur des sites web et dans un nombre infini de livres. Il est interviewé par tout le monde, même par la Gazzetta dello Sport. Jamais peut-être un pape n’a été aussi présent et aussi populaire. Je réponds: c’est vrai, mais c’est Bergoglio, ce n’est pas Pierre.

Que le Vicaire du Christ s’occupe des choses du monde n’est certes pas interdit, au contraire. La foi chrétienne est une foi incarnée et le Dieu des chrétiens est un Dieu qui se fait homme, qui se fait histoire, donc le christianisme évite les excès du spiritisme. Mais c’est une chose d’être dans le monde et une autre de devenir comme le monde. En parlant comme le monde parle, et en raisonnant comme le monde raisonne, Bergoglio a fait s’évaporer Pierre et a mis lui-même au premier plan.

Je le répète : le monde, notre monde né de la révolution de Soixante-huit, ne veut pas d’un vrai père. Le monde préfère le compagnon. L’enseignement du père, s’il est un vrai père, est fatiguant, car il indique le chemin de la liberté dans la responsabilité. Il est beaucoup plus confortable d’avoir à ses côtés une personne qui se limite à vous tenir compagnie, sans rien vous indiquer. Et c’est exactement ce que fait Bergoglio: il montre un Dieu qui n’est pas un père, mais un compagnon. Ce n’est pas un hasard si « l’église sortante » de Bergoglio, comme tout modernisme, aime le verbe « accompagner ». C’est une église « compagne de route » qui justifie tout (par une conception déformée du discernement) et, en fin de compte, relativise.

La preuve en est le succès que Bergoglio a rencontré auprès des lointains, qui se sentent confirmés dans leur éloignement, tandis que les voisins, désorientés et perplexes, ne se sentent absolument pas confirmés dans la foi.

Jésus est très explicite sur le sujet. « Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous ». (Lc 6:26). « Heureux êtes-vous, quand les hommes vous haïront, quand ils vous feront honte, quand ils vous injurieront et mépriseront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme » (Lc 6, 22).

Périodiquement, une rumeur circule selon laquelle Bergoglio, comme Benoît XVI, pense à démissionner. Je crois qu’il n’a pas de tels projets, mais le problème est tout autre. Le problème est que Bergoglio est devenu le protagoniste de facto d’un processus de démission des devoirs de Pierre.

J’ai déjà écrit ailleurs que Bergoglio est désormais devenu l’aumônier des Nations unies, et je considère que ce choix est d’une gravité sans précédent. Cependant, plus grave encore que son adhésion à l’agenda des Nations unies et au politiquement correct, il a renoncé à nous parler du Dieu de la Bible et le Dieu au centre de sa prédication est un Dieu qui disculpe et non qui pardonne.

La crise de la figure paternelle et la crise de la papauté vont de pair. De même que le père, rejeté et démantelé, s’est transformé en compagnon générique sans aucune prétention à montrer la voie, de même le pape a cessé d’être le porteur et l’interprète de la loi divine objective et a préféré devenir un simple compagnon.

Pierre a donc disparu au moment où nous avions le plus besoin de lui pour nous montrer Dieu comme père universel: père aimant non pas parce qu’il est neutre, mais parce qu’il juge; miséricordieux non pas parce qu’il est permissif, mais parce qu’il s’engage à nous montrer la voie du vrai bien; compatissant non pas parce qu’il est relativiste, mais parce qu’il est désireux de nous montrer la voie du salut.

J’observe que le protagonisme auquel se livre l’ego de Bergoglio n’est pas une nouveauté, mais qu’il remonte en grande partie à la nouvelle approche anthropocentrique du Concile, à partir de laquelle les papes, les évêques et les clercs se sont placés devant leur ministère sacré, leur propre volonté devant celle de l’Église, leurs propres opinions devant l’orthodoxie catholique, leurs propres extravagances liturgiques devant le caractère sacré du rite [ceci ne vaut certes pas pour Benoît XVI, ndt].

Cette personnalisation de la papauté est devenue explicite depuis que le Vicaire du Christ, voulant se présenter comme « un comme nous », a renoncé au plurale humilitatis avec lequel il montrait qu’il ne parlait pas à titre personnel, mais avec tous ses prédécesseurs et l’Esprit Saint lui-même. Pensons-y: ce Nous sacré, qui faisait trembler Pie IX en proclamant le dogme de l’Immaculée Conception et Saint Pie X en condamnant le modernisme, n’aurait jamais pu être utilisé pour soutenir le culte idolâtre de la pachamama, ni pour formuler les ambiguïtés d’Amoris laetitia ou l’indifférentisme de Fratelli tutti.

En ce qui concerne le processus de personnalisation de la papauté (auquel l’avènement et le développement des mass media ont apporté une contribution importante), il faut rappeler qu’il fut un temps où, du moins jusqu’à Pie XII inclus, les fidèles ne se souciaient pas de savoir qui était le pape, car ils savaient de toute façon que, qui qu’il soit, il enseignerait toujours la même doctrine et condamnerait les mêmes erreurs. En applaudissant le pape, ils n’applaudissaient pas tant celui qui était sur le saint trône à ce moment-là, mais la papauté, la royauté sacrée du vicaire du Christ, la voix du pasteur suprême, Jésus-Christ.

Bergoglio, qui n’aime pas se présenter comme le successeur du prince des apôtres et qui, dans l’Annuaire pontifical, a fait passer au second plan l’appellation de Vicaire du Christ, se sépare implicitement de l’autorité que Notre Seigneur a conférée à Pierre et à ses successeurs. Et ce n’est pas une simple question canonique. C’est une réalité dont les conséquences sont les plus graves pour la papauté.

Quand Pierre reviendra-t-il ? Combien de temps Rome restera-t-elle sans pape ? Inutile de se poser la question. Les desseins de Dieu sont mystérieux. Nous ne pouvons que prier le Père céleste en disant : « Que ta volonté soit faite, pas la nôtre. Et aie pitié de nous, pécheurs ».

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