Une pluie de décrets, mises sous tutelles et autres inspections, motu proprio, rescrits, etc.., encadre strictement la moindre initiative non alignée. La réalité dépasse la fiction (cf. Catholics, le film. Une belle surprise): jamais l’Eglise n’a été aussi scrutée, fliquée, monitorée, contrôlée. Dernière décision en date, un décret instaurant une limitation des mandats dans les mouvements ecclésiaux auxquels François préfère à l’évidence les mouvements populaires. Une bombe, dit l’éditorialiste de la NBQ, mais passée pratiquement inaperçue. En tout cas, une nouvelle illustration de la volonté de liquider l’héritage des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI [*]. Analyse de Stefano Fontana, et note critique du cardinal Cordes, ex-préfet du dicastère Cor Unum, aujourd’hui absorbé dans le Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie (dirigé par Kevin Farrell [**])

[*] Voir à ce sujet: Benoît XVI et les mouvements ecclésiaux (16/6/2021)

[**] Pour savoir qui est Kevin Farrel, ex-colocataire de Mac Carrick, promu par François préfet du dicastère vatican pour les laïcs et la famille, voir ici: Les drôles d’associés de François

Je ne pense pas que nous ayons jamais vu une série aussi importante de nominations de commissions, de visites apostoliques, de centralisation du pouvoir ecclésial, de craintes de représailles que lors de ce pontificat.

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Stefano Fontana
Photo vaticannews.va

Mais commençons par le commencement, l’information officielle sur le portail Vatican News:

UN DÉCRET INSTAURE UNE ROTATION DES MANDATS DANS LES ASSOCIATIONS DE FIDÈLES


Promulguée par le Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie et approuvée par le Pape, cette mesure vise à promouvoir une saine rotation des postes gouvernementaux, afin que l’autorité soit un authentique service de la communion contre le risque de personnalisation et d’abus. Des dispenses demeurent possibles pour les fondateurs.
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Le Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie a publié un décret général, qui a force de loi, réglementant la durée et le nombre de mandats dans les associations internationales de fidèles et la représentation nécessaire des membres dans le processus d’élection de l’organe directeur international. La mesure, approuvée dans sa forme spécifique par le Pape François et promulguée ce 11 juin, prendra effet dans trois mois. Il sera contraignant pour toutes les associations de fidèles et autres entités reconnues ou érigées par le Dicastère.

(…)

https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2021-06/decret-dicastere-familles-laics-vie-mouvements-ecclesiaux.html

Nico Spuntoni, après avoir développé les aspects techniques du décret, commentait:

LA BOMBE DE FRANÇOIS SUR LES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX: LIMITATION DES MANDATS


Le Vatican s’immisce par décret dans l’organisation des associations internationales de fidèles. Une limite de temps est introduite pour les mandats des organes directeurs et de leurs membres, fondateurs compris. Et ce, afin d’éviter l' »autoréférence » et les « abus réels ». Il met fin à une ère commencée par saint Jean-Paul II à Lorette en 1985.

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Il s’agit d’une mesure qui a des implications importantes dans la vie de l’Église puisqu’elle concerne – parmi beaucoup d’autres – des réalités telles que la Communauté de Sant’Egidio, la Fraternité de Communion et Libération, mais aussi des entités avec personnalité juridique soumises à la supervision du Dicastère comme le Chemin Néocatéchuménal. Bien que la note explicative souligne la continuité avec le passé, il n’est pas difficile d’interpréter cette mesure comme un redimensionnement de l’influence des mouvements ecclésiaux. C’est le jésuite Ulrich Rodhe, doyen de la Faculté de droit canonique de l’Université pontificale grégorienne et auteur d’un commentaire du décret publié dans L’Osservatore Romano, qui écrit que « les organes de direction des associations de fidèles ont fait l’objet jusqu’à présent de peu de normes canoniques » et que « les associations jouissaient d’une grande liberté – peut-être trop grande – en ce qui concerne la manière de conférer les fonctions et la durée maximale des mandats ».
En particulier, le signal provenant du décret du Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie est d’un grand intérêt pour l’Église italienne dans un climat synodal.
La réduction du poids des associations laïques, en fait, peut être lue comme la fin de la saison ouverte lors de la Conférence ecclésiale de Lorette en 1985 par saint Jean-Paul II, qui a décidé de se concentrer sur les mouvements pour donner un nouvel élan à l’Église, se heurtant à l’épiscopat italien aligné sur les positions de Martini. Ce bras de fer s’est poursuivi lors du Synode de 1987, où l’archevêque de Milan de l’époque a ouvertement polémiqué sur la stratégie de Wojtyla, affirmant que les mouvements devaient « se soumettre à l’évaluation et au jugement des évêques ». Une opinion très différente de celle exprimée par le Pontife polonais, qui avait suggéré aux dirigeants de Sant’Egidio qui voulaient fonder un institut séculier dans les années 80, de rester des laïcs et de ne pas se mettre « sous le parapluie de la Congrégation des religieux ».

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La prédilection de Jean-Paul II pour les mouvements était si indigeste pour le cardinal Martini qu’elle a justifié son avis défavorable à la canonisation dans sa déposition à la Congrégation pour les causes des saints, en affirmant que son soutien excessif aux associations laïques l’aurait conduit à négliger « en fait les Eglises locales ».

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https://lanuovabq.it/it/bomba-di-francesco-sui-movimenti-limite-di-mandati

Mouvements en laisse, il n’y a jamais eu moins de liberté dans l’Église.

Stefano Fontana
La NBQ
13 juin 2021
Ma traduction

Avec le nouveau décret imposant la démocratisation, les mouvements sont réduits à des associations et les charismes humiliés. Il s’agit d’une nouvelle étape dans le processus de resserrage et d’homologation qui a déjà touché les paroisses et les couvents cloîtrés. Les grands mouvements sont normalisés, les réfractaires sont sous pression et ceux qui résistent sont ouvertement combattus. Nous n’avons jamais vu une telle série de nominations de commissions, de visites apostoliques, de centralisation du pouvoir ecclésial et de craintes de représailles.

Le pape François a ordonné que la vie interne des associations et mouvements catholiques prévoie un changement périodique de leur direction. Une plus grande démocratie interne devrait éviter les concentrations de pouvoir, l’autoréférentialité des dirigeants, voire les abus.

A ce stade, la différence entre associations et mouvements n’est plus très claire, étant donné que les seconds sont également renvoyés à la vie démocratique des premières ; mais surtout, on ne voit plus très bien pourquoi un simple changement de procédure, emprunté au fonctionnement des associations mondaines, devrait produire des effets régénérateurs dans la vie des agrégations catholiques. Si la démocratie interne était suffisante pour garantir l’esprit ecclésial, alors même les curés, les évêques et le pape lui-même devraient être élus démocratiquement avec des mandats limités dans le temps. Communion et Libération n’a pas si mal fonctionné lorsque Luigi Giussani était là – pas pour une durée limitée.

Au-delà de ces constats trop faciles, la nouvelle intervention disciplinaire démontre encore que l’Église ne traverse pas une période de liberté interne, mais au contraire de contrainte et d’homologation, présentées comme des réformes libérales. Imposer des contraintes de mandat aux dirigeants des mouvements et associations semble être un moyen de libérer leur vie interne du pouvoir excessif des fondateurs ou, en général, des dirigeants qui ont historiquement émergé en leur sein, mais de façon réaliste, cela signifie la soumission au pouvoir ecclésiastique central. Un mouvement sans un fort pouvoir charismatique est moins autonome et moins libre. Sans l’ombre d’un doute, de ce point de vue, l’Église de Jean-Paul II et de Benoît XVI était plus libre que celle de François.

La signification de cette dernière mesure du Vatican est compréhensible dans toute son ampleur lorsqu’elle est reliée à de nombreuses autres. En 2016, le pape François a publié la constitution apostolique Vultum Dei quaerere sur la vie contemplative des femmes, et deux ans plus tard, le dicastère compétent du Vatican a publié les lignes d’application qui mettent en évidence – comme beaucoup l’ont souligné – une centralisation sans précédent et un nouvel uniformisme en contraste avec l’autodétermination traditionnelle spécifique à chaque chemin de vie contemplative. Comme les changements introduits concernent également la conception même de la vie contemplative, il est à craindre qu’une nouvelle orientation généralisée soit imposée d’en haut.

Le 10 mai 2021, le pape François a institué le ministère du catéchiste par le Motu proprio Antiquum ministerium. Si les catéchistes sont institués par l’évêque, car il s’agit d’un véritable ministère, le curé individuel devra utiliser les catéchistes institués et ne pourra plus les choisir sur la base de leur doctrine et de leur sagesse chrétienne. Encore une fois, il ne s’agit pas, comme cela pourrait sembler à première vue, d’une plus grande liberté dans l’Église, mais d’un resserrage afin d’avoir la certitude que les catéchistes feront tous la même chose et que les curés qui sont tièdes par rapport à la ligne indiquée par le centre auront de moins en moins de marge de manœuvre.

Si donc, revenant au sujet d’où nous sommes partis, on considère la situation des associations et des mouvements dans l’Église, on constate que leur enrégimentement est imposé avec détermination. Les grands mouvements sont normalisés, les réfractaires sont mis sous pression et ceux qui résistent sont ouvertement combattus. Je ne pense pas que nous ayons jamais vu une série aussi importante de nominations de commissions, de visites apostoliques, de centralisation du pouvoir ecclésial, de craintes de représailles que lors de ce pontificat.

Jean-Paul II et Benoît XVI étaient considérés comme des pontifes autoritaires, centrés sur la doctrine et peu tolérants à l’égard des dissidents. Le pape François, quant à lui, s’avère être un progressiste plutôt affirmé. Autrefois, ce sont les progressistes qui se plaignaient que l’Église « manque de souffle », mais maintenant que le progressisme est monté au sommet, elle manque de souffle bien plus qu’avant. C’est cette étrangeté qu’il faut expliquer. Les centralisateurs et les intimidateurs devraient être les gardiens de la conservation, ceux qui essaient d’empêcher le changement. Comment se fait-il, au contraire, que ce soit la nouvelle Église progressiste qui dise le plus « non », qui institue des interdictions, qui condamne à l’enfermement, qui menace de représailles si vous ne vous adaptez pas aux changements ordonnés ? Pourquoi est-ce la nouvelle Église libertaire qui réduit la liberté?

Jean-Paul II et Benoît XVI pensaient que l’Esprit pouvait susciter des vocations et des charismes qu’il fallait laisser couler dans le grand fleuve de l’Église. Ils devaient être aidés à rester dans l’Église, certes, mais pour des raisons et selon des modalités qui étaient de substance et non procédurales. Aujourd’hui, il semble plutôt que l’on soit pressé d’atteindre au plus vite les objectifs de la réforme vers laquelle nous devons marcher rapidement et à tout prix et que pour cela il faille serrer les rangs.

Note du cardinal Paul Josef Cordes

C’est ainsi que même l’Esprit Saint est bâillonné

https://www.lanuovabq.it/it/cosi-simbavaglia-anche-lo-spirito-santo

La grande floraison post-conciliaire des mouvements spirituels laïcs, encouragée et saluée par saint Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger de l’époque, est découragée et limitée par le nouveau décret général, et avec elle la promotion de la foi en Dieu au sein de l’Église.

Le cardinal Paul Josef Cordes [né en 1934, créé cardinal par Benoît XVI en 2007, ndt], président émérite du Conseil pontifical « Cor Unum » (**), a commencé à connaître de près le phénomène des mouvements spirituels dans les années 1970, lorsque le cardinal Julius Döpfner – alors président des évêques allemands – l’a nommé secrétaire de la commission pastorale de la Conférence épiscopale allemande. Arrivé à Rome en 1980, Cordes a été choisi par saint Jean-Paul II comme vice-président du Conseil Pontifical pour les Laïcs. Un poste, occupé dans une période particulièrement prolifique pour ces réalités ecclésiales, qui lui a permis de collaborer avec plusieurs des fondateurs les plus connus. Le cardinal allemand peut être considéré comme l’un des plus grands experts de ce qu’il considère comme des « écoles de foi éprouvées ». Benoît XVI lui-même, à l’occasion du 75e anniversaire de Cordes, a voulu le célébrer, rappelant le zèle pastoral particulier dont il a fait preuve à l’égard des mouvements.
Que pense le président émérite du Conseil pontifical « Cor Unum » du nouveau décret général du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie sur les associations internationales de fidèles ? Il l’explique dans ce commentaire envoyé en exclusivité à la NBQ.

En plus de nombreuses autres instructions, le Concile Vatican II a également donné une forte impulsion à l’apostolat des laïcs. C’est ainsi qu’une multitude de mouvements spirituels sont nés. Un éminent expert des courants spirituels dans notre Église, le cardinal Hans Urs von Balthasar, a déclaré dans un rapport rédigé pour le Conseil des laïcs en 1993: « Il a fallu attendre la fin de notre siècle pour voir dans l’Église une telle floraison et une telle diversité de mouvements laïcs indépendants (…), dont la plupart sont nés d’initiatives autonomes de l’Esprit Saint. Saint Jean-Paul II, dans son homélie de la Pentecôte 1998, et le cardinal Ratzinger d’alors, lors de la rencontre mondiale du 25 mai 1998, ont pris note avec joie de ces nouvelles expériences et les ont clairement encouragées.

Compte tenu de la vitalité spirituelle de ces mouvements, le récent « décret général » manque de tout caractère incitatif. Il n’y a que deux ou trois mots en clé positive – « grande floraison » et « abondance de grâce et de fruits apostoliques » – dont l’emploi semble inévitable. Malheureusement, tous les autres mérites sont absents :

  • avoir donné à l’Église des « membres prêts pour Dieu » (Balthasar) en nos temps sécularisés, déterminés à L’amener parmi les gens ;
  • leur appel à ne pas laisser le christianisme être aplati par la théologie politique et l’humanisme laïc;
  • les nombreuses conversions et familles catholiques qu’ils ont données à l’Église ;

Les Mouvements spirituels – dont le besoin se fait toujours sentir – sont à recommander et à encourager, surtout parmi les pasteurs consacrés.

Au contraire, le décret ainsi que la « note explicative » donnent l’impression de traiter d’une question gênante qui doit être limitée. N’aurait-il pas été préférable, au lieu de souligner longuement la compétence juridique du dicastère, de présenter une brève description d’un phénomène aussi extraordinaire ? Même si une sobre objectivité est requise dans les prises de position canoniques, cette discipline devrait promouvoir autant que possible la foi en Dieu au sein de l’Église.

(**) Le conseil pontifical « Cor Unum » a été créé par Paul VI, dans sa lettre pontificale Amoris officio de 1971, réformé en 1988 par la constitution apostolique Pastor Bonus, publiée par Jean-Paul II
Le 31 août 2016, un motu proprio de François crée le dicastère pour le service du développement humain intégral qui reprend les compétences des conseils pontificaux « Justice et Paix », « Cor Unum », pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement et pour la pastorale des services de la santé, qui disparaissent au 1er janvier 2017.

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