Le motu proprio de François, conçu pour trancher la tête à la messe en latin, pourrait bien se révéler un coup d’épée dans l’eau: le Pape, à l’instar des gouvernants des pays anglo-saxons arrivés au terme de leur mandat, qui assurent la transition en attendant que leur successeur prenne ses fonctions, n’a plus aucun pouvoir. Il est seul, plus personne ne l’écoute (c’est du moins ce qu’affirme The Wanderer) et les premières réactions d’évêques prouvent qu’ils ont l’intention de « faire le mort ». C’est-à-dire rien du tout. Bref, statu quo ante.

Le syndrome du canard boiteux

The Wanderer, 20 juillet 2021

En politique, il existe une expression souvent entendue et très redoutée des gouvernants : le canard boiteux, qui désigne un canard incapable de suivre le troupeau et qui devient donc la cible des prédateurs. Ce surnom est aussi donné à un dirigeant qui, pour diverses raisons, notamment parce qu’il arrive en fin de mandat, a perdu le pouvoir. Et la façon la plus claire d’identifier un canard boiteux est de voir la réaction de ses amis : quand ils le laissent tranquille, quand le troupeau l’abandonne, c’est un signe indiscutable que le pauvre palmipède est à bout de souffle. [1].

Il semble que ce soit ce qui se passe avec le pape François : sa boiterie n’est pas seulement l’effet d’une sciatique, c’est aussi l’effet de la perte de pouvoir due à la gestion catastrophique de son pontificat et aux signes très clairs que sa fin est proche. Le fait que rien de moins qu’Andrea Riccardi, figure de proue de la Communauté de Sant’Egidio, ait publié un livre intitulé La Chiesa bruccia (L’Église brûle) est hautement symptomatique. Il semblerait que la péronisation provoquée par un pape péroniste ait aussi ses côtés sombres, car on dit que les péronistes accompagnent leurs camarades jusqu’à la porte du cimetière, mais n’y entrent pas, et c’est précisément ce qui se passe.

L’une des erreurs les plus graves que peut commettre un dirigeant souffrant du syndrome du canard boiteux est de donner des ordres universels trop sévères, car il risque d’être désobéi et de révéler ainsi sa faiblesse. Et c’est exactement ce qui semble se passer avec le pape François après la publication du motu proprio Traditionis custodes. Pour l’instant, la seule adhésion claire et universellement connue qu’il a eue est celle de Mgr Ángel Luis Ríos Matos, évêque de Mayagüez, à Porto Rico, qui a publié un décret hilarant dans lequel il prévient que, bien que dans son diocèse la messe traditionnelle ne soit pas célébrée, il l’interdit quand même et, tant qu’il y est, il en profite également pour interdire l’usage de la chasuble romaine, des nappes en lin et du voile huméral. Une disposition similaire a été prise par les évêques du Costa Rica. Les tyrans engendrent des tyrannies pathétiques, et Bergoglio a engendré d’innombrables évêques médiocres qui peupleront tristement les Prés de l’Asphodèle [un lieu des Enfers dans la mythologie grecque, ndt] (il est curieux que sur les photos que l’on trouve facilement sur internet, Mgr Ríos Matos apparaisse toujours habillé de toutes les fanfreluches épiscopales possibles). Je ne sais pas pourquoi, tout cela me rappelle le roman d’Evelyn Waugh, Black Mischief [2].

Le pape est seul

Le site Rorate Coeli dresse une liste des messes interdites par les évêques. Nous verrons ce qu’il en sera mais, jusqu’à présent, les réactions ont été celles que nous avions prédites sur ce blog il y a quelques jours, même si, je dois l’admettre, j’ai été surpris par la rapidité et la clarté avec lesquelles les évêques français, anglais et américains ont réagi.

La Conférence épiscopale française, avec ces circonlocutions typiquement gauloises, a botté en touche. Pour eux, il ne s’agit pas de discuter de la lex orandi ou de la lex credendi de l’église du Pape François, mais du fait que le motu proprio les invite à réfléchir sur l’importance de l’Eucharistie dans la vie de l’Eglise, et qu’en septembre, après les vacances, ils se réuniront à cet effet.

Sur la même ligne, l’évêque de Versailles, où sont installées d’importantes communautés traditionalistes, a déjà fait savoir par écrit que dans son diocèse les choses continueront comme elles étaient, et la même chose a été dite dès la sortie du document par l’archevêque de San Francisco, suivi de nombreux autres évêques américains – par exemple celui de Cincinatti – qui, plus discrètement, ont fait savoir aux prêtres et aux fidèles proches du rite traditionnel qu’ils ne feront aucun changement malgré les ordres pontificaux.

En Angleterre, la plupart des évêques ont fait pareil: dès la publication du motu proprio, ils ont eux-mêmes annoncé de manière officielle et scellée que, dans leurs diocèses, il n’y aurait aucun changement par rapport à la messe traditionnelle. Et ce qui est curieux, c’est que, pour la plupart, qu’ils soient français, américains ou anglais, ce ne sont pas des évêques ayant des sympathies traditionalistes particulières, mais des évêques aux tendances clairement libérales. Pourquoi alors cette réaction, si rapide, si claire et si opposée aux souhaits pontificaux évidents ?

On peut seulement faire des conjectures sur la réponse, mais nous pouvons en proposer quelques-unes. Si une chose est claire, c’est que ces évêques ne craignent plus les « miséricordines pontificales », ce qui aurait été sans doute le cas autrefois. Et c’est un signe évident du syndrome du canard boiteux: François pourrait-il démettre de son siège l’archevêque de San Francisco, Salvatore Cordileone ? Il n’a plus la force de le faire. L’épiscopat américain est très remonté contre le pape et la menace d’une « miséricordine » en raison de la non-application du motu proprio serait combattue par la Conférence des évêques. La déclaration des évêques français, même si elle donne l’impression à certains qu’ils s’en lavent les mains, est une sorte de blindage: ici on va réfléchir sur l’Eucharistie, disent-ils, et pour les interdictions, chaque évêque verra ce qu’il fera. Et nous avons déjà vu ce qu’ils font : ils n’interdisent rien.

C’est précisément le nœud du problème : les évêques des deux côtés de l’Atlantique, ne veulent pas déclencher une guerre inutile. Dans leurs diocèses, grâce à Summorum Pontificum, la pax liturgica avait été réalisée. Les choses fonctionnaient, et fonctionnaient bien ; les idéologies, sauf dans de rares cas, avaient disparu. Et la croissance constante des communautés, des prêtres et des vocations traditionalistes était déjà considérée comme une bénédiction et non comme un danger, soit précisément la vision opposée à celle présentée par Bergoglio dans son document. Sur le terrain, dans les diocèses, les seuls qui fonctionnent plus ou moins bien sont les groupes liturgiques traditionnels. En Europe, exterminer la messe traditionnelle reviendrait à importer directement d’Afrique des curas de misa y olla [3]

Si tout document juridique doit être interprété selon l’esprit du législateur, ce qui ressort du motu proprio est que le pape François veut éviter de briser l’unité sur les questions liturgiques. Ainsi, en toute légitimité et en toute tranquillité d’esprit, les évêques qui jugent que, dans leurs diocèses, la diversité liturgique du rite romain ne pose pas de problèmes et ne brise pas l’unité, peuvent ignorer la norme. Plus franchement, la plupart des évêques n’ont pas envie de s’engager dans une guerre qui n’existe que dans l’esprit de Bergoglio et de ses idéologues de service, cette fois-ci Andrea Grillo. Comme l’a écrit à juste titre Tim Stanley dans The Spectator, cela donne l’impression de vivre dans les années de Leonid Brejnev en Union soviétique : un gouvernement de gérontes, attachés à une vieille photographie usée qui dépeint la situation d’un pays qui n’existe plus.

Il est inconcevable que l’Église latine soit tombée au cours des deux derniers siècles dans un hyperpapalisme si extrême qu’il permet des manifestations telles que Traditionis custodes, dans laquelle le pape de Rome s’immisce à tel point dans chaque diocèse qu’il indique à l’évêque quelles paroisses il peut ou ne peut pas ériger. C’est un non-sens impensable dans l’église médiévale et impensable dans l’église orientale. Comme le dit le cardinal Müller dans sa lettre à lire absolument, les évêques sont placés en tant que bergers et « ne sont pas de simples représentants d’un bureau central, avec des possibilités de promotion ».

La lettre du cardinal Müller démonte en outre les artifices théologiques sur lesquels Bergoglio a tenté de construire son motu proprio, en expliquant, par exemple, ce que signifie et ce que ne signifie pas le lex orandi lex credendi, et en montrant les absurdités bergogliennes. Il s’agit d’un fait historique : en 1646, le pape Innocent X, à l’instigation des jésuites, a supprimé (réduction était le terme utilisé) la congrégation florissante d’enseignants qui avait été fondée par saint Joseph Calasanz – les piaristes – au moyen du bref Ea quae pro felici. Dès qu’il a été connu, des critiques ont fusé. Ingoli, secrétaire de Propaganda fidei, a dit en voyant le document imprimé :  » Dans un autre pontificat, ils pourraient l’utiliser comme bouchon pour les pots », et l’abbé Orsini, internuncio de Pologne, a écrit :  » C’est un Bref fait avec une hache… Ne doutez pas… que dans un autre pontificat il sera annulé « . Et en effet, c’est ce qui s’est passé.

Bref, Bergoglio souffre du syndrome du canard boiteux. Avec la publication de Traditionis custodes, il s’est grandement discrédité et a accéléré le déclin et la fin de son pontificat catastrophique.

Apostille : La dureté et l’ironie de la lettre du cardinal Müller sont rejointes par des expressions de répudiation de Bergoglio provenant d’autres milieux. Michel Onfray, le populaire athée et philosophe progressiste français, écrit dans Le Figaro |cf. ICI] que la messe en latin est un patrimoine universel auquel on ne peut toucher et disqualifie Bergoglio en le qualifiant de « jésuite et péroniste », dont la formation est celle d’un « chimiste ». José Manuel de Prada, sur ABC, a déclaré qu’il enlève son chapeau pour entrer dans l’église, mais qu’il n’enlève pas sa tête, ce que demande le motu proprio franciscain.

NDT

[1] Un lame duck (littéralement « canard boiteux ») désigne, dans le monde politique anglo-saxon, un élu dont le mandat arrive à terme, et plus particulièrement un élu toujours en poste, alors que son successeur est déjà élu mais n’occupe pas encore le poste (source).

[2] En français, « Diablerie », 1932: caricature des efforts d’Hailé Sélassié Ier pour moderniser l’Abyssinie.
Selon un commentaire de lecteur sur un site marchand, « Plaisante satire dans un pays africain d’invention où un empereur d’opérette tente d’introduire la modernité occidentale. Récit ironique, cynique et convaincant d’un échec de taille, lointainement inspiré d’Haïlé Sélassié, protégé et obligé des Britanniques. L’Empire de Georges V en prend aussi pour son grade à travers le portrait hilarant de son ambassadeur sur place »

[3] En langage familier, désigne des curés ayant une maigre formation et peu d’autorité.

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