Après la publication du Motu proprio Traditionis custodes, je m’étais demandée dans ces pages: que pense Benoît XVI? Je ne voulais évidemment pas parler des commentaires lus ici et là de gens qui n’en savaient pas plus que moi et se livraient à des conjectures, mais d’un vrai témoignage direct. La revue allemande Herder Korrespondenz vient de publier les réponses à des questions qui lui avaient été posées par écrit. Était-ce avant ou après le Motu proprio? On ne sait pas. En tout cas, il ne dit pas un mot à ce sujet, se limitant à évoquer à mots plus ou moins couverts la situation de l’Eglise en Allemagne, engagée dans un « parcours synodal » pour le moins disruptif, et le concept de « dé-mondanisation » développé par lui lors de la visite apostolique en 2011, sur lequel il revient. A moins qu’il ne faille lire entre les lignes..?

A noter, le soulagement (ou la récupération) du vaticaniste du Corriere, Gian Guido Vecchi, qui commente:

« Tant que dans les textes officiels de l’Église, seule la fonction parle mais pas le cœur et l’Esprit, l’exode (Auszug, ndlr) du monde de la foi se poursuivra ».

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Benoît XVI, 94 ans, rompt à nouveau le silence monastique qu’il a choisi depuis sa renonciation en 2013 avec une interview écrite au magazine Herder Korrespondenz. L’accent est mis sur l’Allemagne et l’Église allemande, qui est actuellement engagée dans un processus synodal long et tourmenté, avec diverses propositions de réforme. Joseph Ratzinger n’en parle pas directement, mais il est significatif que sa préoccupation pour l’Eglise, et pas seulement en Allemagne, soit essentiellement spirituelle. Des considérations qui rejoignent celles de son successeur, François: avant les structures ou les fonctions, c’est une question de foi et de cohérence.

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https://www.corriere.it/cronache/vaticano-news/21_luglio_26/ratzinger-rompe-silenzio-la-chiesa-ha-bisogno-testimoni-o-l-esodo-fede-continuera

Benoît XVI reprend la parole. Et demande à l’Église de s’exprimer avec « le cœur et l’esprit ».

Interview par Herder Korrespondenz du pape émérite Benoît XVI, qui souligne à nouveau la nécessité pour l’Église de se dé-mondaniser, bien qu’il revienne sur la manière dont il a utilisé ce terme.

Andrea Gagliarducci
ACI Stampa
26 juillet 2021
Ma traduction

C’est une Église qui doit parler « avec le cœur et l’Esprit » et qui doit « se démondaniser », car « tant que les fonctions parleront dans les textes officiels de l’Église, mais pas le cœur et l’Esprit, le monde continuera à s’éloigner de la foi ». Benoît XVI reprend la parole, et il le fait en répondant par écrit à une série de questions envoyées par le magazine Herder Korrespondenz.

En arrière-plan, le parcours synodal de l’Église en Allemagne, avec ses propositions qui ont créé non seulement un débat, mais aussi une invitation du pape François à « rester unis à l’Église ». Mais on retrouve également en arrière-plan les différents problèmes que Benoît XVI avait abordés lorsqu’il était Pape, et qui sont apparus avec force lors de son dernier voyage en Allemagne en 2011 : la nécessaire démondanisation de l’Église, la nécessité de ne pas laisser parler les structures, mais de laisser parler la foi d’abord, la question de l’identité chrétienne qui se perd à cause d’un esprit pragmatique qui pense devoir s’adapter au monde ».

Dans les mots livrés au Herder Korrespondenz, dans un article où il reparcourt avec la mémoire l’époque où il était aumônier dans une paroisse de Munich, le Pape émérite souligne que l’on attend « un témoignage de foi vrai et personnel de la part des opérateurs de l’Eglise ». Il critique le fait que « dans les institutions de l’Église – hôpitaux, écoles, Caritas – de nombreuses personnes sont impliquées dans des positions décisives, qui ne soutiennent pas la mission de l’Église et obscurcissent ainsi souvent le témoignage de cette institution » ; il note que « les textes officiels de l’Église en Allemagne sont en grande partie écrits par des personnes « pour qui la foi est seulement officielle ».

Dans son discours aux catholiques engagés dans la société prononcé à Fribourg le 25 septembre 2011, Benoît XVI avait souligné que l’Église  » pour remplir sa mission, devra aussi prendre continuellement ses distances avec son environnement, elle devra, pour ainsi dire, se détacher du monde ». Et il a rappelé que « les sécularisations, en réalité – qu’il s’agisse de l’expropriation des biens de l’Église ou de l’annulation des privilèges ou d’autres choses semblables – ont signifié chaque fois une profonde libération de l’Église des formes de mondanité : elle se dépouille, pour ainsi dire, de ses richesses terrestres et revient embrasser pleinement sa pauvreté terrestre ».

Le mot clé de ce discours est le concept d’ Entweltlichung. Benoît XVI a souligné que le choix du mot « qui dérive du vocabulaire développé par Heidegger » n’était peut-être pas tout à fait approprié, car – a-t-il expliqué – « le mot dé-mondanisation indique la partie négative du mouvement qui m’intéresse, c’est-à-dire sortir du discours et des contraintes pratiques d’autrefois [pour entrer] dans la liberté de foi » [il faudrait avoir la version originale en allemand, ndt] alors qu’il n’exprime pas suffisamment la partie positive de ce mouvement ».

Le pape émérite a également rappelé que l’Église ne sépare pas le bon grain de l’ivraie, ni le bon poisson du mauvais, et que, par conséquent, « il ne s’agit pas de séparer le bien du mal, mais plutôt de séparer les croyants et les non-croyants ».

Là encore, Benoît XVI note que « la doctrine doit se développer à l’intérieur et à l’extérieur de la foi, et non pas se tenir à côté d’elle ».

Post-scriptum

Belgicatho a traduit un commentaire plus développé du site National Catholic Register

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