En marge des évènements abondamment mis en images (j’allais dire: mis en scène) par les médias, le prédécesseur du P. Scalese à Kaboul, le P. Moretti, lui aussi barnabite, se confie à la Bussola. Il raconte comment, sans faire de bruit, les missionnaires catholiques ont fait le bien dans un pays qui, jusqu’en 1977, « était un pays fascinant, où régnait un grand sentiment de liberté et de paix »:

« Malgré l’interdiction du prosélytisme, en Afghanistan, nous avons proclamé le Christ par notre engagement dans la crédibilité, par notre comportement. Nous avons fait le bien que nous pouvions faire et, de cette façon, nous avons démontré notre foi chrétienne ».

  • A lire aussi, sur Belgicatho, une interview du supérieur des Barnabites à Rome par Marie-Lucile Kubacki. (1)
Le P. Giuseppe Moretti

L’Afghanistan raconté par le père Giuseppe, pendant des années le seul prêtre catholique.

Nico Spuntoni
La NBQ
20 août 2021
Ma trduction

« Ma grande tristesse est que la lueur de paix qu’il y avait eu pendant ces 20 ans – car il y en avait eu ! – est redevenu obscurité ». Don Giuseppe Moretti parle de l’Afghanistan. Pendant des années, aumônier de l’ambassade d’Italie, il a également été le seul prêtre catholique du pays, qu’il connaît depuis 1977, voyant toutes ses phases historiques dramatiques.

Les yeux du monde entier sont tournés vers l’Afghanistan. L’hélicoptère sur le toit de l’ambassade américaine, la foule désespérée à l’aéroport de Kaboul, les deux personnes tombées des roues d’un avion en vol, l’avion cargo militaire surchargé de passagers : autant d’images destinées à rester longtemps dans la mémoire collective.

Près de 20 ans après l’entrée des troupes de l’Alliance du Nord, les talibans reprennent la capitale et tentent de montrer un bon visage inédit. Lors d’une conférence de presse, leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, a tenté de rassurer la communauté internationale : pas d’opium, pas de discrimination à l’égard des femmes, pas de vengeance contre ceux qui avaient travaillé avec des armées étrangères, pas de bases pour Daesch et Al-Qaïda. En Occident, certains semblent le croire, mais en attendant, à Jalalabad, les manifestants qui protestent contre le retrait du drapeau national se font tirer dessus, et à Kaboul, la foule qui se tient encore devant l’aéroport se fait fouetter. La population civile ne croit pas à la tournure modérée prise par les talibans et, face au retour de l’émirat islamique et de la charia, tente simplement de fuir avec la force du désespoir.

Les scènes de ces jours-ci attristent le spectateur occidental, mais surtout ceux qui vivent en Afghanistan depuis de nombreuses années. C’est le cas du père Giuseppe Moretti, ancien aumônier de l’ambassade d’Italie et premier responsable de la missio sui iuris du Saint-Siège à Kaboul. Le Barnabite, âgé de 83 ans, regarde avec tristesse ce qui se passe dans le pays où il a été pendant longtemps le seul prêtre catholique et il en parle dans cette interview accordée à Nuova Bussola.

Père Moretti, le retour au pouvoir des Talibans était prévisible, mais vous attendiez-vous à ce qu’il se produise si soudainement ?

Je ne pensais pas qu’il arriverait si vite et de cette façon. Au cours des vingt dernières années, l’OTAN s’est engagée à préparer l’armée afghane, mais il semble qu’il y ait eu un certain manque d’orgueil de la part de cette dernière. On pensait que leur stratégie de marche vers Kaboul était longue et semée d’obstacles, mais, comme on l’a vu, cela ne s’est pas passé ainsi. Dans l’accord de Doha, il a été établi que le passage se ferait progressivement, permettant une prise en charge plus douce par les talibans. Un peu comme ce qui s’est passé à la fin des années 80 : l’armée soviétique s’est retirée du pays, mais le président est resté le communiste, Mohammad Najibullah, jusqu’en 1992, malgré l’avancée des moudjahidines.

Lors de la conférence de presse, les talibans ont utilisé un ton modéré et ont parlé de dialogue. Faut-il s’y fier ?

Si l’on regarde les images de la conférence de presse depuis le palais présidentiel, on dirait presque une classe politique compétente. Mais il suffit de descendre dans la rue et là, on voit des hommes avec des fusils. Qui sont les vrais Talibans ? Ils ont fait des promesses, positives, mais je ne les croirai que lorsque je les verrai se réaliser. Parce que les promesses, si elles ne sont pas tenues, ne sont que des mensonges.

Dans une région rurale d’Afghanistan, vous avez fondé l' »École de la paix », qui accueillait des élèves filles et garçons, y compris dans des classes mixtes. Pensez-vous que les filles pourront poursuivre leurs études ?

Je me pose, moi aussi, la question. J’aimerais que ce soit le cas, mais si les Talibans sont restés les mêmes et ont seulement changé de vêtements… À l’École de la paix, les filles étaient très actives : nous avons convaincu les familles de leur faire poursuivre leurs études, y compris au lycée, pour leur éviter des mariages forcés avec des hommes plus âgés qu’elles. Notre école était une proposition pour l’avenir, maintenant je ne sais pas ce qui va lui arriver. Il y a deux ans, la dernière fois que j’ai mis les pieds à Kaboul, j’ai essayé par tous les moyens de leur rendre visite, mais les services de renseignement me l’ont fortement déconseillé. Ma grande tristesse est que la lueur de paix qu’il y avait eu au cours des vingt dernières années – car il y en avait eu ! – est redevenu obscurité.

Vous êtes arrivé en Afghanistan en 1977, avant l’invasion soviétique. Quel souvenir gardez-vous ?

C’était un pays fascinant où régnait un grand sentiment de liberté et de paix. Un pays presque occidental. Les images de ces jours-ci, cependant, sont pires que celles que j’ai vues pendant la guerre civile.

Comment a débuté la mission catholique à Kaboul ?

L’Italie a été le premier gouvernement occidental à reconnaître l’indépendance de l’Afghanistan après la fin de la troisième guerre avec les Britanniques. Les relations diplomatiques entre nos deux pays auront 100 ans en 2021. La gratitude du souverain Amanullah Khan pour cette reconnaissance fut telle qu’il demanda au gouvernement italien ce qu’il pouvait accorder en échange. L’Italie se fit alors le porte-parole du désir des techniciens internationaux impliqués dans la modernisation du pays de disposer d’un lieu de prière et d’un assistant spirituel. Le souverain n’a pas seulement approuvé la demande, il en est resté admiratif. Les premiers religieux sont arrivés à Kaboul en 1933, après que Pie XI ait décidé de confier la mission aux Barnabites. L’Italie a donc le privilège d’accueillir la seule église catholique d’Afghanistan. Au début, ce n’était qu’une petite chapelle, mais maintenant elle est clairement visible dans le bâtiment avec sa croix extérieure.

Votre expérience en Afghanistan n’a pas été sans inconvénients…

Quand l’ambassade d’Italie a fermé en 1993, j’ai décidé de rester à Kaboul. Mais j’ai été blessé en 1994 lorsqu’une roquette a frappé le bâtiment au milieu d’un des combats les plus violents entre les moudjahidines. Après m’être remis de mes blessures, j’ai dû retourner en Italie. Mais lorsque le Saint-Siège m’a demandé de repartir en 2002, j’ai été heureux de le faire. Je considère qu’en Afghanistan, j’ai eu ma plus belle expérience pastorale. Bien que le prosélytisme soit interdit et qu’aucun Afghan ne se soit converti au catholicisme durant mon séjour, j’ai toujours ressenti l’estime de la population locale durant ces années. En fait, j’étais plus respecté par les Afghans que par certains Occidentaux. Pensez que mes collaborateurs afghans, lorsqu’ils ont vu l’église vide en 2002 parce que la communauté internationale n’était pas encore aussi nombreuse qu’avant 1993, et qu’elle le deviendrait plus tard, m’ont réconforté en disant : « N’aie pas peur, ce sont des incroyants ».

Que va-t-il arriver à votre église maintenant ?

Je dois dire que pendant la période du précédent régime taliban, l’église n’a pas subi de dommages majeurs. Ils l’ont simplement pillé, volant une peinture qui était importante pour nous, mais sans aucune défiguration blasphématoire. Cependant, il y a quelques jours, j’ai eu des nouvelles de mon successeur, le père Giovanni Scalese : il sait qu’il est le premier sur la liste, mais il n’a l’intention de partir que si les Missionnaires de la Charité quittent aussi le pays. Ces religieuses s’occupent de ce que la société considère comme les rebuts de l’humanité. Lorsque la police en trouve dans la rue, elle ne les emmène pas à l’hôpital mais directement chez elles, même en sachant qu’elles sont catholiques. Ainsi, malgré l’interdiction du prosélytisme, en Afghanistan, nous avons proclamé le Christ par notre engagement dans la crédibilité, par notre comportement. Nous avons fait le bien que nous pouvions faire et, de cette façon, nous avons témoigné notre foi chrétienne. Maintenant j’espère pour l’Afghanistan que tout puisse marcher sur le seul chemin de l’être humain, qui est celui de la paix, sans aucune différence de race ou de sexe.

Note (1)

Le père Scalese est toujours en Afghanistan, au service de la petite communauté chrétienne restée sur place. Hier soir, je lui ai parlé au téléphone : il est tranquille, serein, même s’il sait qu’il court des risques. À l’heure actuelle, presque tout le personnel de l’ambassade italienne est parti. La situation est assez calme. On craignait quelque chose de plus violent, qui ne s’est pas produit. Le père Scalese m’a dit qu’il resterait à Kaboul tant qu’il n’aurait pas une idée claire de la situation, de son travail.

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J’ai dit personnellement au père Scalese, par écrit il y a quelques jours, puis hier au téléphone, que nous comprenons le moment difficile qu’il traverse à la mission de Kaboul, et que nous avons conscience de la responsabilité qu’il porte : le pasteur n’abandonne pas son troupeau tant qu’il y a une brebis. C’est une responsabilité à vivre dans tous les moments, y compris les plus durs et douloureux, avec ceux qui nous sont confiés.
Je lui ai exprimé mon soutien et lui ai répété hier que toute la congrégation et moi-même sommes à ses côtés, par la prière, la communion quotidienne, afin que la mission et son travail puissent connaître des jours meilleurs.

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Francisco Silva, http://www.belgicatho.be/archive/2021/08/17/le-seul-pretre-aupres-des-dernieres-brebis-d-afghanistan-6332528.html
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