François, qui prétendait vouloir démondaniser l’Eglise, l’a au contraire totalement immergée dans la logique du monde. Flirtant outrageusement avec les media qui n’ont de cesse de vouloir la détruire. Et cela, à son profit personnel et exclusif, réduisant ainsi la dite Eglise à un simple décor dans un tableau dont il occupe le premier plan. Excellent article d’un quotidien italien en ligne, repris par AM Valli.

François et l’Eglise réduite à un décor

Le film sur le pape François qui débarque sur Netflix réduit l’Église à une simple toile de fond

La barque de Pierre menée par le pape François a débarqué sur Netflix. La plateforme de divertissement on demand, qui il y a deux ans avait fait la publicité pour la sortie du film controversé Les deux papes sur la façade d’un bâtiment du Vatican dans la Via della Conciliazione, accordera une place au pape – cette fois-ci le vrai – à Noël prochain avec Stories of a Generation, la série documentaire inspirée du livre La saggezza del tempo, édité par le directeur de La civiltà cattolica, Antonio Spadaro.

Le jésuite lui-même l’a annoncé via Twitter, annonçant sa projection en exclusivité au festival du film de Rome. Il y a un an, lors du même festival, le film-docu d’Evgeny Afineevsky [Francesco] , dans lequel le pape prônait l’égalité civile pour les couples de même sexe, avait fait grand bruit.

Au-delà de l’agitation médiatique, 2021 marque la consécration du pape François sur les écrans de télévision publics et privés. Le 4 janvier, la RAI a diffusé le documentaire La sorpresa di Francesco (la surprise de François), un montage de ses backstage pendant le Jubilé de la Miséricorde. Le même ton informel a imprégné la longue interview que le pape a accordée le 10 janvier à Fabio Marchese Ragona, le vaticaniste de Mediaset. Pour l’occasion, la chaîne privée lui a consacré une émission spéciale en prime time.

François a ainsi jonglé entre la télévision et la presse non institutionnelle, contournant le dicastère de la communication du Vatican pour s’adresser à un public peu familier des médias du Vatican. Au cours de ces mêmes semaines, La Gazetta dello Sport et Sportweek lancent ce qui a été appelé « l’encyclique laïque » sur le sport. L’initiateur est don Marco Pozza, un prêtre vénitien choisi par François pour promouvoir sa communication officieuse hors des murs léonins. Le fait que l’hebdomadaire sportif n’ait pas été mentionné dans Vatican News implique une première fissure entre la communication officielle et la communication parallèle du pontife.

Afin de diffuser sa parole aux chrétiens et aux païens, en janvier, Bergoglio a remanié la bénédiction de Noël Urbi et Orbi pour Vanity Fair Italia, un magazine auquel Simone Marchetti [le directeur] a donné une empreinte précise d’inclusion LGBT. Toujours chez Condé Nast [groupe de presse qui édite Vanity Fair], le père Spadaro a écrit un texte sur l’écologie intégrale de François dans le numéro de janvier de Vogue Italia.

La promotion des derniers produits éditoriaux sur les plateformes de streaming Discovery+ et Netflix est donc le dernier acte d’une stratégie autonome.

L’important est de communiquer

Sur internet, la tendance est à une structure centrée sur la figure du pape. Diffusée en mars dernier jusqu’au dimanche de Pâques, la série télévisée Vizi e Virtue, produite par l’Officina della Comunicazione pour Discovery Italia, est conçue comme une simple catéchèse avec des bribes de morale, entrecoupée de séquences HD dans la chapelle des Scrovegni. Rien d’innovant, si l’attention n’était pas entièrement catalysée sur la figure de François.

Dans ce cas aussi, il y a la main de don Pozza qui apparaît à la télévision depuis 2007 avec Il testimone (Le témoin), pour devenir une présence stable sur les grilles de Tv2000 et Discovery Italia.

Le prêtre, qui se partage entre son ministère dans la prison « Due palazzi » de Padoue et la Casa Santa Marta, alterne entre col blanc et baskets, ce qui suscite un certain mécontentement au sein du personnel du Vatican. Bergoglio, pour sa part, n’aide pas. Il a attendu huit ans pour visiter le siège des médias du Vatican, Via della Conciliazione, et quand il l’a fait, il a utilisé des mots forts : « Je n’ai qu’une seule préoccupation […] : combien écoutent la radio et combien lisent L’Osservatore Romano ? Parce que si notre travail consiste à atteindre les gens […], la question que vous devez vous poser est : à combien de personnes cela s’adresse-t-il ? », s’est interrogé François de manière rhétorique, allant jusqu’à craindre que la « montagne » du Palazzo Pio [siège de la structure] n’accouche d’une souris [récit sur ce site: La méthode (brutale) Bergoglio]

Un dicastère difficile

La ligne de François sur la communication révèle un paradoxe. C’est le pape qui, par une lettre apostolique en forme de motu proprio du 27 juin 2015, a créé le secrétariat pour la communication qui, deux ans plus tard, deviendra un dicastère à part entière. Il a appelé l’ancien journaliste de la RAI, Paolo Ruffini, à sa tête et a réorganisé tout l’appareil administratif qui, avec quelque 500 journalistes, générait une dépense annuelle de 43 millions d’euros.

Deux ans après sa démission du poste de préfet du Secrétariat à la communication, le vice-chancelier de l’Académie pontificale des sciences apparaît aujourd’hui comme le deus ex machina de plusieurs produits éditoriaux. À propos du film controversé d’Evgeny, la productrice milanaise Eleonora Granata a déclaré à Cinecittà News : « L’un des moments les plus excitants dont je me souviens est celui où nous avons finalement rencontré le cardinal [sic] Dario Viganò, une rencontre qui s’est très bien passée et qui nous a donné un véritable accès au Vatican. Un accès qui a permis d’exploiter l’intégralité de l’interview du pape à la chaîne de télévision mexicaine Televisa, dont les médias du Vatican avaient opportunément coupé les mentions de Bergoglio sur les unions civiles.

Demi-transparence

Bien que nouveau, dirigé par un laïc et composé d’une équipe de jeunes professionnels, le département de la communication hérite de l’attitude de catacombes sur les questions sensibles pour la curie, comme la question LGBT. Il faut disséquer la presse étrangère pour découvrir, dans une interview au New York Times, qu’il y a un an, le ministère avait contacté le journaliste et bibliste Francesco Lepore, ancien prêtre au Vatican, pour une éventuelle collaboration, avec la clause de silence tant sur la collaboration que sur les paiements : « Parce que clairement je ne peux pas être vu », a déclaré Lepore, ouvertement homosexuel, au correspondant Jason Horowitz. Ce qui ressort, c’est une opération de transparence sur le plan administratif, moins sur d’autres aspects.

Au dicastère, François tisse aussi le réseau des ressources humaines : les documentaires du pape sont présentés en avant-première au Festival du film de Rome, sous la direction d’Antonio Monda, frère d’Andrea, directeur de L’Osservatore Romano. Tous deux sont en contact étroit avec le père Antonio Spadaro, à son tour directeur de La civiltà cattolica et considéré comme le spin doctor du pontife.

En ce qui concerne l’iconique statio orbis sur une place Saint-Pierre déserte le 27 mars 2020 [cf. www.benoit-et-moi.fr…une-benediction-urbi-et-orbi-spectrale/], le vaticaniste Piero Schiavazzi l’a défini ainsi sur le Huffington Post : « Une anticipation de résurrection, politique et médiatique […]. Jamais l’ignatien François n’aurait imaginé, alors que la courbe descendante semblait amorcée, se retrouver à nouveau au sommet du hit-parade, avec la disparition soudaine de tous les autres leadership » .

Il n’est pas le seul analyste à avoir observé comment la mise en scène hollywoodienne de l’événement a ravivé l’image écornée du pape. Ce n’est pas un hasard si un crucifix du XVIe siècle a été placé sous une pluie battante sans aucune protection, laissant la pluie de l’endommager irrémédiablement. Le lendemain, Il Messaggero rapportait que « avec une humidité prolongée, le bois ancien est quasiment en danger d’exploser et on se demande pourquoi il n’a pas été placé sous un auvent pour le protéger de la pluie. L’impression est que derrière l’initiative il y avait une logique d’audience télévisuelle« .

Les chiffres l’ont confirmé peu après : 5,5 millions de vues sur la chaîne YouTube Vatican News. Le niveau touché est délibérément émotionnel, comme le confirme l’éditorial d’Andrea Tornielli, qui compare « le crucifix mouillé de larmes » au « pape seul sur la place vide » : « Le crucifix, avec la pluie battante qui irriguait son corps, afin d’ajouter au sang peint sur le bois cette eau que l’Évangile nous dit avoir coulé de la blessure infligée par la lance ».

Même Marie, Salus populi Romani, enfermée dans une châsse en plexiglas devenue opaque à cause de la pluie, semblait céder le pas, disparaissant presque, humblement, devant Lui, élevé sur la croix pour le salut de l’humanité », écrit le journaliste.

L’époque où un pape mettait en garde contre la liberté de la presse avec l’encyclique Mirari Vos (Grégoire XVI, 1832) est révolue. Cependant, on a l’impression qu’aujourd’hui un pape, qui vient d’un pays où Evita Peron a fait de la communication politique un trait autobiographique, représente l’alpha et l’oméga d’une machine médiatique qui risque de réduire l’Eglise à une toile de fond.

Marco Grieco, Domani, 23 octobre 2021

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