Andrea Gagliarducci nous propose une analyse intéressante mais aussi très (trop) indulgente pour le pape des propos du vieux président américain, qui a fait état devant les journalistes – au mépris de toutes les règles non seulement de la diplomatie, mais même de la simple courtoisie – de confidences faites par François lors d’une CONVERSATION PRIVÉE: le pape lui a(urait) dit qu’il était un bon catholique et qu’il pouvait communier (ce qu’il a du reste fait ostensiblement lors d’une messe à Rome, à laquelle il a assistée ultérieurement, confirmant en actes le feu vert papal). La conversation aurait dû RESTER PRIVÉE, nous dit le vaticaniste. Pas sûr… François savait parfaitement ce qu’il faisait en lui tenant ces propos (parfaitement en ligne, d’ailleurs, avec son modus operandi habituel), qui n’étaient qu’une façon de renvoyer la balle dans le camp des évêques américains, et rejeter toute la faute sur un président discrédité et présumé confus, voire sénile est un peu trop commode.

Communication du Vatican, pourquoi le problème Biden n’est pas pastoral, mais politique

https://vaticanreporting.blogspot.com/2021/11/comunicazione-vaticana-perche-il.html

De quoi le président américain Joe Biden et le pape François ont-ils parlé lors de leur conversation privée exceptionnellement longue (75 minutes) du 29 octobre ? Nous ne pouvons pas le savoir, car ces conversations restent confidentielles, elles sont privées et doivent le rester [?]. Et donc, nous n’avons que deux déclarations sur cette conversation, par le président lui-même, prises à la volée par les journalistes en marge d’une réunion au Palazzo Chigi [résidence du Premier] après sa visite au Vatican. Et Biden a dit que non, lui et le Pape n’ont pas parlé de la question de l’avortement. Et que oui, le pape lui aurait dit qu’il était un bon catholique et qu’il pouvait recevoir la communion.


Pour comprendre le sens de ces mots, il faut prendre du recul. Depuis des années, un débat a lieu aux États-Unis : les hommes politiques catholiques qui se disent pro-avortement peuvent-ils communier ? Non, répond une note de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, car ils sont dans une situation de péché public grave, et la communion doit donc leur être refusée. Un débat acharné s’en est suivi, entre ceux qui pensent qu’une position politique ne change pas la substance d’un catholique et ceux qui, au contraire, soulignent que cette position politique montre précisément qu’ils ne croient pas en l’une des croyances fondamentales du christianisme, à savoir que tout être humain est égal en dignité.

La question est revenue sur le tapis avec la candidature de Joe Biden à la Maison Blanche, catholique, démocrate et pro-avortement, au point qu’il a récemment défini l’avortement comme un droit humain. Qu’il soit clair que personne [ndt: bof!!] n’a jamais contesté la nature pieuse et croyante de Biden. Mais le catéchisme de l’Église catholique est clair, il n’y a pas de raccourcis à ce sujet.

Le pape François, quant à lui, n’a pas voulu prendre une position claire. A une question sur le sujet qui lui a été posée sur le vol de retour de Budapest et de Slovaquie, le pape François a répondu que la question de la communion aux politiciens pro-avortement ne devait pas être résolue politiquement, mais pastoralement. Ni oui ni non, donc. A évaluer en fonction des circonstances.

Ce qui, au fond, est exactement ce qui s’est toujours passé. Si un homme politique, dans l’intimité de sa paroisse, suivi par un confesseur, communie même en état de péché public grave, il s’agit d’une affaire profondément privée qui concerne sa communauté, son confesseur et la manière dont elle est traitée par le curé. Mais si, d’un autre côté, il communie en public, allant en quelque sorte témoigner que l’Église accepte certaines situations et ayant donc la possibilité d’utiliser la communion comme un aiguillon politique sur certaines questions, alors c’est un problème.

Et c’est exactement ce que Biden a fait. D’un côté, on se plaint de l’utilisation politique et même de l’instrumentalisation de la religion, et on pointe du doigt les catholiques fondamentalistes qui font entrer leurs croyances dans la politique. Mais, d’un autre côté, on fait exactement la même chose. Une question de foi est introduite dans le débat politique, entraînant le pape François lui-même dans le débat.

Un pape qui ne peut pas répondre, car le Saint-Siège a toujours gardé les affaires privées confidentielles. En ce qui nous concerne, Biden aurait même pu se confesser au Pape. Mais cela ne l’aurait pas autorisé à dire quoi que ce soit.

Or, il se pourrait que lors de son prochain voyage, le pape François réponde à une question directe sur le sujet par des mots vagues, sans démêler l’énigme. Pour l’instant, Matteo Bruni a qualifié la conversation de « conversation privée », et il ne pouvait en être autrement. Le vrai problème, cependant, est l’utilisation de la visite par Biden.

Les paroles de Biden ne méritent pas une réponse pastorale, elles méritent une réponse politique. Elles méritent une note de la Secrétairerie d’État du Vatican, non pas tant pour les démentir que pour se plaindre en substance que Biden ait fait référence (de manière véridique ou non, peu importe) à une conversation qui aurait dû rester privée.

Il ne s’agit pas d’une question pastorale, mais d’une question politique. Ce qu’il faut donc, c’est une réponse au niveau politique et diplomatique, plutôt que des évêques insistant sur le fait que Biden ne pouvait pas recevoir la communion, et des prêtres la lui donnant quand même, comme cela s’est produit lors de la messe dans la « paroisse des Américains » de San Patrizio à Rome, non loin de l’ambassade des États-Unis en Italie, où Biden s’est rendu le 30 octobre après le G20. Parce que la question n’est pas de savoir si Biden a agi ou non en tant que catholique. Sur ce sujet, nous pouvons avoir des doutes [dans quel sens?]. Le fait est que ce qu’il a fait n’était pas vraiment institutionnel.

En fait, toute la réunion n’a guère été institutionnelle, Biden plaisantant dès le début, comme il le fait toujours, en se présentant comme « le mari de Jill », puis continuant sur un ton presque familier tout au long de la visite, du moins d’après ce que l’on peut voir sur les images.

Nous savons que le pape François apprécie ce genre d’attitude, qui manifeste aussi un certain mépris pour la fonction que l’on occupe, mais cela ne signifie pas que cette attitude soit protocolaire. Parce qu’au fond, ce n’est pas Joe Biden et Jorge Bergoglio qui se sont rencontrés, mais le président de la nation considérée à tort ou à raison comme la plus puissante du monde et le Souverain Pontife. Et cela doit être clair dans les gestes, les manières et le ton.

Ce qu’on voulait faire passer, c’est une confiance substantielle entre les deux, mais cela n’entre guère dans les questions diplomatiques. En fait, la note du Bureau de presse du Saint-Siège, qui rend toujours compte des entretiens bilatéraux et jamais des conversations privées, comportait également des thèmes critiques, et mentionnait même l’objection de conscience, ainsi que le thème de la dignité humaine, qui incluait la question très débattue de l’avortement.

Il y a une remarque à faire en marge. Christopher Altieri, dans un commentaire sur Catholic World Report, rappelle que le père Federico Lombardi, ancien directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, avait expliqué que Benoît XVI, après un entretien, expliquait les sujets de la conversation, alors que le pape François s’attarde plutôt sur la personnalité de son interlocuteur. On peut donc en déduire que si Benoît XVI s’impliquait dans les discussions sur l’ordre du jour des réunions, et portait un agenda partagé avec la Secrétairerie d’État, le pape François laisse plus de place aux impressions personnelles, moins institutionnelles. Il s’agit d’un style, qui est corrigé par le travail institutionnel du Secrétariat d’État.

Nous vivons dans un monde où tout le monde veut se sentir égal, où le pouvoir n’est apprécié que s’il semble être au niveau des gens. Mais ce sont des illusions. Ni le pape François ni Biden, avec toute leur sympathie [?], ne peuvent donc échapper à la nécessité de prendre des décisions, même douloureuses, et parfois même en désaccord avec leur discours. Il suffit de penser à la façon dont Biden a géré la question des migrants et le retrait précipité d’Afghanistan. Et ce ne sont là que deux exemples.

Il faut sortir de la narration, pour commencer à comprendre la réalité. Pour ce faire, il faut aussi mieux connaître la doctrine chrétienne. Au fond c’est la raison pour laquelle les évêques américains ont entamé un parcours sur le « renouveau eucharistique », qui ne concerne pas la question politique de la distribution de la communion à quelques grands pécheurs, mais plutôt une compréhension renouvelée du sens de l’Eucharistie. Si on part de là, ce qu’il faut faire devient évident.

En fin de compte, une chose reste claire : en disant ce qu’il a dit, Biden a montré qu’il ne respectait pas le pape, qu’il ne respectait pas la hiérarchie catholique et ses enseignements, et qu’il ne respectait même pas sa propre foi, faisant de cette foi une question politique. On peut dire que ce n’est pas lui qui a commencé, peut-être. Mais il aurait pu ne pas continuer. Il aurait également pu décider de ne pas recevoir la communion en public. Il aurait pu vivre sa foi comme un acte privé, avec tout ce que cela impliquait en public.

A présent, il faudrait une prise de position des politiciens catholiques. Car, au-delà de la sympathie personnelle pour Biden et son agenda, il existe une manière présidentielle de traiter les problèmes. Et Biden est peut-être catholique, mais il n’a pas du tout été présidentiel. Cela devait probablement être dit. Et c’est en l’absence de telles prises de position que la communication catholique échoue.

Andrea Gagliarducci

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