Sur l’Ukraine, je marche sur des œufs, et je pense que tout le monde devrait faire comme AM Valli. La plus grande prudence s’impose dans les commentaires, et ce d’autant plus que nous n’avons souvent aucune idée de ce qui est en jeu (je parle pour moi, mais pas seulement). Plutôt que de prêter l’oreille aux analyses de politologues, économistes (dans le meilleur des cas), politiciens, et autres « experts » autoproclamés, écoutons ce qu’à à nous dire encore aujourd’hui le grand écrivain russe, qui ne parlait pas de gazoduc mais d’hommes, qui avait une connaissance charnelle du problème russo-ukrainien et qui y voyait une situation potentiellement explosive, essentiellement parce que « les frontières ukrainiennes [ont été] décidées à l’époque soviétique (..), les bolcheviques ont unifié des terres qui n’ont jamais appartenu historiquement à l’Ukraine ».

« je suis moi-même d’origine mixte russo-ukrainienne, j’ai grandi sous l’influence conjointe de ces deux cultures et je n’ai jamais vu et ne vois encore aucun antagonisme entre elles. J’ai maintes fois écrit et parlé en public de l’Ukraine et de son peuple, ainsi que de la tragédie de la famine ukrainienne ; j’ai de nombreux amis de longue date en Ukraine ; j’ai toujours su que la souffrance des Russes et des Ukrainiens était dans les deux cas causée par le communisme. Dans mon cœur, il n’y a pas de place pour un conflit russo-ukrainien et si, à Dieu ne plaise, les choses vont à l’extrême, je peux dire que jamais, en aucune circonstance, ni moi ni mes enfants ne participerons à une confrontation russo-ukrainienne, même si certaines têtes brûlées nous poussent les uns contre les autres ».

« Avec l’Ukraine, les choses vont se passer douloureusement ». Signé Soljenitsyne. Une prophétie qui se réalise

Il y a plus d’un demi-siècle, l’auteur de L’Archipel du Goulag prévoyait une possible détérioration des rapports. Et il annonçait : « Les choses vont se passer très douloureusement ».

Chers amis de Duc in altum, plus je lis ce qui se passe en Ukraine ces jours-ci, plus me reviennent à l’esprit certaines évaluations d’Alexandre Soljenitsyne que nous pouvons à juste titre qualifier de prophétiques. L’auteur de L’Archipel du Goulag, dans les années 1960, alors que l’URSS était au sommet de sa puissance et que personne ne pouvait imaginer son effondrement, faisait remarquer à quel point la question ukrainienne était explosive. Et principalement à cause des frontières ukrainiennes décidées à l’époque soviétique.

Certaines des lettres échangées entre le prix Nobel de littérature et l’intellectuel ukrainien Sviatoslav Karavanskij à la veille de l’indépendance de Kiev sont significatives. Soljenitsyne, tout en espérant que la Russie et l’Ukraine maintiendraient une certaine forme d’union, reconnaît le droit de Kiev à faire sécession. Mais pas – c’est là le problème – à l’intérieur des frontières de la république soviétique.

Le grand dissident écrivait:

Malgré toute ma passion, je ne m’oppose pas à la séparation de l’Ukraine. Mais s’il s’agit vraiment de l’Ukraine. Maintenant que les monuments à la gloire de Lénine sont démolis en Ukraine occidentale (et ils le méritent !), pourquoi les Ukrainiens de l’Ouest souhaitent-ils plus que quiconque que l’Ukraine ait les frontières léninistes, c’est-à-dire celles que lui a données ce cher Lénine qui, cherchant à l’apaiser d’une certaine manière pour avoir été privée d’indépendance, a ajouté des territoires qui n’avaient jamais été ukrainiens, à savoir la Novorossija (Russie du Sud), le Donbass (pour isoler le bassin du Donets des influences « contre-révolutionnaires » de la région du Don) et les parties importantes de la rive gauche du Dniepr ? (d’un claquement de doigt, Khrouchtchev « offrit » même la Crimée). Et maintenant, les nationalistes ukrainiens défendent fermement ces frontières léninistes « sacrées » ?

A.M.V.


Source: Rossiyskaya Gazeta

Il avait tout prévu. Il y a un demi-siècle. L’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne a écrit dans Archipel du Goulag à propos de l’Ukraine : « Avec l’Ukraine, les choses vont se passer de manière très douloureuse ». Même à l’époque soviétique, il n’a pas exclu de manière prophétique la possibilité d’une séparation de l’Ukraine, même si « un référendum pourrait être exigé par chaque région », étant donné la manière dont les bolcheviques ont unifié des terres qui n’ont jamais appartenu historiquement à l’Ukraine.

L’Archipel du Goulag, partie 5, chapitre 2 (écrit en 1968, publié en 1974)

Cela me fait mal d’écrire ceci, car l’Ukraine et la Russie sont toutes deux ancrées dans mon sang, dans mon cœur et dans mes pensées. Mais les fréquents contacts amicaux avec les Ukrainiens dans les camps de travail m’ont montré à quel point leur ressentiment est douloureux. Notre génération ne pourra pas éviter de payer pour les erreurs commises par nos pères. Marquer son territoire avec son pied et crier « C’est à moi » est l’option la plus facile. Il est beaucoup plus difficile de dire : « Celui qui veut y vivre, qu’il y vive ! ». Étonnamment, la prédiction du marxisme selon laquelle le nationalisme est en train de disparaître ne s’est pas réalisée. Au contraire, à l’heure de la recherche nucléaire et de la cybernétique, il a, pour une raison quelconque, prospéré. Et le temps, que cela nous plaise ou non, de rembourser tous les billets à ordre d’autodétermination et d’indépendance arrive, faites-le vous-mêmes plutôt que d’attendre d’être brûlé sur un bûcher, noyé dans une rivière ou décapité. Nous devons montrer que nous sommes une grande nation, non pas en raison de l’immensité de notre territoire ou du nombre de peuples dont nous prenons soin, mais en raison de la grandeur de nos actions. Et par la profondeur des sillons creusés par la charrue que nous aurons laissés derrière nous après que ces terres qui ne veulent pas être avec nous se seront détachées.

Avec l’Ukraine, les choses seront extrêmement douloureuses. Mais vous devez comprendre le degré de tension qu’ils ressentent. Si pendant des siècles, il a été impossible de résoudre ce problème, c’est maintenant à nous de faire preuve de bon sens. Nous devons leur laisser la décision : fédéralistes ou séparatistes, selon le vainqueur. Ne pas céder serait stupide et cruel. Plus nous serons conciliants, patients et cohérents aujourd’hui, plus nous aurons l’espoir de rétablir l’unité à l’avenir. Laissez-les expérimenter cette nouvelle situation, laissez-les essayer. Ils comprendront bientôt que tous les problèmes ne peuvent être résolus par la sécession. (Étant donné que dans les différentes régions de l’Ukraine, le pourcentage de ceux qui se considèrent comme Ukrainiens, de ceux qui se considèrent comme Russes et de ceux qui ne se sentent ni l’un ni l’autre est différent, il y aura de nombreuses difficultés. Peut-être faudra-t-il organiser un référendum dans chaque région et assurer ensuite un traitement préférentiel et peu invasif à ceux qui veulent la sécession. La totalité de l’Ukraine dans ses frontières soviétiques actuelles n’est pas vraiment l’Ukraine. Certaines régions de la rive gauche [du fleuve Dniepr] penchent clairement plus vers la Russie. Quant à la Crimée, la décision de Khrouchtchev de la céder à l’Ukraine était totalement arbitraire. Et qu’en est-il de la Ruthénie (rouge) des Carpates ? Cela aussi servira de test : alors qu’ils réclameront justice pour eux-mêmes, comment les Ukrainiens pourront-ils être des Russes des Carpates ?

Extrait d’une lettre à l’occasion de la conférence de Toronto sur les relations russo-ukrainiennes, Harvard Ukrainian Research Institute (avril 1981). Texte publié dans la revue Russkaya Mysl le 18 juin 1981 et pour la première fois en Russie dans la revue Zvezda, n° 12, 1993

Je suis tout à fait d’accord que le problème russo-ukrainien est l’un des principaux sujets d’actualité et, certainement, d’une importance cruciale pour nos peuples. Pourtant, il me semble que la passion fanatique et le climat incandescent qui en résulte nuisent à la cause. (…) J’ai déclaré à plusieurs reprises et je répète ici et maintenant que personne ne peut être retenu par la force, aucune partie ne doit recourir à la coercition envers l’autre ou envers sa propre partie, qu’elle représente le peuple tout entier ou une petite minorité, où chaque minorité contient, à son tour, sa propre minorité (…) En tout cas, l’opinion de la population locale doit être reconnue et mise en œuvre. Ainsi, toutes les questions ne peuvent être véritablement résolues que par la population locale et non par les arguments distants avancés dans les cercles d’émigrants, dont les perceptions sont déformées. (…) Je trouve cette intolérance féroce dans la discussion du problème russo-ukrainien (fatal pour les deux nations et avantageux seulement pour leurs ennemis), particulièrement pénible parce que je suis moi-même d’origine mixte russo-ukrainienne, j’ai grandi sous l’influence conjointe de ces deux cultures et je n’ai jamais vu et ne vois encore aucun antagonisme entre elles. J’ai maintes fois écrit et parlé en public de l’Ukraine et de son peuple, ainsi que de la tragédie de la famine ukrainienne ; j’ai de nombreux amis de longue date en Ukraine ; j’ai toujours su que la souffrance des Russes et des Ukrainiens était dans les deux cas causée par le communisme. Dans mon cœur, il n’y a pas de place pour un conflit russo-ukrainien et si, à Dieu ne plaise, les choses vont à l’extrême, je peux dire que jamais, en aucune circonstance, ni moi ni mes enfants ne participerons à une confrontation russo-ukrainienne, même si certaines têtes brûlées nous poussent les uns contre les autres.

Reconstruire la Russie. Texte écrit et publié en 1990. Adressé aux Ukrainiens et aux Biélorusses

Séparer l’Ukraine aujourd’hui, c’est diviser des millions de familles et de personnes : pensez à la mixité de la population ; il y a des régions entières [en Ukraine] où la population est majoritairement russe ; combien de personnes ont des difficultés à choisir à laquelle des deux nationalités elles appartiennent ; combien de personnes sont d’origine mixte ; combien de mariages mixtes (d’ailleurs, personne ne les a considérés comme tels jusqu’à présent). Dans la population générale, il n’y a aucun soupçon d’intolérance entre les Ukrainiens et les Russes. Bien sûr, si le peuple ukrainien décidait vraiment de faire sécession, personne n’aurait le courage de le retenir par la force. Mais ce territoire est très diversifié et seule la population locale peut décider du sort de son pays, de sa région, tandis que toute minorité ethnique qui s’est récemment formée sur ce territoire doit être traitée avec la même non-violence.

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