Il répond à son confrère le père Ioan Sauca (de l’Église orthodoxe de Roumanie), secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, qui lui demande d’intervenir comme médiateur dans le conflit en Ukraine. Le Patriarche (qui est la cible de critiques haineuses des médias occidentaux pour avoir affirmé une position tranchée en faveur de Vladimir Poutine dans une homélie prononcée dimanche 6 mars à la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou) lui répond que le conflit trouve ses racines dans la politique occidentale envers la Russie

Le Patriarche Kirill :

« Ce conflit n’a pas commencé aujourd’hui. Les racines se trouvent dans la politique occidentale envers la Russie ».

Le 2 mars dernier, le secrétaire général par intérim du Conseil œcuménique des Églises , le père Ioan Sauca (de l’Église orthodoxe de Roumanie), a écrit au patriarche Kirill de Moscou pour lui demander de jouer un rôle de médiateur afin d’arrêter la guerre en Ukraine. Le 10 mars, le patriarche a répondu par un texte, que je propose ici dans la traduction italienne du russe, dans lequel Kirill remonte aux origines de la situation actuelle, en soulignant les responsabilités occidentales.

Au Révérend Archiprêtre Ioan Sauca, Secrétaire Général par intérim du Conseil Œcuménique des Eglises

Votre Excellence, cher Père Ioan

Je vous remercie de votre lettre du 2 mars 2022. Vous connaissant depuis de nombreuses années comme un fidèle intendant de l’Église du Christ et un travailleur infatigable dans le domaine de l’éducation et de la formation des jeunes générations, j’apprécie profondément votre travail en tant que secrétaire général par intérim du Conseil œcuménique des Églises [CEE] , un organisme dont le but est de promouvoir l’entente et le respect mutuel entre les représentants des différentes confessions chrétiennes.

Notre Église a adhéré au CEE en 1961, après avoir accepté ses bases renouvelées en tant que « communauté d’Églises », et la Déclaration de Toronto qui stipule notamment que « le Conseil en tant que tel ne peut en aucun cas devenir l’instrument d’une dénomination ou d’une école […], les Églises membres doivent reconnaître la solidarité mutuelle, s’entraider en cas de besoin et s’abstenir d’actes incompatibles avec les relations fraternelles ».

Depuis 1983, l’une des priorités du CEE a été d’impliquer ses Eglises membres dans le processus de reconnaissance de leur responsabilité partagée pour la justice, la paix et l’intégrité de la création au sein de la communauté mondiale. C’est-à-dire que notre appartenance au CEE, avec des dialogues, des discussions basées sur le principe d’égalité et de coopération avec l’ensemble de la chrétienté, n’a pas seulement été l’expression de notre engagement pour la cause de la réconciliation entre les peuples, mais nous a aussi donné confiance dans la solidarité et le soutien de la communauté chrétienne mondiale.

Ces jours-ci, des millions de chrétiens du monde entier tournent leurs prières et leurs pensées vers les développements dramatiques en Ukraine.

Comme vous le savez, ce conflit n’a pas commencé aujourd’hui. Je suis fermement convaincu que ses initiateurs ne sont pas les peuples de Russie et d’Ukraine, qui viennent des fonts baptismaux de Kiev, sont unis par une foi commune, ont des saints et des prières communs, et partagent un destin historique commun.

Les origines de la confrontation se trouvent dans les relations entre l’Occident et la Russie. Dans les années 1990, on a promis à la Russie que sa sécurité et sa dignité seraient respectées. Cependant, au fil du temps, les forces qui considéraient ouvertement la Russie comme leur ennemi se sont rapprochées de ses frontières. Année après année, mois après mois, les États membres de l’OTAN ont renforcé leur présence militaire, ignorant les craintes de la Russie que des armes puissent un jour être utilisées contre elle.

En outre, les forces politiques visant à contenir la Russie n’auraient pas lutté seules contre elle. Elles prévoyaient d’utiliser d’autres moyens, cherchant à faire des peuples russes et ukrainiens fraternels des ennemis. Elles n’ont épargné aucun effort ni aucun fonds pour inonder l’Ukraine d’armes et d’instructeurs de guerre. Toutefois, le plus terrible n’est pas les armes, mais la tentative de « rééducation », de transformation mentale des Ukrainiens et des Russes vivant en Ukraine pour en faire des ennemis de la Russie.

Poursuivre la même fin a été le but du schisme ecclésiastique créé par le patriarche Bartholomée de Constantinople en 2018. Cela a mis à rude épreuve l’Église orthodoxe ukrainienne.

En 2014, lorsque le sang coulait à Maidan, à Kiev, et qu’il y a eu les premières victimes, le CEE a exprimé son inquiétude. Le 3 mars 2014, le Dr Olav Fykse Tveit, qui était alors secrétaire général du CEE, déclara: « Le Conseil œcuménique des Églises est profondément préoccupé par les dangereux développements actuels en Ukraine. Cette situation met de nombreuses vies innocentes en grand danger. Et comme un vent mordant de la guerre froide, il menace de saper encore davantage la capacité de la communauté internationale à agir aujourd’hui ou à l’avenir sur de nombreuses questions urgentes qui nécessiteront une réponse collective et de principe ».

C’est alors que le conflit armé a éclaté dans la région du Donbass, dont la population a défendu son droit de parler la langue russe et a exigé le respect de ses traditions historiques et culturelles. Cependant, la voix du peuple n’a pas été entendue, tout comme des milliers de victimes parmi la population du Donbas sont passées inaperçues dans le monde occidental.

Ce conflit tragique fait désormais partie d’une stratégie géopolitique à grande échelle visant en premier lieu à affaiblir la Russie.

Et maintenant, les dirigeants occidentaux imposent à la Russie des sanctions économiques qui seront préjudiciables à tous. Leurs intentions sont manifestement évidentes : faire souffrir non seulement les dirigeants politiques ou militaires de la Russie, mais surtout le peuple russe. La russophobie se répand dans le monde occidental à un rythme sans précédent.

Je prie sans cesse pour que, par sa puissance, le Seigneur aide à établir au plus vite une paix durable fondée sur la justice. Je vous demande, ainsi qu’à nos frères en Christ, unis dans le Conseil, de partager cette prière avec l’Eglise orthodoxe russe.

Cher Père Ioan, j’exprime mon espoir que, même en ces temps difficiles, comme cela a été le cas tout au long de son histoire, le Conseil œcuménique des Églises puisse rester une plate-forme de dialogue impartial, libre de préférences politiques et d’une approche unilatérale.

Que le Seigneur préserve et sauve les peuples de Russie et d’Ukraine !

Avec mon amour paternel,

Kirill, patriarche de Moscou et de toutes les Russies

Mots Clés :
Share This