Elles ne font qu’alimenter la haine et empêcher toute possibilité d’accord. Et qu’on ne parle pas de censure, même si elle se justifierait compte tenu de ce qui est en jeu (rien de moins que la menace d’un embrasement généralisé), ce n’est pas à nos gouvernants qu’on va l’apprendre. Formidable « coup de gueule » de Ruben Razzante sur la NBQ, à la suite de l’intervention (salutaire mais pour le moment sans effet) des autorités italiennes de contrôle des médias et de protection de la vie privée: « Nous en avons fait l’expérience pendant la pandémie, nous en avons maintenant l’amère confirmation à l’occasion de l’explosion du conflit russo-ukrainien. Les médias, notamment la télévision, montrent un penchant irrépressible vers la brutalisation des détails, vers l’exaspération du mal ».

La théâtralisation de la violence en cours suscite l’inquiétude et radicalise l’affrontement entre agresseurs et victimes, éloignant la perspective d’un dialogue et d’une réconciliation, auxquels les médias pourraient eux aussi apporter une contribution précieuse en baissant le ton et en s’abstenant de tout excès.

Que la barbarie de la guerre ne se transforme pas en carnage médiatique.

La paix passe aussi par les images qui sont transmises

Ruben Razzante
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12 mars 2022

La théâtralisation de la violence en cours suscite l’inquiétude et radicalise l’affrontement entre agresseurs et victimes, éloignant la perspective de dialogue et de réconciliation, à laquelle les médias eux aussi peuvent apporter une contribution précieuse. Les chaînes de télévision continuent d’ignorer les avertissements de l’Autorité de garantie des communications.

La dramatisation de la douleur comme trait distinctif de la narration des faits. Nous en avons fait l’expérience pendant la pandémie, nous en avons maintenant l’amère confirmation à l’occasion de l’explosion du conflit russo-ukrainien. Les médias, notamment la télévision, montrent un penchant irrépressible vers la brutalisation des détails, vers l’exaspération du mal. La surenchère sur la souffrance des enfants est devenue une obsession et n’a aucune justification déontologique, pas plus qu’elle ne favorise l’exhaustivité du récit.

Elle ne fait que rendre la situation plus atroce, provoquer des déchirures et alimenter des sentiments destructeurs dans la société. Hier, les journaux étaient remplis de reconstitutions macabres de l’attaque barbare contre l’hôpital pédiatrique de Marioupol, dans laquelle, toutefois, heureusement, il n’y a eu que trois victimes (dont un garçon de six ans). Pas exactement un massacre, donc, même si les médias l’ont présenté comme un épisode brutal de boucherie et d’horreur. Bien sûr, personne ne nie les atrocités qui se déroulent dans le conflit russo-ukrainien en ces heures ; l’émotion envers les victimes est généralisée, d’autant plus les plus jeunes. Toutefois, la théâtralisation de la violence en cours suscite l’inquiétude et radicalise l’affrontement entre agresseurs et victimes, éloignant la perspective d’un dialogue et d’une réconciliation, auxquels les médias pourraient eux aussi apporter une contribution précieuse en baissant le ton et en s’abstenant de tout excès. Que la barbarie de la guerre ne se transforme pas en carnage médiatique.

C’est le sens de l’appel que le président de l’Autorité pour les garanties des communications (Agcom) [en France, l’ex-CSA, devenu ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique] a adressé dans une lettre aux dirigeants de tous les groupes de télévision italiens. Quelques jours auparavant, le président de l’autorité italienne de protection des données [Garante Privacy, ou GPDP, Garante per la Protezione dei Dati Personali, équivalent italien de la CNIL] s’était exprimé sur le même sujet.

Les médias, et en particulier les télévisions, qui pénètrent dans les foyers de tous les Italiens, doivent respecter la dignité des personnes impliquées dans la guerre, éviter le sensationnalisme, ne pas mettre à la une des images d’enfants torturés et ne pas supprimer les filtres entre les événements et leur perception. La compassion humaine est une chose, mais c’en est une autre que les médias s’attardent sur ces détails.

Éviter de donner en spectacle le conflit russo-ukrainien. Faciliter la compréhension du drame de la guerre sans sacrifier des valeurs telles que l’impartialité, le pluralisme et l’exhaustivité du récit. C’est le sens de la lettre envoyée par la direction générale de l’Agcom aux chaînes de télévision, qui part de la considération de l’importance d’impliquer les jeunes dans le processus de compréhension du drame de la guerre, sans toutefois alimenter les catastrophismes et les atteintes à la dignité des personnes impliquées dans le conflit. « Il est nécessaire d’aider les jeunes à connaître, comprendre et interpréter le drame de la guerre à la lumière des valeurs de raison, de tolérance, de solidarité et de respect de la personne humaine qui constituent l’identité européenne et conformément aux principes contenus dans notre Constitution », peut-on lire dans la lettre de l’Agcom.

« Dans ce sens, il est nécessaire de préserver la dignité des personnes et des communautés impliquées dans le conflit, en appliquant les principes d’essentialité de l’information et de continuité de la forme d’exposition, à partir des images de la guerre, qui ne doivent pas viser le sensationnalisme mais le calme et la mise en valeur de l’humanitas des protagonistes ».

Selon l’Agcom, la télévision et les médias en général devraient « créer des espaces d’information dédiés à tous les jeunes (et pas seulement aux mineurs), qui, en termes de langage, de rythme et de convivialité, pourraient aussi être partagés sur Internet et les réseaux sociaux ».

L’avertissement de la semaine dernière du Garante Privacy, en revanche, concernait plus particulièrement la diffusion d’images d’enfants qui souffrent. « Assez, des visages désespérés d’enfants à la télévision, dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Évitons d’entraîner, au moins les plus jeunes, dans la guerre une seconde fois, dans la dimension numérique », a tonné son président Pasquale Stanzione, s’adressant aux médias traditionnels, mais aussi aux grandes plateformes de partage de contenus et à chaque utilisateur des réseaux sociaux.

L’image d’un enfant, comme toute donnée personnelle le concernant, a rappelé l’Autorité, ne devrait entrer dans le système médiatique que lorsqu’elle est indispensable ou, mieux encore, que lorsque sa publication est dans l’intérêt de l’enfant. Parce que, sinon, ces photographies et ces données, dans la dimension numérique, hanteront ces enfants pour toujours, et, peut-être, dans de nombreux cas, les exposeront à des conséquences discriminatoires de nature sociale, culturelle, religieuse ou politique de toute sorte, conséquences, peut-être, aujourd’hui, dans de nombreux cas même imprévisibles. Et, certainement, ces images finiront dans les mains d’algorithmes de toutes sortes pour les raisons les plus diverses ».

C’est une chose de fournir des témoignages sur les lieux du conflit, mais c’en est une autre de diffuser, sans filtre ni protection d’aucune sorte, des images brutes des protagonistes de la tragédie. Cela peut sembler une chronique précise et détaillée, mais il s’agit en réalité de la représentation morbide d’une réalité tragique, qui a un impact dévastateur sur les consciences et les sensibilités individuelles, générant des passions destructrices.

Il est dommage que, jusqu’à présent, les appels des deux autorités de garantie soient restés lettre morte.

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