Le blogueur argentin a lu la monumentale biographie de Peter Seewald (rappel: à paraître prochainement en français). L’impression d’ensemble est élogieuse. Il ne cache pas son admiration pour l’immensité de l’œuvre de Benoît XVI et sa reconnaissance « pour le service inestimable qu’il a rendu à l’Eglise ». Ses réserves s’adressent plutôt à ce qu’il nomme son « obsession » pour l’œcuménisme et plus généralement le dialogue avec les autres religions. Il commente également plutôt positivement la renonciation au Pontificat (si Benoît XVI n’avait pas renoncé, qui gouvernerait aujourd’hui l’Eglise? Et là, le souvenir des dernières années de Jean-Paul II, que le cardinal Ratzinger a vécues de l’intérieur, se fait cuisant). Il a plus de réserve pour Peter Seewald (dont il salue malgré tout l’énorme travail) un peu trop otage à son goût du politiquement correct, un peu trop « gauchiste », en somme, et marqué, comme tous les allemands, par un excessif (c’est lui qui le dit) sentiment de culpabilité.

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Je viens de terminer la lecture de la biographie de Benoît XVI par Peter Seewald. Il s’agit de deux gros volumes dans l’édition anglaise, qui est celle que j’ai lue, et je crois savoir que l’édition espagnole est maintenant sortie. C’est un livre qui vaut la peine d’être lu, car il nous présente un homme exceptionnel dont le long rôle dans le gouvernement de l’Église, d’abord comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, puis comme Souverain Pontife, a permis d’éviter de grands maux et a apporté beaucoup de bonnes choses.

L’auteur prend soin de raconter l’enfance et l’adolescence de Ratzinger ainsi que son milieu familial dans la Bavière d’avant-guerre. Et le portrait qui s’en dégage n’est pas seulement celui du futur pape, mais aussi celui de la vie chrétienne de ces années que beaucoup d’entre nous regrettent aujourd’hui. La vie simple des gens simples dans les villages catholiques, régie par la piété et la liturgie, et où la foi était véritablement au centre de leur vie. Des détails curieux apparaissent, comme le fait que leurs parents se sont rencontrés dans la rubrique des rencontres du journal local, ou que le petit Joseph est né alors qu’ils étaient déjà d’âge mûr. Ou encore l’intelligence précoce du garçon qui, malgré sa timidité et sa tendance à rester seul et isolé de son groupe de camarades de classe, s’est développée jusqu’aux sommets que nous connaissons tous.

Car Ratzinger était et reste l’un des esprits les plus aiguisés de ces dernières décennies, accompagné d’une capacité de travail et de production qui étonne quiconque se penche sur son œuvre. Et c’est un fait remarquable, car j’ai connu des personnes brillantes qui, pour une raison ou une autre, n’ont écrit qu’une ou deux œuvres courtes. Ratzinger, en revanche, n’a pas éteint sa plume, même pendant son pontificat romain, et a continué à écrire non seulement ses encycliques, merveilleuses pièces d’enseignement magistériel, mais aussi ses livres, comme Jésus de Nazareth, qui a été terminé alors qu’il était déjà pape.

Ce n’est pas pour rien qu’à un peu plus de trente ans, il était l’universitaire convoité par les plus prestigieuses universités allemandes, ce qui lui valut non seulement des triomphes et des flatteries, mais aussi de farouches ennemis. Et c’est un autre des faits intéressants présentés dans le livre : la méchanceté de nombreux collègues théologiens du futur Benoît XVI et la guerre déclarée et cruelle qu’il a subie, et continue de subir, de la part du progressisme. En particulier, le vrai visage de Hans Küng, son grand ennemi, un personnage sombre, envieux et mondain, que Ratzinger était toujours prêt à pardonner malgré la malice et la basse trahison du Suisse, est révélé. Et non seulement les théologiens mais aussi les évêques allemands ont toujours été ses farouches opposants, le considérant comme un conservateur et un « traître » au renouveau de Vatican II. Un détail révélateur : le chapitre de la cathédrale de Munich a pratiquement refusé de le recevoir lors de sa prise de fonction en 1977, en raison de ses critiques de la messe de Paul VI et de l’interdiction de célébrer la liturgie traditionnelle.

Le livre montre également le rôle réel que le théologien d’alors, Ratzinger, a joué pendant le concile Vatican II en tant que conseiller du cardinal Frings. Il était archevêque de Cologne et, lorsque le pape Jean XXIII a annoncé la convocation du Concile, Joseph Ratzinger venait de commencer à enseigner la théologie à l’université de Bonn. Frings a été impressionné par une conférence qu’il avait entendue et lui a demandé d’écrire la conférence qu’il devait prononcer quelques semaines plus tard à Gênes, où le cardinal Siri avait organisé une journée d’étude en préparation du Concile. Le discours de Frings – un cardinal conservateur – a fait grand bruit car il exposait les points centraux de la vie de l’Église que le Concile devait aborder et réformer. Et ce n’est pas rien : dans un milieu conservateur comme celui du cardinal Siri à Gênes, il n’y a pas eu d’opposition mais, au contraire, des applaudissements soutenus d’approbation.

Il ressort également du livre que tant le cardinal Frings que son expert Ratzinger, au cours des deux premières sessions du Concile, ont joué des rôles de premier plan au sein du groupe rhénan, avec leurs réunions parallèles au sein du Collège germanique pour élaborer les stratégies qui les conduiraient à prendre le contrôle du Concile, et que tout s’est terminé comme nous le savons. Il faut cependant dire qu’à la fin de la deuxième session, tant Frings que Ratzinger ont compris qu’ils étaient utilisés par le progressisme et que la direction que prenaient les choses était extrêmement dangereuse pour l’Église. En fait, le cardinal de Cologne est mort avec de grands remords pour ses actions durant ces deux premières sessions conciliaires.

Parmi les nombreux aspects du livre que l’on pourrait relever, j’aimerais en signaler un autre : le renoncement à la papauté. C’est un sujet qui suscite encore la controverse, non seulement parce que certains continuent à soutenir qu’il n’était pas valide pour une raison ou une autre – ce qui, à mon avis, n’est pas fondé – mais aussi en raison de son opportunité ou de sa nécessité.

Il est vrai que, si Benoît XVI n’avait pas démissionné, Bergoglio ne serait pas aujourd’hui au siège romain, et nous aurions été épargnés de toutes les calamités que ce piteux pontificat a entraînées, mais qui peut nous assurer que nous serions mieux lotis ? Qui gouvernerait l’Église aujourd’hui : Gänswein, Bertone, Sodano ? Parce ce n’est certainement pas Benoît qui gouvernerait. Nous reviendrions à l’état de « sede vacante », comme on appelait les dernières années du pontificat de Jean-Paul II, lorsque personne ne savait avec certitude qui gouvernait l’Église, ni dans quelle mesure les décisions étaient prises par le pontife romain ou son secrétaire. Combien d’évêques n’ont pas été reçus par le pape invalide et malade et ont quitté l’entretien avec un bout de papier signé contenant des nominations épiscopales ou d’autres mesures, obtenues par des moyens sournois et occultes ? Le cardinal Ratzinger a vu tout cela de près et n’a pas voulu répéter la même histoire. Et puis il y avait ses faiblesses, qu’il connaissait et savait ne pas pouvoir surmonter. Par exemple, son hésitation à affronter les défauts de ses amis, même s’ils sont évidents. C’est le cas de la gestion désastreuse du cardinal Bertone en tant que secrétaire d’État et du fait que, bien que Benoît XVI en ait eu connaissance et que beaucoup l’aient averti, il n’a pas été capable de démettre son ami de longue date de ses fonctions, tout comme il n’a pas été capable de soutenir Ettore Gotti Tedeschi dans le grand ménage qu’il avait entrepris à l’IOR.

Le lecteur du livre peut également noter d’autres défauts, en tout cas c’est le cas pour moi. L’une d’entre elles est l’obsession de Ratzinger pour l’œcuménisme. Je suis conscient qu’il s’agit d’un problème que les Hispaniques ont du mal à mesurer car il n’existe pas chez nous. Je sais que dans certains diocèses argentins, lorsque dans les années 1990 les événements œcuméniques sont devenus la norme, des évêques zélés ont dû importer des protestants ou des musulmans d’autres provinces parce que dans leur propre province ils ne pouvaient guère obtenir sur des Témoins de Jéhovah ou quelques mormons peu présentables qui n’étaient pas exactement intéressés par ce genre d’échange affectueux. En Allemagne, la situation était différente, et l’attitude de Ratzinger est plus compréhensible, mais elle me semble encore un intérêt exagéré, si l’on considère, en outre, que le protestantisme n’existe plus, et qu’il est désormais réduit à une présence de témoignage, soutenue par les Land, et représentant un nombre de plus en plus insignifiant de fidèles.

Un autre défaut vient du fait que Ratzinger a vécu la Seconde Guerre mondiale, et l’a passée, de surcroît, du mauvais côté. La guerre a été un événement traumatisant pour tous, et encore plus pour les Allemands, qui ont gardé un sentiment de culpabilité collective dont ils ne peuvent se défaire. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’obsession du pape Ratzinger à encourager les relations avec les Juifs, parallèlement à son obsession de l’œcuménisme. Il n’est certainement pas vrai qu’il ait refroidi les relations avec le peuple juif, mais l’effort qu’il y a consacré semble un peu exagéré.

Et ce défaut, qui est un défaut allemand, se voit aussi très clairement chez Peter Seewald, qui n’est pas seulement allemand mais aussi un homme moderne. Ainsi, tout au long de l’ouvrage, il tente de démontrer que le pape Benoît n’a jamais eu la moindre sympathie pour les positions traditionalistes, et il le fait avec des arguments parfois ridicules. Il dit, par exemple, que les critiques qu’il a reçues parce que dans les cérémonies liturgiques il a utilisé des ornements et des traditions baroques sont fallacieuses car, en réalité, il a utilisé les mêmes ornements que Jean-Paul II… il suffit de regarder quelques photos pour découvrir que ce n’était pas le cas.

Et dans la même veine, il cherche toujours à respecter le politiquement correct et à présenter Ratzinger en exagérant ses gestes d’apaisement avec le mainstream. Il est à noter, par exemple, qu’il consacre parfois trois pages à raconter la rencontre du pape avec un survivant de l’Holocauste, et ne dit rien des visites ou des discours aux carmélites ou d’autres interventions de ce type. En d’autres termes, le politiquement correct non seulement d’un moderne mais aussi d’un Allemand accompli.

Malgré ces défauts et d’autres qui pourraient être signalés, il s’agit d’un livre hautement recommandable, qui nous apprend à apprécier l’énorme figure de Joseph Ratzinger et le service inestimable qu’il a rendu à l’Église.

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