L’analyse de Stefano Fontana. Bien sûr, comme je le dis souvent, il y a de menus aménagements à faire pour se retrouver en France: remplacer « Il Corriere della sera » par « Le Monde », Draghi par Macron; pour Panebianco (le journaliste-intellectuel, forcément de gauche, cité dans l’article)… eh bien je laisse le lecteur lui trouver un avatar français, on a l’embarras du choix. Pour le reste, tout est transposable tel quel. Et les intellectuels ou journalistes français qui sont les « exceptions » évoqués par Stefano Fontana n’ont aucune place dans les médias mainstream.

La trahison des intellectuels et des journalistes façon Panebianco

Stefano Fontana
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Dans le Corriere della Sera, Angelo Panebianco s’insurge contre ceux qui s’obstinent à ne pas croire les « vérités » dispensées par le pouvoir, que ce soit sur le Covid ou sur la guerre en Ukraine. Mais c’est précisément lui qui démontre la trahison de deux systèmes, celui de l’information et celui des intellectuels.

Notre époque marque la « trahison » – pour reprendre un titre célèbre de Julien Benda [La Trahison des clercs, ndt] – de deux catégories sociales, celle des journalistes et celle des intellectuels. Bien sûr, comme on le dit par commodité dans ces cas, sauf exception. Les exceptions, cependant, sont minimes et on peut parler de la trahison de deux systèmes, celui de l’information et celui des intellectuels. C’est Angelo Panebianco lui-même qui le confirme dans son éditorial du Corriere d’hier. Paradoxalement, il affirme le contraire, il ne doute pas que l’information et les intellectuels ont fait leur devoir en présentant clairement d’abord les deux années de Covid, puis la guerre en cours en Europe de l’Est.

L’information et les intellectuels, selon lui, ont présenté l’évidence. Mais en Italie, il y a une partie de la population qui n’a pas voulu voir cette évidence, parce qu’elle était mue par des préjugés. Parmi eux se trouvent de nombreux catholiques. Le préjugé consiste en une conspiration anti-occidentale selon laquelle, affirme Panebianco, les mêmes personnes qui ont critiqué hier les décrets du Premier ministre des gouvernements Conte et Draghi sont maintenant du côté de Poutine. La même frange dominée par une idéologie qui, bien que peu nombreuse, pour Panebianco peut causer un sérieux préjudice à l’Italie.

Panebianco est à la fois un intellectuel – un universitaire, un auteur – et un journaliste puisqu’il est éditorialiste au Corriere depuis des années. Il résume donc bien les deux catégories dont nous parlons pour faire allusion à leur « trahison ». De plus, il est un intellectuel-journaliste éclairé [par les Lumières, ndt], progressiste, démocrate… mais c’est précisément de là que vient la trahison, à savoir la condamnation du doute critique, étiqueté comme idéologie. Une trahison qui a aussi été un suicide. Quiconque ne croit pas que le Corriere ou TG1 [le journal télévisé de la 1ere chaîne du service public] construisent leurs informations sur l’évidence souffre d’un préjugé idéologique, selon Panebianco. Quiconque a rassemblé un certain nombre de preuves, et les a enregistrées dans un dossier, montrant que l’information et les intellectuels n’ont pas fait leur devoir critique est victime du sommeil de la raison propre au dogmatisme idéologique.
Mais un journaliste-intellectuel kantien qui parle ainsi trahit. D’ailleurs, regardons autour de nous, à part quelques intellectuels catholiques [mais qui sait si ces intellectuels catholiques sont vraiment des intellectuels, se demande Panebianco], à part Agamben et Cacciari, pouvez-vous me citer un intellectuel avec un nom et une réputation qui s’est posé des questions tant sur les deux ans de Covid que sur la guerre actuelle ?

Les choses ont peut-être été dans le sens opposé à ce que pense Panebianco. Pour lui, l’information et les intellectuels ont mis en lumière l’évidence, mais l’obscurantisme idéologique n’a pas voulu la voir. Il se peut au contraire que l’information et les intellectuels aient proposé l’obscurité et que par contre, certains aient posé des questions. C’est peut-être la cohérence du scénario qui nous est proposé qui suscite en nous le désir spontané de nous interroger, et de chercher des sources autres qu’institutionnelles ou quasi-institutionnelles comme le Corriere. Il est possible que même les personnes qui ne connaissent rien de l’Occident et de l’Orient, et qui ne font pas la différence entre Biden et Poutine, deviennent méfiantes lorsqu’elles sont confrontées au martèlement synchronisé et coordonné des bulletins d’information de la RAI, des programmes de divertissement, des événements programmés et des témoignages officiels….
Comme cela a pu arriver avec le bombardement continu des médecins de plateau télé sur le Covid, les circulaires gouvernementales des JT de la Rai, les émissions sur le gouvernement qui « travaille » toujours pour notre bien, Draghi qui est une « ressource » pour la nation. Peut-être que tout comme beaucoup en avaient assez de tout cela hier, aujourd’hui ils en ont assez des nouvelles sur les appels téléphoniques de Draghi. De même qu’hier on se retirait du chœur simplement parce qu’on ne le supportait plus, c’est aussi le cas aujourd’hui car le chœur des informations et des intellectuels est perçu à fleur de peau.

Panebianco considère ceux qui ne s’adaptent pas à l’évidence comme rétrogrades et rustres. Il ne pouvait en être autrement pour un intellectuel éclairé, étant donné que Kant, le père des Lumières, méprisait ceux qui n’avaient pas « le courage de savoir » et ne les considérait même pas comme majeurs, mais comme des enfants qu’il fallait mener par la main. Mais aujourd’hui on ne sait pas bien si c’est nous, pauvres diables, qui n’avons pas le courage de savoir, ou si c’est l’information et les intellectuels qui n’ont pas le courage de poser des questions à eux-mêmes, au pouvoir et à nous.
La grande majorité d’entre eux sont devenus des conformistes, des dogmatiques, précisément ce que Kant condamnait. J’aimerais énumérer ici les informations truquées qu’ils nous ont distribuées pendant les deux ans de la période Covid, mais l’espace me manque pour le faire. Panebianco, toutefois, ne peut pas les considérer comme exemple de liberté d’information, d’objectivité et d’évidence que cette minorité insignifiante, victime de préjugés idéologiques n’a pas voulu voir.

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