Le témoignage d’un reporter photographe freelance italien Giorgio Bianchi, qui a couvert ces dernières semaines le conflit ukrainien, et laisse percer sa perplexité devant la narration qu’il juge biaisée qu’en donne la presse occidentale.

Il me semble opportun de porter à votre attention le discours que Giorgio Bianchi, un journaliste qui a suivi et suit sur le terrain la guerre russo-ukrainienne, a prononcé lors d’une réunion organisée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Je crois que ce qu’il dit est – aussi bref soit-il – éclairant, notamment en ce qui concerne la manière déformée dont les grands journaux et les chaînes de télévision « de régime » présentent la réalité de ces jours-ci.

(Marco Tosatti)

Traduction du discours du photo reporter indépendant Giorgio Bianchi lors d’une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU, le 6 mai 2022

« Bonsoir, c’est vraiment un honneur pour moi d’être ici.

Je viens de rentrer du Donbass, où j’ai couvert le conflit pendant environ deux mois.
Je dois dire que je m’attendais à une différence entre la réalité sur le terrain et la réalité dans les médias, mais pas à ces niveaux.
Je peux comprendre la propagande russe, je peux comprendre la propagande ukrainienne, ce qui reste incompréhensible pour moi, c’est la propagande européenne.

Avec les médias russes censurés, et avec tous les autres médias dits officiels alignés sur la propagande ukrainienne, pour le public européen – je suis européen -, il est pratiquement impossible de se faire une opinion objective sur la réalité du terrain. C’est pourquoi de plus en plus de personnes se tournent vers le web pour trouver des informations équilibrées.
Les gouvernements et les plateformes numériques, au lieu de s’interroger sur ce phénomène, tentent de limiter l’accès aux informations en ligne. Il semble que leur objectif soit de soutenir un unique récit des faits.

La guerre est dramatique en soi, j’en sais quelque chose, il n’est donc pas nécessaire de la rendre encore plus horrible en inondant les ondes et les journaux de fausses nouvelles. Je ne pense pas qu’il soit utile d’alimenter le conflit ou même de l’aggraver en nourrissant la haine.
Il me semble qu’il y a une sorte d’intérêt à faire durer et à étendre le conflit.

J’ai personnellement dénoncé plusieurs fake news dans les médias européens : la honteuse une de La Stampa qui a subrepticement attribué aux Russes le massacre de Donetsk du 14 mars ; le fait que Mariana, la jeune fille qui a symbolisé le bombardement de l’hôpital de Marioupol, n’a pas été enlevée par les Russes [cf. Guerre de l’info en Ukraine: « la version » de Mariana]; le fait que les Russes ne déportent pas les civils de Marioupol (ils n’arrivent pas à évacuer tous les civils qui veulent partir, ils ne peuvent certainement pas emmener ceux qui veulent rester).

Au contraire, j’ai montré que les soldats et les milices ukrainiens ont largement utilisé les civils comme boucliers humains.
Les témoignages que j’ai recueillis se comptent par dizaines et la grande majorité le confirme.

Il n’y a aucune trace de tout ce travail de fact checking sur le terrain, dans la presse mainstream.

A quel jeu jouons-nous?
Voulons-nous une troisième guerre mondiale?
Voulons-nous réduire les peuples d’Europe à la misère à coup de sanctions?

Je suis un journaliste indépendant.
Mon travail est reconnu au niveau international. Mais je ne peux pas travailler en Ukraine car je figure sur une liste noire, Myratvorets, dans laquelle je suis qualifié de « criminel ».
Juste pour avoir fait mon travail et partagé mon point de vue avec le public… Un point de vue documenté par huit années de travail sur le terrain.
On m’accuse d’être un professionnel « embedded » [voir fr.wikipedia.org/wiki/Journalisme_embarqué]. Mais je ne peux pas travailler de l’autre côté car je risque d’être arrêté.

Pensez-vous que c’est normal ?
Encore une fois : à quel jeu jouons-nous ?

A coup sûr, à un jeu très dangereux.

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