Comme nous l’avons déjà dit, les cardinaux n’ont pas eu la possibilité de prendre la parole lors du consistoire du 27 août dernier. Le cardinal Brandmüller avait préparé un texte qu’il n’a pas été autorisé à lire en public (bravo pour la synodalité, la parhésie, et toutes les belles paroles dont ce pontificat presque exclusivement politique – et non plus spirituel – se gargarise… pour la galerie). Il l’a donc envoyé à Sandro Magister qui l’a publié, et Roberto de Mattei offre ici son commentaire éclairé et éclairant.

Le refus du pape François de donner la parole aux cardinaux découle de la perspective politique et mondaine de son pontificat. Il craint qu’une discussion libre et ouverte puisse affaiblir l’exercice de son pouvoir, sans se rendre compte que la vérité ne peut jamais nuire à l’Église ou aux âmes qui lui sont soumises.

Consistoire 2022 : une grande occasion manquée

Il existe entre grâce et nature une relation analogue à celle qui existe entre foi et raison. Il y a déséquilibre, lorsqu’il y a la foi sans la raison ou la grâce sans la nature, et vice versa, mais l’équilibre parfait ne consiste pas à mettre ces réalités sur le même plan ; au contraire, il consiste à les mettre dans leur ordre légitime, en subordonnant la nature à la grâce, dont la première est le présupposé, tout comme le présupposé de la foi est la raison, qui est cependant subordonnée à la foi.

Cela nous aide à comprendre ce que signifie « esprit de foi » ou « esprit surnaturel », selon que l’on se réfère à la primauté de la foi sur la raison ou de la grâce sur la nature. Cela signifie ne pas renoncer au rôle indispensable de la raison et de la nature, mais voir toutes choses avec les yeux de la foi, en attendant même l’impossible de l’action de la grâce.

Aujourd’hui, cet esprit de foi se perd dans le peuple chrétien, à commencer par ses responsables ecclésiastiques. L’esprit de foi et de surnaturel a été remplacé par l’esprit politique, celui avec lequel les chrétiens prétendent comprendre la réalité avec la seule raison et y intervenir sans recourir à l’action décisive de la grâce.

Le pape François nous a rappelé à plusieurs reprises que les véritables réformateurs de l’Église sont les saints. Pourtant, son approche des grandes questions du monde semble toujours politique, et donc « mondaine », plutôt que « surnaturelle » et mue par un esprit de foi. Cette approche « politique » a dominé le dernier Consistoire qui s’est tenu au Vatican les 29 et 30 août, en présence de quelque 180 cardinaux, et qui a été une grande occasion manquée d’aborder les graves problèmes dont souffre l’Église aujourd’hui. La réunion des cardinaux était officiellement axée sur la réforme de la Curie proposée par la nouvelle Constitution apostolique Praedicate Evangelium, mais en réalité, le pape a empêché les cardinaux de se prononcer sur cette question et sur d’autres en séance commune, les muselant, comme on dit.

Le Consistoire est une réunion du Pape avec les cardinaux, qui, selon le Code de droit canonique (canons 349-359), sont ses premiers conseillers. Depuis au moins sept ans, le pape François ne permet pas aux cardinaux de prendre la parole lors de cette réunion solennelle pour exprimer leur opinion. Tout le monde s’attendait à ce que cela se produise lors de la réunion de fin août, mais le Consistoire, à la demande du pape, a été fragmenté en groupes linguistiques, ce qui a paralysé les cardinaux et empêché le dialogue franc et direct qui a eu lieu pour la dernière fois en février 2014.

Cette vérité nous est rappelée par un éminent cardinal et grand historien, le cardinal Walter Brandmüller, dont la voix, qui n’a pu être entendue dans la salle du Consistoire, résonne en fait à l’extérieur de celle-ci. Le vaticaniste Sandro Magister nous a permis de le connaître en publiant le discours que le cardinal avait préparé mais n’a pas été autorisé à prononcer (en français ici www.diakonos.be/settimo-cielo/exclusif-brandmuller-en-consistoire-le-pape-veut-museler-les-cardinaux/).

Le cardinal Brandmüller rappelle dans son document la fonction des cardinaux, exprimée dans le droit canonique, qui, dans l’Antiquité, trouvait son expression symbolique dans le rite de l' »aperitio oris », de l’ouverture de la bouche. Un rite, a expliqué le cardinal, qui « signifiait le devoir de prononcer sa conviction, son avis avec franchise, surtout au consistoire ». Cette franchise – le pape François parle de  » parresía  » – qui était particulièrement chère à l’apôtre Paul. Pour l’instant, malheureusement, cette franchise est remplacée par un étrange silence. Cette autre cérémonie, celle de la fermeture de la bouche, qui suivait l’ « aperitio oris« , ne se référait pas à des vérités de foi et de morale, mais à des secrets de fonction ».
Le cardinal Brandmüller ajoute:

Mais pour le moment, malheureusement, cette franchise est remplacée par un étrange silence. Cette autre cérémonie, celle de la fermeture de la bouche, qui faisait suite à l’« aperitio oris », ne faisait pas référence aux vérités de foi ou de morale, mais aux secrets de fonction (/professionnel).

Il faudrait pourtant aujourd’hui souligner le droit, et même le devoir, des cardinaux de s’exprimer clairement et avec franchise quand il s’agit de vérités de foi et de morale, du « bonum commune » de l’Église.

L’expérience de ces dernières années est bien différente. Lors des consistoires – convoqués presque exclusivement pour les causes des saints – on distribuait des cartons pour demander la parole, suivaient alors des interventions naturellement spontanées sur l’un ou l’autre sujet, et c’était tout. Jamais de débat, jamais d’échange d’idées sur un thème précis. Une démarche sans doute totalement inutile.

La suggestion présentée au cardinal doyen de communiquer à l’avance un thème à discuter afin que l’on puisse préparer d’éventuelles interventions est restée lettre morte. Bref, depuis au moins huit ans, les consistoires s’achevaient sans la moindre forme de dialogue.

Et pourtant, le primat du successeur de Pierre n’exclut en rien un dialogue fraternel avec les cardinaux, qui « sont tenus par l’obligation de coopérer étroitement avec le Pontife Romain » (canon 356). Plus les problèmes de gouvernement pastoral sont graves et urgents, plus l’implication du collège des cardinaux est nécessaire.

Le cardinal, en historien de l’Église qu’il est, poursuit :

Quand, en 1294, se rendant compte des circonstances particulières de son élection, Célestin V voulut renoncer à la papauté, il ne le fit qu’après d’intenses échanges et avec le consensus de ses électeurs.

Une conception des rapports entre pape et cardinaux très différente de celle de Benoît XVI qui – et c’est un cas unique dans l’histoire – a, pour des raisons personnelles, renoncé à la papauté à l’insu de ce collège de cardinaux qui l’avait élu.

Jusqu’à Paul VI, qui augmenta le nombre des électeurs à 120, il n’y eut que 70 électeurs. Cette augmentation du collège des cardinaux de presque le double de membres était motivé par l’intention d’aller à la rencontre de la hiérarchie des pays lointains de Rome et d’honorer ces Église par la pourpre romaine.

Avec pour conséquence inévitable que l’on a créé des cardinaux qui n’avaient aucune expérience de la Curie romaine et donc des problèmes de gouvernement pastoral de l’Église universelle.

Tout cela a des graves conséquences quand ces cardinaux des périphéries sont appelés à élire un nouveau pape.

La situation actuelle est que

une grande partie des électeurs, sinon la majorité, ne se connaissent pas l’un l’autre. Et malgré cela, ils sont là pour élire l’un d’entre eux pape. Il est clair que cette situation facilite les manœuvres de groupe ou de factions de cardinaux pour favoriser leur propre candidat. Dans cette situation, le risque de simonie sous toutes ses formes n’est pas à exclure.

Une proposition conclut le document du cardinal :

Il me semble qu’il faudrait sérieusement réfléchir à l’idée de limiter le droit de vote au conclave, par exemple aux cardinaux résidents à Rome, tandis que les autres, tout en restant cardinaux, pourraient partager le « statut » des cardinaux de plus de quatre-vingts ans.

Des mots clairs et sans équivoque qui devraient faire réfléchir l’ensemble du Collège des Cardinaux.

Le refus du pape François de donner la parole aux cardinaux découle de la perspective politique et mondaine de son pontificat. Il craint qu’une discussion libre et ouverte puisse affaiblir l’exercice de son pouvoir, sans se rendre compte que la vérité ne peut jamais nuire à l’Église ou aux âmes qui lui sont soumises. L’esprit de foi, qui s’oppose à l’esprit politique, consiste précisément à rechercher en toutes choses ce qui est le plus haut et le plus élevé, ce qui correspond le plus à la gloire de Dieu et au bien des âmes, en se réglant toujours selon les prescriptions de l’Évangile.

L’alternative est entre la vérité de l’Évangile et le pouvoir du monde. Annoncer la vérité de l’Évangile ne signifie pas parler de l’immigration ou de l’urgence climatique, mais des « Novissimi » – la mort, le jugement, l’enfer et le paradis – et de la Providence divine, qui régit tous les événements de l’univers créé. Annoncer l’Évangile signifie condamner, avec la voix de l’Église, le péché, en particulier le péché public, à commencer par l’avortement et les doctrines LGBT, qui sont considérées par le monde comme des « conquêtes civilisées ». Cela signifie parler de sainteté, et non de synodalité, parce que c’est de la sainteté et non des mécanismes politiques que part la réforme nécessaire au sein de l’Église : réforme des hommes qui la composent, et non de sa constitution divine et immuable.

A présent, une chape de silence s’est abattue sur le Consistoire. Et le silence de ceux qui devraient parler est la plus grande punition que Notre Seigneur puisse infliger à son Église.

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