L’histoire qui suit peut sembler a priori une affaire purement italienne, mais elle a à l’évidence une portée beaucoup plus large: elle va au-delà d’une simple querelle de clocher, et soulève un certain nombre de questions distinctes qu’on peut ramener à l’ère bergoglienne, dont la moindre n’est pas les choix surprenants du Pape dans la nomination des cardinaux et son refus d’associer systématiquement, conformément à la tradition, grands sièges épiscopaux et cardinalat au profit de « prêtres de rue » souvent venus du « bout de monde », sans aucune expérience de gouvernement de l’Eglise et avec un maigre bagage théologique (un sujet crucial puisqu’il conditionne le choix du prochain pape). Sans parler du manque de retenue verbale, mélangeant propos de comptoir et magistère, que François lui-même pratique abondamment.
Résumons: l’actuel archevêque de Milan (le plus grand diocèse d’Italie, et l’un des plus importants au monde), Mgr Delpini, grosso modo un progressiste qui a succédé au cardinal Scola en 2017, a vu une nouvelle fois la pourpre cardinalice lui passer sous le nez lors du dernier consistoire, le Pape lui ayant préféré l’évêque de Côme (diocèse suffragant de celui de Milan), un certain Oscar Cantoni. Et Mgr Delpini a réglé publiquement ses comptes lors d’une messe solennelle, avec son malheureux confrère (en sa présence!) mais aussi avec le Pape lui-même et ceci – circonstance aggravante – sous les rires « gras » de l’assistance. Décidément, l’effet Bergoglio n’est plus ce qu’il était, et même parmi le clergé au début soutien fervent du « nouveau cours », le consensus pro-François fond comme neige au soleil.

Delpini se moque en public du pape et du cardinal nouvellement nommé Cantoni

Un archevêque Delpini insolite, ironique et sarcastique, a offert une représentation (performance) qui restera dans les annales de l’Eglise, pas seulement ambrosienne [de Milan, ndt] et pas seulement lombarde.

Mercredi 31 août, jour de la fête du saint patron Saint Abundius (Sant’ Abbondio), un pontifical [rituel des cérémonies réservées à l’évêque, ndt] a été célébré dans la cathédrale de Côme par Oscar Cantoni, lors de sa première messe dans la ville en tant que cardinal.

Les évêques de Lombardie étaient présents, avec à leur tête l’archevêque métropolitain de Milan, Mgr Mario Delpini, qui a pris la parole à la fin du rite pour adresser ses vœux au cardinal nouvellement nommé. Et c’est à cette occasion que Delpini a retiré non pas quelques cailloux mais de véritables blocs de pierre de ses chaussures.

Pour souligner l’affront fait par le pape à Milan (mais aussi à Venise, à Turin et à d’ autres sièges), une ville qui n’a toujours pas de cardinal, Delpini a utilisé le sarcasme. Voilà comment il s’est adressé à Cantoni:

 » Je suis la voix de la Conférence épiscopale de Lombardie et de toutes nos églises… Il y a eu des gens un peu effrontés qui se sont demandés pourquoi le pape n’avait pas choisi le métropolite [Delpini, ndr]. Maintenant, je crois qu’il y a de bonnes raisons pour cela. Bien sûr, il est toujours un peu difficile d’interpréter la pensée du Saint-Père, car vous vous souvenez peut-être de cette très haute expression de la sagesse antique qui disait que même le Père Éternel ne sait pas trois choses : la première est de savoir combien de congrégations de religieuses il y a, la deuxième est de savoir combien d’argent possède je ne sais quelle communauté religieuse, et la troisième est de savoir ce que pensent les Jésuites. Mais dans ce choix, je pense que la sagesse du Saint-Père est clairement révélée. Pourquoi a-t-il choisi l’évêque de Côme pour être son conseiller particulier ? J’ai trouvé au moins trois raisons. La première, c’est que le pape a dû penser que l’archevêque de Milan a déjà tellement de choses à faire, qu’il est surchargé de travail, et donc il a dit : l’évêque de Côme doit aussi travailler un peu [applaudissements et rires] et donc il a pensé à vous donner du travail aussi. La deuxième raison est que le pape a probablement pensé : ces péquenots de Milan ne savent même pas où se trouve Rome, alors il vaut mieux ne pas trop les impliquer dans le gouvernement de l’Église universelle [plus d’applaudissements, plus de rires]. Et peut-être y a-t-il aussi une troisième raison. Si je me souviens bien, le pape est supporter du River [River Plate, club de football argentin], qui n’a jamais rien gagné, et il a peut-être pensé que ceux de Côme pourraient un peu s’identifier parce qu’on sait que le Scudetto [emblème du vainqueur du championnat italien] est à Milan [tonnerre de rires, applaudissements, apothéose] ».

Ayant dit que Delpini s’est trompé sur le club supporté par Bergoglio, dont le cœur ne bat pas pour River Plate mais pour San Lorenzo, il reste à souligner le discours. Tout comme les rires des autres évêques (seul le cardinal Coccopalmerio est resté une statue de sel).

On dit que le Cardinal Oscar Cantoni ne pardonnera pas l’affront. Mais on dit aussi que Delpini s’en fiche éperdument, car il n’a plus rien à perdre.

C’est l’Église d’aujourd’hui. Dans lequel un archevêque important, après s’être longtemps fait le champion de l’Église bergoglienne, se moque publiquement du pape et d’un confrère parce que son siège est toujours sans pourpre. Une dénonciation à partager, qui nous a aussi fait sourire, mais qui laisse néanmoins un goût amer dans la bouche sur l’état dans lequel l’Église est réduite.

… et le commentaire de Riccardo Cascioli

Delpini et la pourpre, le problème de Milan est tout autre.

lanuovabq.it/it/delpini-e-la-porpora-il-problema-di-milano-e-ben-altro

Le discours de l’archevêque de Milan, Mgr Mario Delpini, lors du Pontifical célébré le 31 août à Côme pour le saint patron de la ville, Saint Abbondio, a suscité de nombreuses réactions. C’était aussi l’occasion pour les évêques de Lombardie, les autorités locales et les fidèles du diocèse de se réunir pour saluer l’évêque du diocèse, Oscar Cantoni, qui avait reçu du pape François, quatre jours auparavant, la barrette pourpre de cardinal. Et c’est précisément cette nomination qui a provoqué l’intervention controversée de Delpini, dans sa salutation au nom de tous les évêques de Lombardie à la fin de la messe.

Tentant de répondre à la question de savoir pourquoi le pape a nommé cardinal l’évêque de Côme, diocèse suffragant de Milan, et non lui, un Delpini plus sarcastique qu’ironique a émis trois hypothèses, lançant plusieurs coups de gueule stylistiques à la fois au pape François (recyclant la célèbre blague selon laquelle la pensée des jésuites est l’un des trois secrets que même Dieu ne connaît pas) et au cardinal Cantoni (jouant sur le fait que Côme est une ville perdante où l’évêque n’a pas grand chose à faire).

Pour certains, l’intervention de Mgr Delpini a été inconvenante et déplacée, un acte d’arrogance et la démonstration de son attachement au pouvoir, et de la rancœur associée à la non-attribution de la pourpre. De l’autre côté, d’autres commentateurs pensent qu’il s’agit d’un malentendu, car l’ironie est le registre que Delpini utilise habituellement, au point qu’il l’a également fait pour son inauguration à Milan ; il n’y a donc pas eu de malveillance ou de « caillou enlevé de la chaussure ».

Que Mgr Delpini aime utiliser l’ironie est incontestable, mais en réécoutant l’enregistrement et en tenant compte de l’occasion et du rôle, il est très difficile de réduire son discours à un mot d’esprit mal compris. Ce n’était pas une blague jetée en l’air mais un discours articulé, donc préparé et voulu. De telles plaisanteries auraient déjà été risquées dans un bar entre amis, et d’autant plus prononcées lors d’un pontifical dans la cathédrale de Côme, au nom de tous les évêques de Lombardie.
On a plutôt l’impression que Mgr Delpini, avec son style, a donné une voix au mécontentement qui est répandu depuis un certain temps dans le diocèse ambrosien pour la « punition » du refus de la pourpre à son évêque titulaire, qui dure depuis cinq ans et quatre consistoires. La nomination comme cardinal de l’évêque de Côme en cette occasion a donc été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, l’affront à Milan n’étant que trop évident.

Et on ne peut passer sous silence le fait que les plaisanteries au vitriol de Mgr Delpini sur le Pape et l’évêque de Côme ont été accueillies par des rires gras – surtout de la part des autres évêques, à l’exception du cardinal Coccopalmerio et, bien sûr, du pauvre cardinal Cantoni nouvellement nommé – et des applaudissements des fidèles présents. Un spectacle vraiment sans précédent et, à certains égards, déconcertant.

Il est difficile de nier que les paroles de Delpini étaient inappropriées pour l’occasion et que certains règlements de comptes ne sont pas bons à faire pendant une liturgie. C’est aussi une façon de dégrader l’institution épiscopale. On peut accorder à Delpini la circonstance atténuante que, depuis quelques années, le style informel, l’habitude d’être en roue libre en toute occasion, la tendance à effacer la ligne de démarcation entre le Magistère et les opinions de salon, en d’autres termes, la voie de l’avilissement de l’institution ecclésiale a été empruntée par le Pape lui-même. Et dans ce climat, il est inévitable que les évêques s’adaptent également.

Il y a cependant un autre problème qui doit être noté et qui est beaucoup plus grave. Aujourd’hui, on fait beaucoup de bruit autour de cette expression de dissidence face à certains choix faits par Rome sur la nomination des cardinaux – dont les critères sont objectivement incompréhensibles -, mais il est amer de constater que l’archevêque de Milan n’exprime des objections que face à des questions que la plupart des gens perçoivent comme des problèmes de carrière ecclésiastique personnelle. Alors que ces dernières années, l’archidiocèse de Milan, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, a toujours été plus royaliste que le roi en suivant les indications pastorales qui ont entraîné la confusion et la désorientation des fidèles et des prêtres. Ou qui ont asservi l’Église à l’État, comme cela s’est produit pendant la pandémie.

Plutôt que d’ironiser sur la pourpre distribuée à l’aveuglette, il serait beaucoup plus utile à la foi des catholiques ambrosiens que l’évêque défende et promeuve publiquement le dépôt de la foi, y compris auprès de ceux qui, dans sa propre Curie, travaillent à la protestantisation de l’Église. Aussi parce que, compte tenu des précédents, il n’est pas certain que Mgr Delpini ait encore beaucoup de temps devant lui. La miséricorde [bergoglienne?] l’attend au tournant.

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