Après celui de son compatriote Brandmüller, c’est une nouvelle illustration de la volonté du Pape de museler d’éventuelles oppositions, et tout en brandissant la soi-disant parhésie comme un slogan publicitaire à l’usage des médias, de réduire ses conseillers naturels (les cardinaux) au silence. L’ex-préfet de la CDF y dénonce une tendance inquiétante, confirmée dans Praedicate Evangelium, qui se traduit par « l’affaiblissement de la fonction et de l’autorité conférées par l’Ordre, par la délégation à des laïcs de postes de direction dans la Curie romaine et dans les diocèses » (cf. Andrea Gagliarducci, Un pape de contradictions).

Une Église totalement fixée sur le pape était et est toujours la caricature de l’enseignement catholique sur l’institution, la perpétuité, la signification et la raison de la primauté sacrée du Pontife romain

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Le pape ne peut pas conférer à un laïc de manière extra-sacramentelle – c’est-à-dire par un acte formel et juridique – le pouvoir de juridiction dans un diocèse ou dans la curie romaine, afin que les évêques ou les prêtres puissent agir en son nom

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Le grand verbiage du ministère, de la synodalité et de la subsidiarité ne peut dissimuler la régression vers une conception théocratique de la papauté.

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Cardinal Müller
Texte complet de l’intervention: www.lifesitenews.com

Les réflexions du Cardinal Müller sur la réforme curiale du Vatican, telles qu’elle a été préparée pour le récent consistoire.

https://www.lifesitenews.com

Le cardinal Gerhard Müller, ex-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), a bien voulu fournir à LifeSite une copie de ses réflexions sur la réforme de la Curie telle qu’elle est mise en œuvre avec le document papal Praedicate Evangelium, signé par le pape François le 19 mars. Le cardinal Müller avait l’intention de présenter sa déclaration au Consistoire des cardinaux qui s’est réuni à la fin du mois d’août à Rome, mais en raison du temps de parole limité qui lui a été accordé, il n’a pas été en mesure de la prononcer.

Dans sa déclaration, le cardinal allemand, qui a été démis de ses fonctions par le pape François de manière brutale en juin 2017, indique clairement qu’il voit une tendance inquiétante qui se dessine actuellement dans l’Église. Il s’oppose à la fois à un papalisme fort qui sape l’autorité d’enseignement sacramentel de chaque évêque individuel, ainsi qu’à l’affaiblissement de la fonction et de l’autorité ordonnées (/conférées par l’Ordre) par la délégation de postes de direction dans la Curie romaine et dans les diocèses à des laïcs.

« Ce n’est pas un progrès dans l’ecclésiologie », écrivait-il, « mais une contradiction flagrante avec ses principes fondamentaux, si toute juridiction dans l’Église est déduite de la primauté juridictionnelle du pape. Aussi le grand verbiage du ministère, de la synodalité et de la subsidiarité ne peut dissimuler la régression vers une conception théocratique de la papauté. »

Le prélat allemand insiste sur le fait que l’autorité du pape repose sur le fait que le Christ lui-même lui a donné l’autorité, et personne d’autre. « Pierre agit dans l’autorité du Christ en tant que son vicaire. Son autorité pour lier et délier n’est pas une participation à la toute-puissance de Dieu », a insisté M. Müller. Il poursuit en disant que « l’autorité apostolique du pape et des évêques n’est pas de leur propre droit, mais seulement un pouvoir spirituel conféré pour servir le salut des âmes par la proclamation de l’Évangile, la médiation sacramentelle de la grâce et la direction pastorale du peuple de Dieu en pèlerinage vers le but de la vie éternelle. »

C’est-à-dire que l’autorité du Pape est liée et limitée par son devoir de conduire les âmes au salut de la manière dont le Christ lui-même l’a ordonné. Il n’est pas indépendant du mandat du Christ.

Par conséquent, « une Église totalement fixée sur le pape était et est toujours la caricature de l’enseignement catholique sur l’institution, la perpétuité, la signification et la raison de la primauté sacrée du Pontife romain« , a expliqué le cardinal.

Sur la base du principe concernant les limites de l’autorité du pape, le cardinal Müller précise que le pape ne peut pas modifier l’ordre hiérarchique et sacramentel de l’Église en nommant des laïcs à la tête d’un diocèse ou d’un office curial. « Le pape ne peut pas non plus conférer à un laïc de manière extra-sacramentelle – c’est-à-dire par un acte formel et juridique – le pouvoir de juridiction dans un diocèse ou dans la curie romaine, afin que les évêques ou les prêtres puissent agir en son nom », écrit le prélat.

La publication de cette intervention du cardinal Müller est la deuxième intervention d’un cardinal qui n’a pas pu être prononcée lors du récent Consistoire. Le cardinal allemand Walter Brandmüller, historien de l’Église, n’a pas non plus pu prononcer son intervention, et c’est pourquoi Sandro Magister l’a publiée sur son blog. Dans cette intervention, le cardinal Brandmüller a déploré le fait que sous le pontificat du pape François, les discussions libres des cardinaux avec le pape ont essentiellement cessé d’exister. « Dans l’Antiquité, cette fonction des cardinaux trouvait une expression symbolique et cérémoniale dans le rite de ‘l’aperitio oris’, de l’ouverture de la bouche », écrit le cardinal, ce qui signifie « le devoir d’exprimer franchement sa propre conviction, son avis, surtout en consistoire. » Il ajoute ensuite que cette nécessaire franchise « est remplacée par un étrange silence. »

Le prélat allemand a donc constaté que les consistoires sous le pape François ne sont pas très efficaces ni utiles. « Des formulaires étaient distribués pour demander un temps de parole, suivi de remarques évidemment spontanées sur n’importe quel type de sujet, et c’était tout », écrit-il pour décrire les consistoires passés. « Il n’y a jamais eu de débat, d’échange d’arguments sur un sujet précis. De toute évidence, une procédure totalement inutile. »

Le dernier consistoire controversé connu où les cardinaux de l’Église catholique ont encore pu s’exprimer librement est celui de 2014, au cours duquel le pape François avait invité le cardinal Walter Kasper à présenter sa « proposition Kasper » concernant l’admission des divorcés remariés à la sainte communion. Comme le rapportait à l’époque le vaticaniste italien Marco Tosatti, un grand nombre de cardinaux s’étaient opposés à l’initiative du pape François (cf. benoit-et-moi.fr/2014). Depuis lors, le pape François n’a jamais permis qu’une discussion aussi libre ait lieu pendant un Consistoire. Il faut féliciter ces deux cardinaux allemands pour avoir permis à cette discussion d’avoir lieu en public aujourd’hui, même partiellement.

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