Les Italiens sont en pleine campagne électorale, à un semaine des élections générales où ils seront appelés à renouveler leur Parlement, et le tableau politique, à grands traits, ressemble beaucoup au nôtre, même si les modalités du pouvoir sont techniquement très différentes. L’offre politique est en apparence variée, mais sur les questions fondamentales qui engagent l’avenir de notre civilisation (choix sociétaux, défense de la vie, souveraineté, identité, et surtout le virage dangereusement autoritaire que nous avons subi avec le covid) aucun parti n’apporte vraiment satisfaction à un catholique. Alors que faire? Voter pour celui que l’on croit être le moins pire (en France, hélas, cela a amené beaucoup de gens à mettre un bulletin Macron dans l’urne) ou choisir en conscience le « non-vote », pour dire aux politiques qu’ILS NE NOUS REPRÉSENTENT PAS? Même si notre propre période électorale est derrière nous pour 5 ans, c’est un sujet passionnant et un choix crucial auquel il importe de réfléchir sur le long terme. AM Valli nous rend témoins ici de son dilemme, et nous fait partager ses réflexions.

Élections / Voici pourquoi je me dirige vers le non-vote

AM Valli
www.aldomariavalli.it/2022/09/18/elezioni-ecco-perche-sto-andando-verso-il-non-voto/
18 septembre 2022

Le vote du 25 septembre approche à grands pas et si vous me demandez pour qui je vais voter, je dois vous répondre, en toute sincérité, que je ne sais pas. Il n’y a rien à faire. Aucun des partis en lice, pour une raison ou une autre, ne répond à mes idéaux et à mes exigences. Oui, certains s’en approchent, mais en fin de compte, ils ne me convainquent pas. C’est pourquoi j’ai commencé à me demander : et si je ne votais pas ?

L’abstentionnisme, on le sait, ne jouit pas d’une bonne réputation. En fait, il est dépeint par beaucoup comme une véritable attaque contre la démocratie. Mais qui dit cela? Le non-vote est un vote, c’est un jugement politique, comme tous les autres.

Si je me rends dans un magasin pour acheter, par exemple, une veste, et que je n’en trouve aucune qui me convienne, je peux très bien repartir sans rien acheter. Il n’est écrit nulle part que je dois nécessairement acheter une veste, en me contentant peut-être de celle qui me va le moins mal.

Il en va de même pour les partis. Si le paysage politique n’offre pas de proposition à laquelle je me sens capable de souscrire, rien ni personne ne peut me forcer à voter quand même. Voter est un droit-devoir, pas une imposition.

Si je m’abstiens vraiment, ce sera la première fois. Dans le passé, je ne l’ai jamais fait, peut-être aussi parce que j’ai été conditionné par l’idée que l’abstention est une expression de qualunquisme politique. Une idée fausse, diffusée à dessein. Bien sûr, le fait de ne pas voter peut être l’expression d’un qualunquisme s’il découle d’un sentiment anti-politique générique et superficiel, tel que celui exprimé par ceux qui disent « tous les politiciens sont des voleurs » ou « la politique, ça me dégoûte ». Mais l’origine du non-vote n’est pas forcément toujours celle-là. S’il est le fruit d’une réflexion approfondie, à la lumière de ses propres idéaux nourris par la passion, le non-vote correspond à un choix politique précis, lourd de conséquences.

La condamnation du non-vote sent à plein nez le chantage mis en place par ceux qui veulent votre voix à tout prix, et clairement, ceux qui veulent votre voix à tout prix ne souhaitent pas être votre représentant: ils ne cherchent qu’à vous utiliser pour entrer dans le palais du pouvoir.

Le système politique considère le non-vote avec horreur, non pas parce que, comme on l’entend souvent, il s’agit d’une « attaque contre la démocratie », mais parce qu’il menace de délégitimer la classe politique. Que se passe-t-il si la majorité des personnes ayant le droit de vote ne votent pas ? Bien sûr, on aura toujours un parlement et un gouvernement, mais avec quelle crédibilité ? Plus la minorité d’électeurs est petite, plus la crédibilité des élus est faible. Et face à toute loi faite dans ce contexte, la majorité des citoyens aurait de bonnes raisons de répondre : « Je ne vous reconnais pas. Vous ne me représentez pas ».

Nous sommes habitués à voir la représentation politique du côté de ceux qui se présentent à la compétition électorale, à tel point que nous leur demandons de nous montrer leur programme. Nous devrions plutôt essayer de voir la compétition du point de vue des électeurs, en soumettant nos demandes aux politiciens. De cette manière, dans le cas où aucun concurrent ne répondrait aux idéaux et aux demandes exprimés, rien ne nous empêche d’arriver à la conclusion de ne donner de voix à personne. Une attaque contre la démocratie ? Non, une prise de conscience de la part du demos [ndt: Du grec ancien δῆμοςdemos (« le peuple »), wikipedia], qui ne veut plus être représenté par ceux qui ne le méritent pas. Réfléchir à l’abstention permet de passer de l’offre politique à la demande politique.

J’irais même jusqu’à soutenir que l’abstention peut être obligatoire en conscience sous certaines conditions liées aux mécanismes électoraux et à la qualité de l’offre. Ne pas voter est mieux que de mal voter. Ne pas voter est un choix obligatoire lorsqu’il n’y a objectivement aucune condition pour bien voter. En tant que droit, le vote doit être exercé le mieux possible. Si les conditions données sont telles que, en votant, on ne peut que mal voter, le droit de vote est dangereusement dévalorisé.

Dépeint instrumentalement comme une expression d’anti-politique et de qualunquisme, le non-vote est en réalité une arme puissante, car il ébranle la légitimité politique. Si le non-vote découle d’une réflexion consciente sur la représentation politique, ne pas voter ne signifie pas se débarrasser de sa responsabilité : cela signifie l’exercer au maximum.

Dans une démocratie représentative, nous avons une confrontation entre deux pouvoirs : celui des représentants et celui des représentés. Voter à contrecœur et faire la sourde oreille ne fait que renforcer le pouvoir des représentants. Le non-vote, en revanche, permet de redonner de l’importance aux représentés, qui en s’abstenant montrent qu’ils ne veulent pas jouer le jeuà tout prix.

La légitimité de la classe politique est fondée sur le consensus politique qui lui est attribué. Réduire ou éliminer le consensus mine la légitimité. Donc l’autorité.

Ces réflexions sont d’autant plus nécessaires à la lumière de ce que nous avons vécu ces deux dernières années dans nos démocraties qui se sont rapidement transformées en démocratures ou pseudo-démocraties.

Si l’offre politique est constituée de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la descente vers l’autoritarisme de fond, ne pas voter devient obligatoire. En ne votant pas, j’affirme que je ne suis pas prêt à donner mon consentement, et donc à légitimer, ceux qui ont été responsables de l’involution dans une direction autoritaire.

Vous direz : mais il y a aussi les forces anti-système. C’est vrai. Mais (je le dis avec regret, car au sein de ces forces il y a des personnes dignes d’estime) le fait qu’elles ne se soient pas unies et qu’elles semblent déjà rongées par le personnalisme (sans parler de certains candidats très problématiques) ne me permet pas de leur donner mon consentement.

Pour toutes ces raisons, je dis : j’ai bien peur de ne pas aller voter, cette fois-ci.

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