La dernière interview de Mgr Viganò à un média américain (Une interview de Mgr Vigano) a suscité quelques réactions, et même un débat fort intéressant sur le blog d’AM Valli. Les questions, plutôt critiques, posées ici, ne sont pas anonymes, elles sont signées, et elles tournent autour de celle-ci, décisive: pourquoi le Pape ne sanctionne-t-il pas l’archevêque rebelle, comme l’Eglise l’a toujours fait dans le passé? On peut évidemment avoir d’autres suggestions que celles proposées ici, selon que l’on est plus ou moins « bergoglien » (c’est triste à dire, mais ce pape politique clive l’Eglise en catégories politiques, et se définit plus comme un chef de parti qu’en pasteur)

I. Pourquoi personne, dans la hiérarchie, ne prend-il la peine de répondre?

Pourquoi Mgr Viganò n’est-il pas sanctionné officiellement?

AM Valli, 6 octobre 2022

Je viens de finir de lire l’interview donnée par Mgr Viganò à Michael J. Matt pour la Catholic Identity Conference. Je n’ai pas l’intention de commenter ici le ton et le contenu des déclarations du prélat. Ses affirmations, à l’exception de certaines questions concernant le contraste entre substance et herméneutique du Concile Vatican II, sont comme toujours en accord avec ma vision de la grande question de l’ « Église ».

Je voudrais plutôt faire une réflexion générale sur l’ « état » dans lequel se trouve la barque de Pierre aujourd’hui, en prenant comme exemple paradigmatique précisément la relation entre Mgr Viganò et le gouvernement actuel de l’Église catholique. Une Église qu’il combat mais dont, néanmoins, il continue à faire partie. Je me suis donc posé quelques questions, indépendamment du fond: que se serait-il passé dans les siècles passés face à un désaccord d’une telle ampleur entre un dignitaire de la Sainte Mère Église et la figure (magistérielle, doctrinale et pastorale) du pontife en fonction ? Quelles auraient été les conséquences concernant, d’une part, la volonté du « rebelle » de rester ou non dans le giron de la Mère Église, et, d’autre part, les mesures qui en auraient résulté de la part du pouvoir institutionnel pour la défense de ses prérogatives ? L’histoire nous a donné d’innombrables exemples de ce genre (je me limiterai à ceux qui sont tous internes à l’Église, sans m’occuper des affrontements entre les pouvoirs politique et ecclésiastique). Ces conflits ont presque toujours abouti à des excommunications, des abandons, des schismes, des condamnations ou des accusations réciproques d’hérésie aboutissant publiquement à des contradictions ouvertes et graves. Je tiens à dire que l’Église, en toutes ces occasions, a fait preuve – indépendamment des torts et des raisons des positions en jeu – d’une force, d’une vitalité et d’une défense de principes, y compris opposés, dont elle est presque toujours sortie plus forte.

Que se passe-t-il au contraire ces dernières années ? En nous limitant, comme je le disais, au « cas Viganò », nous voyons un prélat important qui – sans tournures de phrases ni tactiques diplomatiques – traite le Pape régnant (un adjectif particulièrement mal accueilli par l’actuel locataire de Sainte Marthe) comme s’il était un suppôt de Satan. Néopaganisme, apostasie et panthéisme sont les autres accusations. Le même monseigneur affirme, avec une foule d’arguments, que l’élection bergoglienne a été un acte totalement invalide sanctionné par un conclave à la solde des puissances maçonniques dominantes du monde (le fameux Deep State). Tout cela avec l’amplification de l’appareil médiatique omniprésent. D’autre part, nous constatons, stupéfaits, le comportement d’un Pape qui semble totalement inconscient de la gravité et de la réitération des accusations ; même silence – et de notre part, même douloureuse surprise – de la part de tous ceux qui, en 2013, ont voté pour l’archevêque de Buenos Aires. De plus, ces attitudes ne sont pas isolées ; comment ne pas rappeler, à cet égard, le silence papal assourdissant face aux dubia manifestés par plusieurs cardinaux sur divers points de l’encyclique Amoris laetitia ?

Je me demande : quel genre d’Église est-ce là ? Est-il acceptable que ceux qui portent des accusations très graves contre le pape considèrent qu’il est absolument logique, je dirais presque normal, de continuer à professer leur foi au sein d’une institution considérée comme démoniaque ? Et qu’un Pape et ses cardinaux manifestent une indifférence absolue à l’égard de ceux qui attaquent ainsi le Vicaire du Christ sur terre ? Et attention: la question sur l’opportunité ou pas de rester dans cette Église, adressée à Mgr Viganò, me concerne également ainsi que tous ceux qui, depuis des années, ressentent l’inconfort de vivre dans un contexte ecclésial dans lequel ils ont de plus en plus de mal à se reconnaître. Mais c’est surtout le silence de la hiérarchie, depuis le sommet, qui a quelque chose de monstrueux. C’est comme si, dans une famille, les enfants voyaient quotidiennement leur mère accusée tantôt d’immoralité, tantôt de malhonnêteté ou d’ignorance. Mais en même temps, ils observent avec consternation cette femme qui non seulement ne réagit pas face à une telle infamie mais fait preuve d’une totale indifférence à l’égard de ce qui est dit contre elle. Comment ces enfants se sentiraient-ils ?

Je me rends compte que j’ai posé, et que je me pose, de nombreuses questions. Des questions auxquelles je ne sais pas répondre et qui alimentent, jour après jour, un sentiment de malaise quant à ce que pourrait être l’avenir proche de cette Église et de nous qui – parmi les doutes, les indécisions, les peurs et les péchés – en faisons encore partie.

Saint Thacius Caecilius Cyprien, évêque de Carthage au IIIe siècle après J.-C., a écrit dans l’une de ses épîtres au pape Étienne le célèbre Salus extra Ecclesiam non est (hors de l’Église, point de salut), qui est ensuite devenu un dogme. L’étoile polaire reste donc celle-ci, mais je ne peux m’empêcher de me demander, en ce début de troisième millénaire : en dehors de « quelle » Église ?


Une réponse…

Cela correspond à la « méthode Bergoglio ». Mais ce n’est pas tout

AM Valli, 9 octobre 2022

A mon avis, l’attitude claire et doctrinalement irréprochable de Mgr Viganò ne suscite aucune réserve. Il ne fait rien d’autre que son devoir de pasteur et de successeur des apôtres.

Par contre, la passivité et la réserve de la Curie romaine, pontife en tête, ne sont pas peu surprenantes… En novembre 2020, je m’interrogeais déjà : pourquoi, dans les années 1970, de sévères sanctions canoniques contre Mgr Marcel Lefebvre sont-elles tombées, et aujourd’hui, sous un pape impulsif et souvent colérique, rien de tout cela ne se produit?

À l’époque, j’avais tenté d’identifier la cause uniquement dans le fait que Mgr Viganò n’a fondé ni séminaires ni congrégations religieuses susceptibles de se perpétuer dans le futur. Aujourd’hui, cependant, après une réflexion plus approfondie, j’exprimerais également d’autres raisons qui n’éliminent pas la principale :

1 – Le pape François a montré à plusieurs reprises qu’il n’aime pas l’échantillon « classique » des sanctions canoniques : obligation de silence, suspension a divinis, excommunications, saisine de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cela ne signifie évidemment pas que le pontife n’est pas enclin aux punitions. Cependant, dans le style typique des jésuites, il préfère des actions plus indirectes et sournoises : démission forcée, révocation injustifiée, moqueries et sarcasmes dans les interviews, les discours et les homélies, humiliation publique des opposants, peut-être sans jamais mentionner leurs noms.

2 – Il est clair, à cet égard, qu’une personnalité comme Mgr Viganò ne peut craindre aucune de ces attitudes. Il n’occupe plus aucune fonction curiale, il ne dirige aucun diocèse, il n’aspire pas au cardinalat, il n’a pas, du moins je crois, de problèmes financiers ou d’amis à défendre, et il a démontré qu’il n’est pas homme à se laisser intimider ou menacer.

3 – Dans un premier temps, on a tenté de mobiliser les médias contre Mgr Viganò, en invoquant des raisons liées à sa carrière manquée pour justifier ses critiques. La manœuvre a toutefois échoué, probablement parce qu’elle ne semblait pas crédible aux yeux des fidèles et qu’en outre, elle aurait risqué de faire ressortir des histoires bien plus compromettantes contre des hommes de la Curie. Et, comme nous le savons, si en Italie la presse est toujours entièrement contrôlable, ce n’est pas le cas dans certains pays, même importants, comme les États-Unis.

4 – Je laisserai peut-être la motivation la plus délicate pour la fin: Mgr Viganò, au cours de son service dans la diplomatie vaticane et dans la Curie romaine, a déjà prouvé qu’il avait acquis des informations et des documents très délicats et potentiellement compromettants (voir l’affaire McCarrick). Mieux vaut alors laisser tranquille un personnage potentiellement très dangereux.

5 – Il ne reste alors que la stratégie du silence. Ne pas répondre, ne pas réagir, ne pas y réfléchir et espérer, peut-être, un incident. Cette stratégie a déjà été utilisée, apparemment avec succès, dans de nombreuses autres situations très délicates : dubia, pachamama, déclaration de Dubaï, etc.

(Je tiens à préciser, en conclusion, que je ne dispose d’aucune information confidentielle ou rumeur. J’essaie juste de penser et d’utiliser la raison).

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