En 2013, l’avènement de François avait été salué unanimement au son de trompettes triomphales par l’ensemble des médias (cela a été abondamment témoigné dans ces pages, et j’avoue que j’en conçois encore une grande amertume), comme s’il était urgent d’archiver au plus vite la saison catastrophique où l’homme à la barre du navire de Pierre était Benoît XVI le mal-aimé. Presque 10 ans plus tard, aucun des problèmes de gouvernement (on ne parle pas de doctrine!) auxquels on prétendait alors porter remède n’a été résolu. Bien au contraire. Et d’autres sont apparus, laissant supposer que l’Eglise est (re)tombée dans ses pires travers, avec le risque d’une institution gouvernée à sa guise par un homme seul, une institution qu’on n’écoute plus. La chronique hebdomadaire d’Andrea Gagliarducci.

Pape François, les effets du pontificat

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-effects-of-the-pontificate
21 novembre 2022

Le pontificat du pape François a commencé par un intense battage médiatique et l’espoir d’un changement de fond, non pas tant dans l’Église que dans la gestion de l’Église. Au moment du conclave, il n’était pas question de la doctrine mais plutôt d’administration, de la manière dont l’Église avait répondu aux scandales, et de la manière dont l’Église avait été capable de répondre à ces scandales.

Nous venions d’une saison difficile. En 2010, à la veille de l’Année sacerdotale, les médias avaient diffusé pendant un an des informations sur les abus réels et présumés de membres du clergé dans une opération de communication qui avait conduit le Saint-Siège à engager un conseiller en communication en la personne de Greg Burke.

En 2012, c’est le premier Vatileaks qui frappait le Saint-Siège, avec la publication de documents confidentiels provenant directement du bureau du Pape. Et puis, entre 2011 et 2012, les fuites sur la réforme financière du Vatican et les pressions sur la façon dont le Saint-Siège gérait les finances créait une opinion publique négative, et très difficile à surmonter.

Ce sont toutes des questions qui avaient été discutées dans les congrégations générales et qui avaient ensuite nécessairement fait partie de l’agenda du Pape nouvellement élu.

Neuf ans plus tard, il faut toutefois se demander si ces réformes ont été efficaces.

Les attaques contre les finances du Saint-Siège en 2012 étaient aussi dictées par le fait que le Saint-Siège mettait en place un système en rupture avec les influences habituelles, notamment italiennes, en adhérant aux meilleurs standards internationaux.

Dix ans plus tard, la gestion du Saint-Siège est à nouveau entre les mains des Italiens en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Par ailleurs, les derniers scandales financiers s’inscrivent dans un processus vatican qui a également conduit à la perte de pouvoir de la Secrétairerie d’État, constamment attaquée.

Les attaques contre la Secrétairerie d’État ne sont pas nouvelles non plus : elles existaient il y a dix ans et sont toujours d’actualité. Avec une différence.

Benoît XVI avait toujours fait savoir qu’il ne jetterait jamais le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’État, du haut de la tour. Le pape François n’a jamais fait allusion à rien de tel. En réalité, comme les collaborateurs changent, des décisions soudaines et tranchantes comme celle de transférer les fonds de la Secrétairerie d’État à l’APSA [Administration du Patrimoine du Siège Apostolique] , ou celle d’envoyer le cardinal Angelo Becciu en procès, représentent un signal autre: rien n’est sûr, rien n’est linéaire.

Dix ans plus tard, les scandales d’abus font toujours la une des journaux et fonctionnent encore comme une horloge. Un cas présumé de comportement déplacé a conduit à la démission de l’archevêque de Paris, Michel Aupetit, acceptée par le pape « sur l’autel de l’hypocrisie » ; la tempête médiatique qui s’est abattue a conduit le cardinal Ricard à avouer des abus sur une enfant de quatorze ans, éloignant ainsi l’attention de la lettre des évêques français sur la loi de l’euthanasie qui était destinée à créer un débat honnête.

En dehors du battage médiatique, peu de choses ont changé dans l’attitude envers l’Église. Le pape François est reconnu comme ayant une attention extraordinaire pour les pauvres, les marginaux et les migrants. Pourtant, les médias le réduisent en permanence au silence lorsqu’il parle de l’avortement ou de la famille. Il existe un magistère caché du Pape, qui reste à découvrir [???].

Si de toute façon ce magistère n’aide pas l’Église à résoudre les problèmes à l’extérieur, il n’a pas non plus résolu les problèmes internes.

Le pape François a créé plusieurs commissions au cours de son pontificat jusqu’à ce qu’il promulgue une réforme de la Curie qui, dans ses intentions, aurait dû rendre tout plus fonctionnel. Mais ce n’est toujours pas le cas car il n’existe pas de règles transitoires. En fait, certains changements sont de simples amalgames qui n’ont pas une grande utilité pratique car, en fin de compte, il n’y a pas de philosophie sous-jacente.

On parle beaucoup d’Église synodale et d’écoute, on parle moins de la proposition de l’Église. Le résultat est que les dicastères du Vatican sont désorientés et ne comprennent pas si leur tâche est de développer ou de recevoir des thèmes à développer.

C’est une situation qui aura plusieurs effets à long terme.

Le premier est la perte de conscience de l’institutionnalité de l’Église. En passant d’un organisme qui enseigne à un organisme qui écoute, le Saint-Siège ne devient pour beaucoup qu’un passage accessoire. Il n’est ni un point d’arrivée, ni un point de départ. Il n’a pas de philosophie définie.

Si l’institution ne compte pas, alors même le travail effectué dans l’institution peut être superficiel. C’est un risque réel, même s’il semble encore lointain. Mais cela fait partie de l’attitude du Pape.

Un autre thème est que si quelque chose est ancien, il est juste de le changer. Cependant, ce n’est pas exactement ainsi que les choses se passent avec la tradition de l’Église et, surtout, avec sa formule de gouvernement. Certaines initiatives, comme la centralisation financière ou le recours à des sociétés d’audit externes, mettent sérieusement en péril la souveraineté même du Saint-Siège.

Mais si la souveraineté n’est considérée que comme fonctionnelle et non substantielle, il n’est pas crucial qu’elle soit mise en danger. Du moins, pas pour le pape François. Qui, en fin de compte, décide toujours tout seul, et en décidant à sa guise, ne voit pas les problèmes dans leur globalité.

Enfin, il y a le risque d’une Église qui écoute beaucoup, mais qui enseigne peu. C’est le risque de l’Église synodale et de la démocratisation excessive de l’Église.

Ce sont des questions qui pourraient être résolues avec une orientation théologique précise. Mais c’est précisément ce qui manque. Et les effets de ce pontificat seront visibles dans les années à venir.

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