Pour Andrea Gagliarducci, le secrétaire ne recherche pas la confrontation, et Benoît XVI n’a jamais cherché à s’opposer à François (la théorie de Cionci en sort donc plutôt écornée). Les polémiques qui ont émaillé la cohabitation entre les deux papes – et nous n’en saurons probablement jamais plus – sont évoquées, bien sûr du point de vue de l’auteur. Le livre contient quelques inédits précieux, dont les homélies privées de Benoît XVI prononcées au monastère Mater Ecclesiae, à l’usage exclusif de la « famille » pontificale. Une raison, même pour les critiques, de lire le livre.

Analyse : Que lire dans le livre de « révélations » du secrétaire de Benoît XVI ?

Dans le dernier livre de l’archevêque Georg Gänswein, secrétaire personnel du pape Benoît XVI pendant 20 ans, il y a bien plus que de l’amertume d’avoir été fait « préfet réduit de moitié » par le pape François.

En effet, alors que le battage médiatique entourant la publication s’est concentré sur cette situation particulière – la révocation de Gänswein en tant que préfet de la maison papale – et a présenté Gänswein comme étant prêt à chercher la tension, presque à placer un pontificat contre l’autre, le livre offre bien plus que cela.

En fait, son contenu le plus précieux est peut-être constitué par les extraits des homélies que Benoît XVI a prononcées au monastère Mater Ecclesiae, où il a passé les dernières années de sa vie.

Ces homélies constituent probablement l’élément le plus novateur du livre, que Gänswein a écrit avec le journaliste Saverio Gaeta. Intitulé « Nient’altro che la verità. La mia vita accanto a Benedetto XVI », le livre sort en italien le 12 janvier, mais CNA a pu le consulter en avant-première.

Tant que sa voix le lui permettait, Benoît XVI préparait personnellement ses homélies, avec des notes écrites au crayon dans un carnet qui lui servait ensuite de fil conducteur pour ce qu’il allait dire. Il s’agissait d’homélies simples, précises, directes, que les quatre Memores Domini (les laïques consacrées de Communion et Libération) qui servaient de famille à Benoît XVI enregistraient et transcrivaient.

Seules quelques personnes ont pu écouter certaines de ces homélies, car Benoît XVI recevait rarement du monde, aussi le compte rendu de ces homélies est-il un trésor inestimable.

Que peut-on trouver d’autre dans ce livre ? Tout d’abord, bien sûr, il y a la colère et la surprise ouvertes de Gänswein d’avoir été brusquement relevé de son poste de préfet de la maison papale par le pape François, sans aucune explication.

D’autres anticipations évoquaient l’amertume de Benoît XVI en apprenant l’existence de Traditionis custodes, la lettre apostolique du pape François par laquelle il a annulé les décisions de l’ex-pape d’étendre la célébration de l’ancienne messe.

Aussi « juteux » que soient ces détails pour les médias, ils ne constituent certes pas l’élément le plus nouveau du livre.

Sans filtre diplomatique, utilisant le langage direct que ceux qui le connaissent ont l’habitude d’entendre, Gänswein expose diverses situations intéressantes et partiellement inédites. Il s’agit notamment de l’affaire du livre du cardinal Robert Sarah, qui désignait Benoît XVI comme coauteur ; des contacts avec le cardinal Jorge Bergoglio avant et après qu’il soit devenu pape ; de la longue lettre que Benoît XVI a écrite au pape François pour commenter sa première interview accordée à La Civiltà Cattolica en 2013, et d’un nouveau détail sur la façon dont la décision de Benoît XVI de renoncer au pontificat a été prise.

Le livre offre un aperçu de ces histoires, et d’autres, à travers les yeux d’un témoin direct. Il doit être compris comme un mémorial, et non comme un acte d’accusation. Il fournit un compte rendu fidèle des situations et des histoires telles que Gänswein les a vécues.

La renonciation

Dans certains cas, de nouveaux faits sont donnés et des récits connus précédemment sont présentés sous un jour différent. Par exemple, Gänswein explique pourquoi Benoît XVI a placé le pallium sur la tombe de saint Célestin V, le pape qui a renoncé à son pontificat en 1294. Sa tombe se trouve à L’Aquila, dans le centre de l’Italie, où Benoît XVI s’était rendu en 2009 pour visiter les régions touchées par un tremblement de terre.

Le geste de Benoît XVI a été interprété comme l’indication d’une volonté de démissionner qui interviendrait plusieurs années plus tard.

Cependant, ce n’était pas le cas, révèle Gänswein. Il explique que Benoît XVI a voulu faire un acte d’hommage à son prédécesseur. Il a donc placé un pallium, que l’archevêque Piero Marini, à l’époque maître des célébrations liturgiques pour le pape Jean-Paul II, avait fait coudre. Ce pallium tombait inconfortablement sur les épaules de Benoît XVI, qui a donc profité de l’occasion pour lui rendre hommage et en faire don. Cette décision en dit également long sur la manière dont Benoît XVI abordait les problèmes : il cherchait des solutions élégantes sans offenser personne tout en essayant d’unir tout le monde.

Cependant, les détails de la décision de démissionner sont plus dramatiques. Gänswein explique comment Benoît XVI avait déjà commencé à se retirer dans une prière plus profonde après son voyage à Cuba et au Mexique en 2012. Certains indices laissaient penser qu’il envisageait de renoncer, déclenchant quelques questions du cardinal Tarcisio Bertone, alors secrétaire d’État. Mais une telle décision était inconcevable.

Lorsque Benoît XVI prit sa décision, il n’y eut aucun moyen de le faire changer d’avis, rapporte Gänswein. Bertone et Gänswein réussirent seulement à le convaincre de ne pas faire l’annonce lors de ses vœux annuels de Noël à la Curie le 21 décembre 2012, mais de la reporter un peu. Si l’annonce avait été faite ce jour-là, et que le pontificat avait pris fin le 25 janvier, Noël n’aurait pas été célébré, écrit Gänswein.

Dans le récit de Gänswein, Benoît XVI apparaît comme un homme ironique – savant, méthodique et brillant – mais surtout comme un homme de foi.

Naturellement introverti, Benoît XVI se repliait sur lui-même et dans le silence quand des questions importantes se présentaient. Et il priait. Il priait plus intensément. Il priait fort. Il le faisait mû par une foi inébranlable et le besoin de vivre et de comprendre le sens des événements.

Au fur et à mesure que la mort de Jean-Paul II se rapprochait, le cardinal Joseph Ratzinger devenait de plus en plus pensif. Finalement, lorsqu’il devint évident qu’on pensait à lui pour la succession, il faillit se retirer. Mais ensuite, après la prière, après avoir mûri les décisions, Ratzinger était un homme serein, convaincu et déterminé.

Ratzinger était également loyal, proche de ses collaborateurs, attentif à ne léser aucun de ses amis. Benoît XVI recherchait l’harmonie – un fait qui ressort clairement du récit de Gänswein.

L’affaire Sarah

La recherche de l’harmonie est également perceptible dans l’affaire Sarah, ou « l’imbroglio Sarah », comme le définit Gänswein. La référence est le livre du cardinal Sarah, « Du plus profond de nos cœurs », qui incluait également un essai de Benoît XVI. Cet essai était consacré à la question du célibat des prêtres, et l’on pensait qu’il sortirait après la publication de l’exhortation postsynodale Querida Amazonia en février 2020.

Cependant, il est sorti plus tôt, le 15 janvier 2020, car le pape François n’avait approuvé le texte que le 27 décembre 2019, ce qui a donné l’impression que le livre était destiné à influencer les réflexions du pape sur le synode d’Amazonie.

Ce motif n’était pas vrai, écrit Gänswein. Il n’était pas non plus vrai que Benoît XVI avait été informé qu’il apparaîtrait en tant que coauteur.

Gänswein explique la situation en rappelant que Sarah avait demandé à Benoît XVI de signer un communiqué de presse pour défendre l’opération. Gänswein s’y est opposé, Benoît XVI a pris le temps de réfléchir puis a rédigé une déclaration renvoyant la décision à ses supérieurs. Et le pape François a fait savoir qu’il était préférable de ne pas publier.

À ce moment-là, des tweets sont arrivés du compte de Sarah, affirmant que Benoît XVI avait lu et approuvé les projets. Il y a également eu une confrontation dramatique entre Gänswein et le cardinal, au cours de laquelle ce dernier a mis en cause Nicolas Diat, le journaliste qui avait écrit plusieurs livres avec Sarah et qui était décrit comme le « directeur de l’ouvrage. »

Le récit de Gänswein révèle beaucoup de ressentiment face à cette situation. Mais il comprend aussi une longue lettre que Benoît XVI lui-même a envoyée au pape François, publiée presque dans son intégralité, pour expliquer sa position et son rôle dans l’affaire et pour dissiper toute idée possible d’une opposition entre François et le pape émérite.

Benoît XVI, l’interview à La Civiltà Cattolica et les Jésuites

La lettre de Benoît XVI au pape François n’est pas la seule œuvre inédite du pape émérite incluse dans le livre. Le pape François s’est exprimé en 2013 dans la revue jésuite La Civiltà Cattolica et a envoyé à Benoît XVI les notes utilisées pour l’interview, en lui demandant des commentaires. Benoît XVI l’a fait en écrivant une longue lettre au pape, datée du 27 septembre 2013. Dans celle-ci, Benoît XVI insiste sur deux aspects : qu’il faut lutter contre le « déni concret et pratique du Dieu vivant » accompli par l’avortement et l’euthanasie, et être conscient de l’idéologie du genre, définie comme une manipulation.

Mais Benoît XVI et François se sont presque « confrontés » en d’autres occasions. Au début du pontificat de Benoît XVI, certaines situations de la Compagnie de Jésus ont été discutées, et un commissaire a même été envisagé. Le cardinal Bergoglio a soutenu qu’il n’y avait pas besoin d’un commissaire, obtenant la promesse que cette disposition n’aurait jamais lieu.

Gänswein

Globalement, dans son livre, Gänswein ne mâche pas ses mots à propos des situations critiques. Il ne craint pas d’admettre qu’il s’est trompé dans certains cas, mais il n’hésite pas non plus à dénoncer les reconstitutions erronées sur le pape et ses collaborateurs.

De la narration du livre, tout à la première personne, émerge un secrétaire privé travaillant encore pour son supérieur. Chaque situation considérée comme controversée ou mal jugée par la presse est réexpliquée dans les moindres détails.

Gänswein regarde Benoît XVI presque comme un père, avec de la bienveillance pour ce qui semble de la naïveté et l’admiration de quelqu’un qui sait que Benoît XVI est parfaitement capable de poursuivre son travail parce qu’il sait, étudie et s’implique.

Son rôle est d’être « une vitre » – c’est-à-dire transparent, propre et honnête – mais aussi un gardien pour ceux qui veulent s’approcher du pape. C’est ce qu’il a toujours fait et tente de faire dans ce livre.

On pourrait discuter longuement pour savoir s’il était prudent ou non de publier ce livre juste après la mort du pape émérite. Cependant, le message que Gänswein veut faire passer n’est pas celui de la polémique. Gänswein raconte ses années avec Benoît XVI, en se retirant aussi quelques épines du pied, mais sans entrer dans un ton polémique avec qui que ce soit.

Pour l’instant, cette publication a probablement fait plus de mal que de bien à Gänswein, car elle a permis une campagne contre lui et, par conséquent, contre le pontificat de Benoît XVI.

Et pourtant, les pages écrites par le secrétaire personnel du défunt pape émérite semblent sincères, pleines d’écrits inédits et d’histoires inconnues. Ce sont les pages d’un serviteur fidèle et d’un homme élevé à l’école de Benoît XVI, c’est-à-dire habitué à faire de Dieu le centre de tout.

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