Ceux qui ont regardé les images de la translation de la dépouille de Benoît XVI, de sa chapelle privée de Mater Ecclesiae jusqu’à la Basilique Saint-Pierre (où il est entré par une porte latérale!!) se sont peut-être demandés qui étaient ces douze hommes en livrée grise qui portaient « à l’épaule » le corps du Saint-Père, le long de l’interminable allée centrale jusqu’à un catafalque installé devant l’autel gigantesque du Bernin, tandis que s’égrenait, lancinante, la litanie des Saints. Images inoubliables pour moi. On les a revus le jour des obsèques, vêtus de façon plus solennelle, s’arrêtant devant François (qui semblait n’avoir qu’une hâte: s’en aller, au point qu’il n’a même pas daigné honorer de sa présence le rituel de la tumulation, dans les grottes vaticanes) avec leur fardeau sacré.

J’ai essayé de trouver des informations, et je me réfère à wikipedia (en italien), très souvent une ressource irremplaçable. Il s’agit des « sédiaires » (sediari) pontificaux, dont le nom rappelle évidemment la Sedia Gestatoria autrefois utilisée pour transporter le Pape dans les circonstances solennelles, afin que chacun puisse le voir de loin, et qui était justement portée par les sediari. Cette coutume a été abolie par Jean Paul II.

Wikipedia nous apprend qu’il s’agit d’une survivance de la plus ancienne des confréries romaines, créée en 1378

Les anciennes gravures représentant les processions papales montrent les sediari portant le Pape sur leurs épaules sur la Sedia gestatoria suivis ou précédés par les écuyers, appelés palefreniers pontificaux, avec lesquels ils partageaient non seulement la tenue mais aussi les services. Avec l’abolition des écuyers pontificaux, les palefreniers et les sediari ont fusionné en un seul collège, le nom commun de ce dernier prévalant.

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En 1968, avec la réforme contenue dans la lettre apostolique Pontificalis Domus, promulguée par le pape Paul VI, la Cour pontificale séculaire a été supprimée et les procédures de nomination des sediari ont également été simplifiées ; en effet, ils font désormais partie de l’antichambre par une note de nomination du préfet de la maison pontificale, par procuration du pontife. Auparavant, la nomination était notifiée par le majordome de Sa Sainteté après un visa de la Secrétairerie d’État. La nomination des sediari, une fois reçue, est à vie. Toutefois, un contrôle de sécurité approfondi est effectué avant la nomination, comme c’est le cas pour tous les autres dignitaires et accompagnateurs travaillant en contact direct avec la personne du pape.

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L’uniforme actuel des sediari, entré en vigueur en 1972, consiste en une veste grise unie, longue jusqu’aux genoux, avec un pantalon assorti, et un gilet gris perle, des gants blancs et un nœud papillon blanc. Sur la chemise blanche est porté un « collier » distinctif en argent représentant la tiare papale avec des clés décussées, sur lesquelles sont gravés les mots « Anticamera Pontificia », maintenu au centre de la poitrine par quatre chaînes en argent. Ce col est similaire à celui porté par d’autres dignitaires laïcs qui servent le pontife à divers titres dans son antichambre, tels que les assistants et les gentilshommes.

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Le Doyen de salle de l’antichambre pontificale et le sous-doyen, contrairement à leurs collègues, portent un queue de pie noir fileté de blanc. Le collier, au lieu d’être en argent, est en or.

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https://it.wikipedia.org/wiki/Sediari_pontifici

Après ma recherche, je me suis souvenue que j’avais acheté à Rome il y a quelques années un beau livre bien illustré, écrit par l’un de ces sediari, Massimo Sansolini, et publié par la Libreria editrice vaticana sous le titre: Io, sediario Pontificio (« Moi, sédiaire pontifical »), sous-titré Les obsèques de Jean-Paul II: « je l’ai porté dans mon coeur »

Le sediario y racontait en termes très émouvants, la translation de la dépouille mortelle de Jean-Paul II, des appartements pontificaux jusqu’à la Basilique Saint-Pierre, puis la messe de funérailles (incomparablement plus solennelle que ce qui s’est passé avec Benoît, mais c’était la volonté expresse de François que chacun sache, urbi et orbi, qu’on n’enterrait pas LE Pape, bien vivant, lui!), les difficultés techniques inévitables, et le sentiment d’immense responsabilité qui pesait sur les épaules – c’est le cas de le dire – de ses onze confrères.

Le livre avait été honoré de la préface du cardinal Comastri, archiprêtre de la Basilique St Pierre de 2005 à 2021 . On peut imaginer les sentiments qui, en ces circonstances aussi, animaient les cœurs de ces hommes.

Le monde entier s’arrête pour un jour. Sa Sainteté Jean Paul II est retourné auprès du Seigneur. Par le biais des médias, les habitants de la terre assistent aux funérailles du pasteur universel. Des centaines d’objectifs de télévision, des milliers d’objectifs photographiques sont braqués sur l’événement, des journalistes du monde entier en rendent compte. Un monde statique et virtuel. Tout le monde regarde stupéfait, immobile. Seuls douze hommes font l’expérience singulière de porter la dépouille sur leurs épaules. L’un d’entre eux parvient à donner une chronique unique. Personne ne peut imaginer combien son moi intérieur partage ce moment inexprimable. Il le vit pas à pas, instant après instant, et revit à chaque instant les émotions de Son pontificat.

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Massimo Sansolino
Io, sediario ponjtificio, présentation de l’éditeur.

L’écrivain Cesare Pavese nous a laissé une observation aiguë : « On ne se souvient pas des jours, mais on se souvient des moments ».
En lisant les pages de ce « journal » unique de Massimo Sansolini, on a l’impression de revivre les moments intenses de sa vie aux côtés de Jean-Paul II et de Benoît XVI.
La description minutieuse du transfert de la dépouille de Jean-Paul II du Palais apostolique à la Basilique vaticane est comme une mosaïque de minuscules tesselles ou, si vous préférez, de respirations qui donnent l’impression d’être immergé dans l’événement et de le revivre avec l’auteur.
Le philosophe Arthur Schopenhauer observait : « Le souvenir agit comme la lentille convergente de la chambre obscure : il concentre tout, et l’image qui en résulte est bien plus belle que l’original ».
Ce n’est certainement pas le cas pour les faits que Massimo Sansolini relate. Cependant, sa passion intense, sa sensibilité singilère et la clarté de son âme parviennent à peindre admirablement les souvenirs, nous faisant revivre les émotions intenses qu’il a vécues.
La marche lente et grave des Sediari vers la basilique Saint-Pierre, portant sur leurs épaules « le poids de notre pape vêtu des habits pontificaux, inerte et éloquent », est décrite avec une telle richesse de détails qu’elle nous donne l’impression de sentir le poids sur nos épaules en même temps que le battement acceléré de notre cœur.
C’est un signe de grand amour, de foi intense et de dévotion sincère envers le Pontife Romain, qui fait honneur à l’auteur et à la « famille des sediari  pontificaux ».

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Cardinal Angelo Comastri

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