De quoi s’occupent les modernes scribes et docteurs de la Loi, alors que moins d’un mois s’est écoulé depuis la mort de Benoît XVI?
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De trois choses: 1° La renonciation est-elle valide? 2° Pourquoi avoir introduit ce « monstre théologique » que constitue la papauté émérite? 3° Benoît XVI était-il non pas le conservateur décrit par les médias mais un progressiste non repenti, à l’origine de toutes les dérives de Vatican II?
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Questions liées, prévisibles quand elles sont instrumentalisées par ses ennemis de toujours (dans les rangs « tradis » en particulier), moins opportunes quand elles viennent de personnes de bonne foi qui éprouvent sympathie et affection pour Benoît XVI. Questions qu’il est peut-être légitime de se poser, mais que je trouve révélatrices d’une certaine mesquinerie et prématurées en ce moment de deuil (mais « qui suis-je pour juger? »… je n’ai aucune compétence pour trancher).
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En ce qui concerne la première, disons que pour le catholique « de bout de banc », comme moi, la distinction entre munus et ministerium (les mots de la declaratio du 11 février 2013, prononcés par le Pape en latin, alors que les langues vernaculaires ne font pas la distinction, et qui seraient la clé de la validité / non-validité de la renonciation) est quelque peu absconse, une subtilité de « docteurs de la Loi » qui le dépasse et qui ne le concerne pas.
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Pour la seconde question, il se trouve que Benoît XVI lui-même y avait répondu, et surtout témoigné son agacement face aux critiques émanant de ses « amis ». En témoigne cet échange de lettres avec le cardinal Brandmüller, en 2017, après que celui-ci, l’un des auteurs des fameux dubia, ait accordé une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung, journal notoirement « liberal » et opposé au Saint-Père, dans laquelle il critiquait âprement la décision de celui qui était encore émérite. Benoît XVI exprimait clairement son amertume, du fait que les critiques (qu’il pouvait comprendre) avaient évolué en colère qui s’étendait aussi à sa personne et à l’ensemble de son pontificat.

L’échange m’est (re-)tombé sous les yeux en « feuilletant » mon site (cf. benoit-et-moi.fr/2019/benot-xvi/les-deux-lettres-de-benoit-xvi, avec des explications, et des liens vers les circonstance de la publication de ces lettres), et c’est un témoignage direct (donc pas des rumeurs) de première importance, mais que tout le monde semble avoir oublié. A noter, Benoît XVI donne sa « bénédiction apostolique » au cardinal Brandmüller (en principe une prérogative réservée au seul pape), une particularité qui risque de rajouter de l’huile sur le feu.

LETTRE DE BENOÎT XVI DU 9 NOVEMBRE 2017 AU CARDINAL WALTER BRANDMÜLLER

Éminence,
Dans votre récente interview avec le FAZ [Frankfurter Allgemeine Zeitung], vous dites que j’ai créé, avec la construction du pape émérite, une figure qui n’existe pas dans toute l’histoire de l’Église. Bien sûr, vous savez très bien que les papes se sont retirés, quoique très rarement. Qu’étaient-ils après? Pape émérite ? Ou quoi d’autre?
Comme vous le savez, Pie XII a laissé des instructions au cas où il aurait été capturé par les nazis : qu’à partir du moment de sa capture il ne serait plus pape mais cardinal. Si ce simple retour au cardinalat avait été possible, nous ne le savons pas. Dans mon cas, cela n’aurait certainement pas eu de sens de simplement réclamer un retour au cardinalat. J’aurais alors été constamment exposé au public comme l’est un cardinal – et même encore plus, parce que dans ce cardinal on aurait vu l’ex-pape. Cela aurait pu entraîner, intentionnellement ou non, des conséquences difficiles, en particulier dans le contexte de la situation actuelle. Avec le Pape émérite, j’ai essayé de créer une situation dans laquelle je suis absolument inaccessible aux médias et dans laquelle il est très clair qu’il n’y a qu’un seul Pape. Si vous connaissez un meilleur moyen et donc si vous pensez pouvoir condamner ce que j’ai choisi, je vous prie de m’en parler.

Je vous salue dans le Seigneur
Votre
Benoît XVI

LETTRE DE BENOÎT XVI DU 17 NOVEMBRE 2017 AU CARDINAL WALTER BRANDMÜLLER

Éminence,
De votre aimable lettre du 15 novembre, je suppose que je peux conclure qu’à l’avenir, vous ne ferez plus de commentaires publics sur la question de ma démission, et je vous en remercie.
La douleur profonde que la fin de mon pontificat a causée en vous, comme en beaucoup d’autres, je peux très bien la comprendre. Mais la douleur, chez certains – et il me semble aussi en vous – s’est transformée en colère, qui ne concerne plus seulement la renonciation, mais s’étend de plus en plus à ma personne et mon pontificat dans son ensemble. De cette façon, un pontificat est dévalué et dissous dans la tristesse pour la situation actuelle de l’Église. De cette fusion émerge graduellement un nouveau type d’agitation, pour lequel le petit livre de Fabrizio Grasso, « La Rinuncia » (Algra Editore, Viagrande / Catania 2017) pourrait devenir emblématique.
Tout cela me remplit d’inquiétude et, précisément pour cette raison, la fin de votre interview avec la FAZ m’a laissé très troublé parce qu’en fin de compte, elle ne peut que promouvoir le même type d’atmosphère.
Prions, comme vous l’avez fait à la fin de votre lettre, pour que le Seigneur vienne en aide à son Église.
Avec ma bénédiction apostolique, je suis

Votre
Benoît XVI

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