La session annuelle du Forum économique mondial (WEF) s’est tenu du 16 au 23 janvier 2023 dans la très chic station de ski suisse, enveloppé d’un black-out médiatique « stratégique » d’un côté, et d’une sulfureuse auréole de mystère de l’autre. Cette année, il y avait peu de leaders politiques, mais une présence massive des médias, soulignant ainsi l’importance de leur mission qui est de « soutenir d’une seule voix le grand récit porté par le WEF ». Car selon le fondateur Klaus Schwab « nos actions et réactions humaines […] sont déterminées par des émotions et des sentiments : les récits déterminent notre comportement ».
Premier volet d’une analyse en deux parties publiée récemment sur la NBQ, qui invite avec finesse à ne pas se contenter d’analyses simplistes pour un phénomène aussi complexe que la mondialisation (à ne pas confondre avec le mondialisme – une distinction qui est faite dans la grande encyclique sociale de Benoît XVI « Deus Caritas es »)

L’initiative « Great Reset » attribue un rôle central à la narration: compte tenu des coûts et des limitations à la vie privée et à la liberté pour la restructuration complète du système économique, social et politique qui doit être mise en œuvre, il est crucial de convaincre de la nécessité et de l’urgence de l’initiative, afin de sauver la planète et de créer un avenir meilleur

*

Klaus Schwab, Thierry Malleret, « The Great Narrative, For a Better Future »

« La leçon de Davos : c’est la narration qui dirige le changement

Au Forum de janvier, moins de dirigeants politiques et une présence médiatique mondiale massive : l’objectif de restreindre la liberté et la vie privée exige un récit des événements capable de convaincre les gens de la nécessité et de l’urgence d’agir pour créer un avenir meilleur. Première étape pour résister : ne pas confondre la mondialisation économique (bonne) avec le mondialisme idéologique (mauvais).

Maurizio Milano
lanuovabq.it/it/la-lezione-di-davos-e-la-narrazione-che-guida-il-cambiamento
1er février 2023

« La Coopération dans un monde fragmenté : faire face aux crises pressantes, gérer les défis de l’avenir » : tel était le thème de la conférence internationale qui s’est tenue dans la semaine du 16 au 20 janvier 2023 à Davos, dans les Alpes suisses, de nouveau à plein régime après les éditions en format réduit et en ligne à cause de l’épidémie du Covid-19. Le Forum économique mondial annuel a rassemblé près de 3 000 « leaders mondiaux », dont 50 chefs d’État, plus de 350 chefs de gouvernement, 19 banquiers centraux, 1 500 chefs d’entreprise, dont quelque 600 PDG des plus grandes sociétés du monde, et les dirigeants des principales agences de presse.

De quoi les « grands » de la terre ont-ils discuté ?

« Altesses royales, Excellences, distingués chefs d’État et de gouvernement, chers partenaires et amis du Forum économique mondial […] En ce début d’année, nous sommes confrontés à des défis multiples et sans précédent […]. poussant vers une fragmentation et une concurrence croissantes […] Nous avons la capacité de créer, de manière collaborative, un monde plus pacifique, résilient, inclusif et durable […], de transformer les défis en opportunités ».

Ainsi commence, avec une solennité satisfaite, le discours d’ouverture du Forum 2023 (qui s’est tenu du 16 au 20 janvier) prononcé par le professeur Klaus Schwab, fondateur et directeur exécutif du Forum économique mondial.

C’est depuis le lointain 1971 que les puissants de ce monde, tant du secteur privé que du secteur public, se réunissent à Davos. La mission du WEF est d’être « l’organisation internationale pour la coopération public-privé […] qui engage les principaux dirigeants, politiques, économiques, culturels et autres, à façonner les agendas mondiaux, régionaux et sectoriels ».
L’édition de cette année montre une présence plus faible que d’habitude des dirigeants politiques : Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, est présente, mais il manque les présidents américain et chinois, Joe Biden et Xi Jinping, ainsi que le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, qui n’était évidemment pas invité. Parmi les premiers ministres des pays du G7, seul le chancelier allemand Olaf Scholz est présent.

A souligner, en revanche, une présence massive des médias mondiaux, dont le rôle est de soutenir d’une seule voix le grand récit porté par le WEF. En effet, comme l’affirme Schwab, « nos actions et réactions humaines […] sont déterminées par des émotions et des sentiments : les récits déterminent notre comportement » (cf. Klaus Schwab, Thierry Malleret, « COVID-19 : The Great Reset », Forum Publishing 2020).

Outre la gestion politique des flux d’investissement et des réglementations, l’initiative « Great Reset » attribue un rôle central à la narration: compte tenu des coûts et des limitations à la vie privée et à la liberté pour la restructuration complète du système économique, social et politique qui doit être mise en œuvre, il est en effet crucial de convaincre de la nécessité et de l’urgence de l’initiative, afin de sauver la planète et de créer un avenir meilleur (cf. Klaus Schwab, Thierry Malleret, « The Great Narrative, For a Better Future », Forum Publishing, 2021).

En ce qui concerne le Forum de Davos, je crois qu’il faut éviter deux attitudes spéculaires : d’une part, croire que tout y est décidé et qu’il n’y a donc pas de place pour l’action ; d’autre part, penser qu’il s’agit juste d’une « semaine blanche » de VIP, pour se distraire un peu. La première attitude conduirait à la résignation, au pessimisme et au désengagement, avec le risque même de glisser vers des dérives « complotistes » ; la seconde conduirait à ignorer ce qui est dit dans un tel contexte, en le considérant comme sans grande importance. En réalité, et l’expérience de ces dernières années nous l’a appris ad abundantiam, de nombreuses décisions planifiées et mises en œuvre ultérieurement par les gouvernements ont été anticipées précisément à Davos : de l’identité numérique aux uniformes numériques des banques centrales, des métriques ESG (Envinronmental, Social, Gouvernance) à la base de la finance dite durable, aux politiques de santé verrouillées, au chantage aux vaccins et à la certification « verte ».

Dans le même temps, toutefois, nombre des événements qui se sont produits par la suite n’avaient pas du tout été prévus par le WEF, notamment le déclenchement d’une guerre conventionnelle de haute intensité au cœur de l’Europe et l’explosion de l’inflation. C’est précisément le conflit en Ukraine qui a été l’un des points centraux du forum, avec en toile de fond le risque d’une possible détérioration des relations également entre la Chine et Taïwan et d’une fragmentation supplémentaire subséquente au niveau géopolitique.

Cela pourrait entraîner un nouveau recul de ce que l’on appelle la « mondialisation économique », ce processus de forte croissance des échanges commerciaux et financiers qui s’est intensifié de manière exponentielle depuis la fin de la guerre froide et qui a conduit à une amélioration constante des conditions de vie, notamment dans les pays en développement.
À cet égard, il convient de souligner que le mythe de la croissance en tant que jeu à somme nulle, comme le soutient l’étude réalisée par l’organisation non gouvernementale Oxfam à l’occasion du WEF, selon lequel si les riches augmentent, les pauvres augmentent inévitablement aussi, est démenti par les données.

Jusqu’à l’apparition de la soi-disant pandémie, en effet, les riches augmentaient mais, dans le même temps, le nombre de pauvres diminuait, précisément en raison du libre-échange et de la reconnaissance de la propriété privée, avec une amélioration des conditions de vie de la population mondiale, à commencer par les plus pauvres.
Une tendance qui s’est malheureusement arrêtée ces dernières années, tant à cause de la gestion scélérate des lockdowns qui ont conduit à une fragmentation des chaînes de production et de distribution, qu’à cause des erreurs liées au sous-investissement dans les combustibles fossiles qui ont créé des pénuries d’énergie, et qu’à cause des politiques monétaires et fiscales ultra-expansives des cinq dernières décennies : un mélange mortifère à l’origine de l’inflation, celle-ci au détriment surtout des pauvres et de la classe moyenne, des petits épargnants et des personnes à revenus fixes.

S’il est juste, voire opportun, de critiquer l’idéologie mondialiste du WEF, qui prône une gouvernance mondiale politique, dans une perspective de mondialisation idéologique et de « capitalisme de connivence », il serait naïf de se réjouir d’une diminution de la mondialisation économique, c’est-à-dire des échanges commerciaux et financiers entre les nations, car cela entraînerait une hausse des prix, minerait la croissance et exacerberait les rivalités géopolitiques. En ce sens, la critique populiste du « marché », ou des « riches » uniquement en tant que riches, motivée par la jalousie sociale, se trompe de cible : le problème se pose plutôt lorsque les riches et les puissants s’allient au pouvoir politique pour restreindre la propriété privée, la vie privée et la liberté économique du reste de la population. Comme cela se passe à Davos.

Il est donc nécessaire de critiquer le néo-corporatisme promu par Schwab, mais il faut le faire intelligemment ; sinon, en rejoignant le chœur des détracteurs du soi-disant libéralisme ou néo-libéralisme, on apporterait paradoxalement de l’eau au moulin des mondialistes, qui considèrent le marché, la propriété privée, la liberté économique et la démocratie avec suspicion.

A suivre

Share This