Ce sont celles qu’il a écrites et prononcées lors de messes célébrées pour le tout petit cercle de la « famille pontificale » après sa renonciation au pontificat, d’abord à Castel Gandolfo, puis dans la chapelle de Mater Ecclesiae. Les Memores les ont transcrites, et Mgr Gänswein en cite des extraits dans son livre Nient’altro che la verità (on peut supposer que leur intégralité fera l’objet ultérieurement d’une publication à part). Dans la grande simplicité de l’expression, elles sont le vrai joyau contenu dans le livre prétendument polémique du secrétaire de Benoît XVI

« Le premier don de Dieu est la vie » : les homélies inédites du pape émérite

www.ilsussidiario.net
Vincenzo Sansonetti
8 février 2023

Disponible en librairie depuis quelques semaines, après avoir été précédé d’anticipations inopportunes qui en ont dénaturé les caractéristiques en se concentrant uniquement sur certains de ses contenus les plus polémiques et non sur d’autres, le livre de mémoires de Mgr Georg Gänswein Nient’altro che la Verità. La mia vita al fianco di Benedetto XVI, dans ses plus de 300 pages, nous présente un portrait – comme l’a écrit l’auteur – d’ « un homme doux, un fin lettré, un cardinal et un pape qui a marqué l’histoire de notre temps ». Proche collaborateur, mais aussi conseiller [?] et confident de Ratzinger pendant près de deux décennies, don Georg nous offre une vaste reconstruction d’une période difficile pour l’Église. . Mais il nous fait également découvrir des aspects peu connus de la vie du pape allemand, notamment ses homélies dominicales – inédites – prononcées lors de messes célébrées pour quelques intimes dans les premières années de son pontificat émérite : un trésor de réflexions précieuses, une aide pour vivre la foi de manière mûre et consciente.

« Apprenez une foi joyeuse, apprenez que vivre vraiment avec le Père, vivre selon la parole de Dieu, c’est la vraie félicité et l’abondance de la vie ». Propos de Benoît XVI le 10 mars 2013, dans l’une de ses premières homélies dominicales « privées » prononcées à Castel Gandolfo, dans la chapelle du Palais apostolique, pendant la période qu’il a passée éloigné de Rome après sa démission. Don Georg souligne dans ses mémoires que ces sermons étaient généralement de courte durée et qu’ils étaient centrés, « avec des mots très sentis, sur les aspects les plus essentiels de la foi ». Le 17 mars 2013, le pape émérite explique ce qu’est la conversion : pas simplement « un acte autonome du sujet » mais « une rencontre », qui ensuite « implique naturellement mon activité : je suis conquis pour conquérir ». Le 21 avril 2013, il s’attarde sur la mission universelle de l’Église : « Dieu trouve les hommes dans toutes les parties du monde et de l’histoire. C’est ainsi que transparaît la réalité de l’Église : sur le globe, elle apparaît toujours pauvre et simple mais, si nous voyons le monde dans sa totalité, nous voyons une famille qui dépasse toutes les frontières ».

Toujours à Castel Gandolfo, le 28 avril 2013, il souligne que le « don fondamental » fait par Dieu à l’homme est la création : « Le premier don de Dieu est la vie, et nous devons prendre acte de cette réalité ». Une fois terminée la rénovation du monastère Mater Ecclesiae, où il avait exprimé le désir de résider, il est rentré au Vatican le 2 mai, où il a poursuivi sa catéchèse familiale. Adressée précisément, comme l’écrit Mgr Gänswein, « à notre petite famille », c’est-à-dire à lui-même, aux Memores et à ses plus proches collaborateurs (« parfois son frère Georg était aussi présent et, beaucoup plus rarement, quelques invités »). L’atmosphère est vraiment intime et chaleureuse, à tel point que Benoît XVI introduit toujours ses homélies par un affectueux « chers amis », comme s’il s’agissait de « la dilatation des conversations spirituelles qui avaient également lieu dans la normalité de la journée domestique, à table ou pendant les promenades » dans les jardins du Vatican. Ce sont les Memores qui ont « enregistré et transcrit avec amour » les sermons dominicaux du pape émérite, cités dans le livre de Gänswein.

Les jours de fête où l’on commémorait des saints importants, il lui arrivait de proposer, au début de la célébration eucharistique, « un bref rappel de leurs figures , car « les meilleurs interprètes de l’Évangile ne sont pas les exégètes, soulignait-il, mais ceux qui sont devenus saints, avec le témoignage de leur vie ».

Les réflexions de Benoît XVI dans la chapelle de Mater Ecclesiae ont commencé à s’étendre « de la sphère catéchétique à la dimension plus large de l’actualité, offrant également des jugements précis sur les événements de notre présent ». Dans sa toute première homélie au monastère (12 mai 2013), le pape émérite dénonce « la persécution la plus subtile du christianisme, c’est-à-dire sa marginalisation intellectuelle, avec la création d’une culture anti-chrétienne ». Un concept qu’il reprendra – plus d’un an plus tard – dans son homélie du 10 août 2014, en affirmant qu’il existe deux menaces contre l’Église :  » les vents des idéologies, qui veulent détruire notre cosmos, et les vagues des pouvoirs politiques et militaires, qui sont la persécution et la destruction de la foi « .

Les jugements clairs et sans équivoque sur l’effacement de l’humain par la culture dominante ne manquent pas. Ainsi, il stigmatise en toutes lettres les lois sur l’avortement, le suicide assisté et le mariage homosexuel. Dans son homélie du 22 septembre 2013, il déclare que ces lois « disent toutes les trois que je m’approprie la vie, je peux la détruire, elle est ma propriété » et qu’enme les appropriant, je manifeste ma souveraineté, mon autonomie. Mais, poursuit-il, « si nous regardons plus profondément, nous devons dire que cette triade implique aussi un non au futur: avortement, nous ne voulons pas avoir d’enfants ; suicide ; mariage homosexuel, nécessairement sans enfants ».

Face à ce scénario inquiétant, quelle est l’attitude à adopter face à la crise ? Montrer « la puissance de la croix du Christ, pour défendre la vie contre les forces de destruction » (9 février 2014). Sinon, le christianisme sera réduit à « une conformité au monde, sans le courage de la passion pour la vérité ». Un christianisme qui semble moderne, en phase avec son temps, mais qui en réalité est insipide et dépourvu de toute force de vérité ».

Commentant le 17 novembre 2013 le « discours eschatologique » du passage de l’Évangile de Luc 21, dans lequel Jésus annonce la destruction et la persécution, le pape émérite observe que dans les paroles du Sauveur « il y a une surprise ». En effet, « l’élément fondamental de la philosophie moderne de l’histoire, qui a le ‘progrès’ comme concept central, n’apparaît pas ». Ratzinger précise : « Selon cette vision, l’histoire est ascendante : il y a des aberrations, de petites rechutes, mais tout compte fait, à la fin, on arrive à la société fraternelle et juste, à un monde meilleur, à une sorte de paradis terrestre ». Est-ce cela que le Christ annonce ? Non. Car « Jésus parle plutôt de catastrophes naturelles, de violence croissante, de guerres et d’anarchie, de persécutions et d’un refroidissement de la foi, indiquant fondamentalement que l’histoire humaine reste la même jusqu’à la fin ». Quelques mois plus tard, le 25 mai 2014, s’interrogeant sur les raisons de la  » victoire  » inattendue du christianisme dans la confrontation avec les religions de l’Antiquité, Benoît XVI indique une voie à suivre.

Le principal facteur d’affirmation de la foi chrétienne dans l’histoire est le témoignage. Ce qui s’est passé, c’est que « dans un monde où la corruption, la violence, l’immoralité et l’absence d’un engagement commun envers le bien étaient normaux, les chrétiens ont vécu dans la droiture, l’intégrité, la bonté, la souffrance mais sans faire le mal ». Et quel était le résultat du témoignage, même jusqu’au martyre ? Une telle existence « était un signe si radical et si évident qu’il était convaincant, car une telle vie ne peut pas être expliquée par la pure force humaine, mais montre vraiment que c’est Dieu qui donne cette vie ». Et il concluait : « Le témoignage chrétien est décisif pour la victoire du christianisme, même dans le futur ».

Ce « futur » prédit il y a presque neuf ans, c’est aujourd’hui.

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