En ce moment, au moins en Italie, il y a une activité éditoriale intense autour de Benoît XVI, et il faut s’en réjouir. En particulier la Librairie Editrice Vaticane (mais pas seulement) fait fructifier son double héritage (matériel, et surtout spirituel) en publiant des textes choisis. C’est le cas de ce dernier livre, intitulé « Con Dei, non sei mai solo » (avec Dieu, tu n’es jamais seul) et qui rassemble « les dix grands discours du pontificat  » (*) Dans ce contexte, le Père Lombardi, qui fut le directeur de la Salle de presse du Vatican durant la presque totalité du Pontificat (et à ce titre considéré comme le porte-parole du Pape, ce qu’il n’était pas exactement) a fort à faire puisqu’il est généralement sollicité pour préfacer les livres, ce qu’il fait ici aussi. Voici sa dernière interview. Le temps n’est pas aux polémiques, et il parvient à être émouvant (spécialement dans la dernière réplique).

(*) On ne sait pas quels sont les textes sélectionnés ici, l’éditeur les présente ainsi:
« De sa première homélie, à peine devenu pape, à sa dernière audience publique, ces discours révèlent la profondeur de sa réflexion théologique dans un langage simple qui a nourri la foi de millions de personnes. Le traitement des différents thèmes, toujours d’actualité – le rapport entre raison et foi, le rôle de l’éthique en politique, le cri de douleur répercuté à Auschwitz, la reconnaissance pénitentielle des péchés par les membres de l’Église… – surprend [???] par sa lucidité et sa sagesse. »

Interview du Père Lombardi SJ


In Terris

Père, le livre « Avec Dieu, tu n’es jamais seul » rassemble les dix grands discours du pontificat de Benoît XVI. Quel est, à votre avis, leur trait commun d’un point de vue théologique et humain ?

Benoît XVI est un théologien qui vit avec son temps. Le Concile Vatican II a eu une place très importante dans son expérience et il croit que le fruit du Concile est d’aider à reformuler la mission de l’Eglise par rapport à la situation du monde et de la culture aujourd’hui. Mais il est aussi un théologien qui se sent profondément enraciné dans la communauté de l’Église et dans son histoire vivante ; donc en continuité avec la foi de ceux qui l’ont précédé : pasteurs, théologiens, saints, fidèles. Il a étudié les Pères de l’Église du premier millénaire, en particulier le plus grand d’entre eux, saint Augustin ; il a étudié les grands théologiens du Moyen-Âge, par exemple saint Bonaventure ; il a étudié en profondeur les théologiens modernes et – grâce aussi au Concile – il a été en contact personnel avec beaucoup des théologiens contemporains les plus significatifs. Cette vaste richesse culturelle se reflète dans ses écrits, son magistère pontifical et ses discours. Parmi ceux-ci, ceux qui s’efforcent de jeter les bases d’un dialogue possible entre la foi et la culture moderne sur la base de la raison humaine sont particulièrement significatifs, tout comme ceux qui prônent la contribution de la foi et de la communauté des croyants à la vie d’une société qui respecte la dignité de la personne humaine.

Quel devrait être, selon la pensée de Benoît XVI, le rôle de l’éthique en politique ?

Pour ne pas donner une réponse trop générale à cette question, qui touche d’innombrables sujets, je ferais deux suggestions. La première est de revenir au Catéchisme de l’Église catholique. Il s’agit d’un grand ouvrage de présentation systématique et ordonnée de l’enseignement catholique, qui couvre également les principaux domaines de la vie dans la société actuelle (famille, justice sociale, vie, paix, communication, etc.) Il ne s’agit pas d’un livre écrit par le cardinal Ratzinger, mais sous sa direction, il reflète donc certainement sa pensée. La seconde est de relire sa seule encyclique « sociale », Caritas in veritate, écrite pour rappeler et actualiser la plus célèbre encyclique sociale de Paul VI, Populorum progressio. Nous verrons comment Benoît XVI présente la perspective chrétienne sur les plus grands problèmes du développement humain de notre époque – tels que la domination de la technologie, la mondialisation de l’économie – et met lucidement en garde contre les risques très graves d’un développement qui ne serait pas guidé par l’éthique : « Le pouvoir technologique et économique doit absolument être limité afin de rester orienté vers le bien commun et la dignité de la personne humaine ».

Quel enseignement Benoît XVI nous a-t-il laissé concernant le rapport entre la raison et la foi ?

Toute la pensée de Joseph Ratzinger et son magistère de pape se nourrissent ensemble de la foi et de l’exercice de la raison. Il est absolument convaincu que la foi et la raison sont les deux ailes qui permettent à l’homme de s’élever et de voler. Elles ne doivent en aucun cas être considérées ou opposées l’une à l’autre, mais doivent rester en dialogue fructueux l’une avec l’autre. La raison, si elle exclut la foi, reste fermée sur elle-même et perd des dimensions essentielles de la vie humaine : l’amour, la transcendance… La foi, si elle exclut la raison, tombe dans le fanatisme, la superstition, l’irrationalité. Tous les grands discours de Benoît XVI, d’une manière ou d’une autre, sont des appels à la culture de notre temps pour qu’elle reste ouverte à la contribution que la foi peut et doit apporter pour le bien de l’homme et de la société, afin que notre monde ne devienne pas un désert pour l’esprit ou ne soit pas dominé par des formes explicites ou subtiles de totalitarisme. La raison dont nous parle Benoît XVI est une « raison ouverte », qui continue à s’exercer non seulement dans les mathématiques, dans les sciences positives, dans le calcul économique, mais aussi dans la philosophie, dans les arts, dans la théologie, en posant les grandes questions sur Dieu et sur le sens de la vie et de l’histoire ».

Quand avez-vous appris la démission de Benoît XVI ? Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?

« Pour moi, la décision de la démission de Benoît XVI n’a pas été une surprise très grande ou un choc. Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, le pape Benoît avait dit et écrit publiquement depuis longtemps que la démission d’un pape était justifiée – et dans certains cas nécessaire – s’il voyait clairement que ses forces n’étaient plus proportionnées pour assumer sa responsabilité devant l’Eglise, et donc devant Dieu, qui lui avait confié cette responsabilité. Je ne savais pas si et quand il arriverait à cette décision, mais en travaillant près de lui, je me suis rendu compte qu’il était bien conscient de la diminution de ses forces.

Quand j’ai entendu sa déclaration de renonciation, elle m’a semblé parfaitement claire et tout à fait raisonnable, et je l’ai beaucoup admirée, car c’était une preuve d’humilité et de très grand courage, étant donné qu’il était le premier à prendre cette décision. Il était clair qu’il vivait sa tâche de pape non pas comme un pouvoir à conserver, mais comme un service à accomplir tant qu’il en avait la force, et à laisser à d’autres le moment venu. Même aujourd’hui, après l’expérience des dix années qui ont suivi sa démission, je considère que la clarté avec laquelle le pape Benoît a vu que le moment approprié était venu est extraordinaire. Il est en effet évident que, plus tard, il ne serait plus en mesure de gouverner l’Église universelle avec la force et le dynamisme qui auraient été nécessaires ».

En repensant au pontificat de Benoît XVI et à sa figure, d’un point de vue humain et religieux, quels sont les moments dont vous vous souvenez ?

Bien sûr, je me souviens de beaucoup de choses. J’en choisirai deux, liés à la première et à la dernière Journée mondiale de la jeunesse à laquelle il a participé en tant que pape. Le premier est l’image de son arrivée à Cologne sur un grand bateau naviguant sur le Rhin. Il se tenait sur l’espace de la proue, entouré de nombreux jeunes, filles et garçons de nombreux pays, dans une atmosphère de grande fête, avec en toile de fond les très hautes tours de la cathédrale, lancé vers le ciel et vers Dieu. Nous étions au début du pontificat. C’était un moment magnifique et plein d’espoir, comme devrait l’être tout début d’une grande entreprise spirituelle. La seconde fut la veillée sur l’esplanade de l’aéroport de Cuatro vientos à Madrid, avec un million de jeunes, dans l’obscurité de la nuit, alors qu’une terrible tempête de vent et de pluie se déchaînait, coupant les systèmes d’éclairage et de sonorisation, générant une atmosphère de grande inquiétude. Le pape est resté immobile sous un parapluie, attendant patiemment dans la tempête, et tout le monde a suivi son exemple. Puis la pluie et le vent ont cessé et un grand calme s’est installé. Le Saint-Sacrement a été apporté sur la scène, dans l’ostensoir extraordinaire de la cathédrale de Tolède. Le Pape s’agenouille en adoration silencieuse et avec lui toute l’immense assemblée dans un silence absolu et intense. Des moments inoubliables. Ils sont restés pour moi comme une « parabole » du pontificat et, dans un certain sens, de toute la vie de l’Église. Il y a eu et il y aura des moments difficiles, mais après les avoir supportés avec patience, humilité et courage, si la communauté, avec son pasteur, se met en prière devant le Seigneur, la paix vient ».

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