Manifestement, Giuseppe Nardi ne partage pas la désinvolture ironique de « The Wanderer » (Nouveau coup du Pape contre la liturgie traditionnelle: much ado about nothing), qui voit dans la publication du fameux rescrit » un non-évènement, une façon pour le Pape de botter en touche sur un sujet qui lui est totalement indiffèrent (la liturgie), en plus d’être un camouflet pour le préfet Roche, nommé par lui mais qu’il méprise(rait). Il est donc intéressant de comparer les points de vue. Ce qui ressort de l’article du vaticaniste allemand, c’est que c’est la mort de Benoît XVI qui a donné le feu vert à l’opération « Guerre-à-la-tradition » voulue par des épiscopats nationaux influents, principalement celui italien. L’analyse de Giusppe Nardi rejoint toutefois celle du blogueur argentin sur le fait que « François, comme on le sait déjà depuis son époque à Buenos Aires, ne veut si possible pas se créer trop d’ennemis, car il y voit une limitation de sa marge de manœuvre ».

De toute façon, le Pape est si imprévisible que bien malin est celui qui sait comment les choses vont évoluer.

L’ « irréversible » étranglement

Rescrit sur la mise en œuvre de Traditionis Custodes

50 JOURS APRÈS LA MORT DE BENOÎT XVI.

Le rescrit du cardinal Roche signifie un nouveau coup porté au rite traditionnel, auquel le pape François est profondément opposé.

Retour de Giuseppe Nardi sur une journée de lutte papale contre le rite traditionnel.

Giuseppe Nardi
katholisches.info/2023/02/21/der-irreversible-wuergegriff-reskript-ueber-die-umsetzung-von-traditionis-custodes/

Cinquante jours après la mort de Benoît XVI, le Saint-Siège en a encore rajouté dans la mise en pièces du motu proprio « Summorum Pontificum ». Le bulletin quotidien de la Salle de presse du Vatican du 20 février 2023 a fait état d’une audience accordée par le pape François au cardinal Arthur Roche, préfet du dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements. On sait désormais sur quoi portait cette audience.

Le texte d’un rescrit sur l’application du Motu proprio « Traditionis Custodes », approuvé lors d’une audience au préfet du dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements, a été publié dans le bulletin quotidien du bureau de presse d’aujourd’hui (le rescrit a également été publié dans l’édition actuelle de L’Osservatore Romano). Il confirme en partie les rumeurs qui circulent depuis janvier sur des mesures plus restrictives à l’égard de la liturgie traditionnelle. Ces rumeurs étaient apparues immédiatement après la disparition de Benoît XVI et indiquaient que des travaux préparatoires correspondants avaient déjà été réalisés et étaient prêts dans les tiroirs.

Dans ce rescrit, la partie concernant les anciennes communautés dites Ecclesia Dei n’est pas mentionnée, de sorte que l’on suppose qu’un autre document pourrait venir pour elles, une éventuelle constitution apostolique dont il a été question dans les rumeurs mentionnées plus haut.

Le Saint-Siège n’a pas daigné mettre à disposition des traductions officielles, de sorte que nous fournissons notre propre traduction :

Ici, Giuseppe Nardi insère le texte du rescrit traduit en allemand.
On trouve un résumé en français sur le site Zenit:


Clic!

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A plus de 14 mois d’intervalle, le pape François a expressément réaffirmé ce que ledit dicastère avait précisé fin 2021 dans ses Responsa ad dubia (Réponses aux doutes). Le rescrit n’ajoute pas grand-chose de nouveau sur le fond, mais il augmente la pression sur les évêques diocésains, qui peuvent être accusés de désobéissance en cas de besoin et de non-application stricte. Du point de vue du jésuite qu’est le pape François, c’est un point de poids qui peut être sanctionné par des supérieurs, sans pitié.

Pour rappel :

  • Les évêques italiens, avec les évêques allemands, ont opposé la résistance la plus massive à la consigne du pape Benoît XVI de traduire les paroles de la consécration « pro multis » dans la langue vernaculaire par « pour beaucoup » .
  • Le 3 septembre 2017, le pape François a confirmé de facto cette attitude d’obstruction par son motu proprio « Magnum principium », en confiant aux conférences épiscopales des compétences en matière de traduction des livres liturgiques dans les langues vernaculaires. Le cardinal Sarah avait puissamment mis en garde contre une évolution de l’Église dont il était déjà plus conscient et plus lucide en coulisses que le public.
  • Au cours de l’été et de l’automne 2018, des évêques italiens ont lancé une attaque contre le motu proprio « Summorum Pontificum » en reprenant un mot du pape François qui, dans les années précédentes, avait précisé avec une insistance croissante qu’il voulait « déclencher » des processus qui soient « irréversibles ». Une forte fronde de la Conférence épiscopale italienne soulignait que la réforme liturgique post-conciliaire était « irréversible » et que cela devait être clair pour tous dans l’Église. Parallèlement, Andrea Grillo, le liturgiste attitré du pape François, a lui aussi attaqué Summorum Pontificum.
  • En 2019, le liturgiste maison du pape Andrea Grillo a exprimé publiquement ce qui se préparait en coulisses : L’accès au rite traditionnel devait être limité. Le principal obstacle était que Benoît XVI, le pape de Summorum Pontificum, était encore en vie et que, selon la ligne officielle du Vatican, pas une feuille de papier ne pouvait se glisser entre lui et le pape François. François a hésité. En janvier 2020, le cardinal Sarah et Benoît XVI ont activement tiré le frein à main contre la tentative d’assouplir le sacrement de l’ordre et le célibat sacerdotal dans le cadre du synode sur l’Amazonie.
  • Un an plus tard, on apprenait dans l’entourage du pape que pour le pape François, il était clair que Benoît XVI était devenu trop faible pour pouvoir se dresser une nouvelle fois contre lui.

Depuis, les choses se sont enchaînées.

  • Le 20 février 2021, le cardinal Robert Sarah, ami du rite traditionnel, a été démis de ses fonctions de préfet de la Congrégation pour le culte divin.
  • Le 27 mai 2021, le pape François a nommé un adversaire déclaré du rite traditionnel, l’archevêque Arthur Roche, nouveau préfet de la Congrégation pour le culte divin.
  • Le 16 juillet 2021, le pape François a promulgué le motu proprio « Traditionis custodes », par lequel il annulait les motu proprio « Summorum Pontificum » de 2007 et « Ecclesia Dei » de 1988 et renvoyait à coups de fouet le rite traditionnel libéré sous Benoît XVI dans un enclos strict. Traditionis custodes avait pour mission première non seulement d’endiguer, mais aussi d’étouffer la propagation du rite traditionnel et de la conception de l’Église qui y est liée au clergé séculier et aux religieux-prêtres d’ordres néo-rituels.
  • Le 27 août 2021, François a récompensé Mgr Roche pour la destruction du rite traditionnel en le nommant cardinal et en lui conférant le titre romain de diacre de Saint-Saba.
  • Le 18 décembre 2021, le Saint-Siège a publié les Responsa ad dubia (réponse aux doutes) sur Traditionis custodes par le cardinal Roche, nouveau préfet de la Congrégation pour le culte divin. Il y soulignait que Traditionis custodes était devenu « nécessaire » pour préserver « l’unité » de l’Église et « de l’Esprit par le lien de la paix », sous-entendant une fois de plus implicitement que le rite traditionnel et les prêtres et fidèles qui y sont fidçles « perturbent l’unité », voire la mettent en danger. La référence à l’épître aux Éphésiens, selon laquelle la lutte contre le rite traditionnel et le démantèlement de Summorum Pontificum sont l’expression d’un « lien de paix », a été perçue comme une pure moquerie. Comme on le sait, celui qui a fait le mal n’a pas à se soucier de la moquerie.
  • Les responsa ont en outre affirmé que la réforme liturgique post-conciliaire – POST-CONCILIAIRE, et non conciliaire, comme on le prétend souvent, parce qu’elle n’a pas été décidée par le Concile Vatican II, mais créée après coup – « est irréversible ». Le pape François avait laissé entendre, au plus tard en 2017, qu’il voulait « lancer des processus » qui soient « irréversibles ». Le voilà à nouveau, le mot magique.
  • La réaction des évêques diocésains a été variée. Pour les opposants radicaux au rite traditionnel comme Andrea Grillo [donc le théologien officieux du pape], c’était trop peu. Des pressions ont été exercées sur le pape François pour qu’il renforce les mesures et le rythme. Dans le tiroir, il y avait déjà des projets préparés pour réduire la tradition jusqu’à la rendre méconnaissable. François ne voulait pas encore ouvrir le tiroir face à Mater Ecclesiae, la maison où Benoît XVI s’était retiré.
  • Le 31 décembre, le pape allemand a été rappelé à Dieu. Des rumeurs ont rapidement circulé selon lesquelles les représentants de la tradition seraient désormais traités d’une main de fer. C’était un cri de triomphe qui semblait trop lié à la mort de Benoît, méprisé par certains.

Le rescriptum publié aujourd’hui ne couvre qu’une partie des rumeurs concernant les mesures prises contre le rite traditionnel. Soit ces rumeurs étaient inexactes, soit, ce qui est devenu plus probable aujourd’hui, une nouvelle attaque contre les communautés dites Ecclesia Dei suivra prochainement dans une étape séparée.

Le rescriptum révèle également, en marge, une hypocrisie considérable des milieux ecclésiastiques progressistes qui, sous Jean-Paul II et Benoît XVI, s’insurgeaient de manière infondée contre un prétendu « centralisme romain ». Ce n’est que sous le pape François que ce centralisme a connu une radicalisation et concentre aujourd’hui à Rome des compétences exclusives d’une ampleur jusqu’ici insoupçonnée. Il suffit de penser à l’érection canonique de nouvelles communautés et de nouveaux ordres, et en particulier, bien sûr, en rapport avec le rite traditionnel. Il ne faut pas s’attendre à ce que ces milieux, qui ont polémiqué pendant des décennies contre les papes polonais et allemand, qui ont sapé l’autorité de ces deux successeurs de Pierre et qui les ont parfois discrédités personnellement, expriment un mot de critique contre les nouveaux excès centralisateurs.

Le rescrit d’aujourd’hui fournit une preuve supplémentaire que le pape François est mû par un profond élan idéologique lorsqu’il s’agit du rite traditionnel. Dans les nombreuses interventions et gestes de son pontificat de bientôt dix ans en rapport avec la liturgie, le rite traditionnel et la tradition, on ne trouve aucune indication d’une quelconque appréciation.
Une prétendue « générosité », telle qu’il l’a montrée au début de l’année 2022 envers les communautés Ecclesia Dei (concrètement la Fraternité Saint-Pierre), devrait plutôt être lue comme une mesure tactique, car François, comme on le sait déjà depuis son époque à Buenos Aires, ne veut si possible pas se créer trop d’ennemis, car il y voit une limitation de sa marge de manœuvre.

Un chasseur ne peut pas abattre un troupeau entier d’un seul coup. En revanche, il peut le décimer jour après jour.

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