Ce n’est plus une formule-choc, c’est une réalité désormais concrète. Marcello Veneziani livre un témoignage personnel troublant et d’autres de seconde main, mais issus de proches, et donc plutôt fiables. Des propos tenus à table ont été suivis d’annonces commerciales liées reçu via le smartphone. Juste commerciales? Pour le moment, peut-être, mais tout est prêt pour que les choses aillent plus loin… ouvrant des perspectives inquiétantes.

Evidemment, cela n’est pas nouveau, comme en témoigne cet article déjà ancien (2015) issu du site spécialisé 01.net, mettant en cause les téléviseurs connectés Samsung:

Samsung le reconnaît discrètement : ses SmartTV espionnent ce que vous dites
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La charte de confidentialité de Samsung pour ses téléviseurs connectés indique clairement que leur fonction de reconnaissance vocale peut espionner tout ce que vous dites à portée de « ses oreilles ». 

https://www.01net.com

Le géant coréen plaide évidemment la bonne fois (!!!) arguant de la nécessité pour lui d’écouter les utilisateurs qui voudraient avoir recours aux commandes vocales (désormais largement banalisées), afin de reconnaître leur voix. D’ailleurs, Samsung rappelle que la reconnaissance vocale n’est qu’une option et qu’elle peut-être simplement désactivée. 

S’ils le disent… mais on n’est pas obligés de les croire sur parole

Attention, quelqu’un nous espionne

https://www.marcelloveneziani.com/articoli/attenzione-qualcuno-ci-spia/

Ce n’est donc pas un racontar de complotistes et de terraplatistes, on nous espionne vraiment ?
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Je pars d’un petit épisode personnel, domestique.
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Nous sommes à table et je raconte qu’enfant, j’ai demandé à mes parents d’adopter un petit agneau à la maison. J’étais le petit dernier, plutôt choyé, on cédait à mes caprices, et mes parents avaient demandé à notre métayer Carluccio de m’apporter un agneau nouveau né. Mais je prétendais manger avec lui par terre, à quatre pattes, dans sa propre gamelle ; et ma mère pour me faire plaisir mettait deux gamelles différentes, une pour lui et une pour moi. Mais ensuite, ils ont fait disparaître mon compagnon laineux.

Fin de l’anecdote.

Quelques heures plus tard, une étrange proposition arrive sur mon portable: veux-tu adopter un petit agneau ?

Le cas est loin d’être isolé. Il y a quelques jours, dans les Pouilles, ma sœur parlait avec des amies d’une de ses connaissances qui était allée se faire greffer des cheveux à Istanbul ; peu de temps après, une offre est arrivée sur son smartphone : si tu veux une greffe de cheveux, c’est désormais possible ici, à Bari. Et même chose à propos d’un coiffeur milanais qu’elle a mentionné au déjeuner, spécialisé dans les cheveux frisés ; ici aussi il y en a un, prévient le confident smartphone des Pouilles.

J’ajouterais, pour compléter le tableau, que le téléviseur de ma maison s’allume souvent et parle parfois, sans que personne ne le lui demande, et s’immisce dans la conversation. Phénomène paranormal ou autre chose ?

Il y a quelques jours, j’ai écrit un article sur l’infocratie. De nombreux lecteurs m’ont raconté des histoires analogue. Comme M.F. qui a raconté un espionnage du même genre: ils parlaient en famille de couvre-chefs insolites et recevaient ponctuellement des conseils pour acheter de tels couvre-chefs.

Je constate la progression suivante, qui est très alarmante.

Avant, si vous cherchiez quelque chose sur Google ou un autre réseau, vous receviez des publicités pour ce que vous cherchiez : la destination d’un voyage, une moto, un produit quelconque. Vous n’appréciiez pas cette interférence, mais c’était en fait une conséquence de votre recherche sur internet. Plus tard, vous avez réalisé que si vous parlez de quelque chose au téléphone, sur whatsapp ou dans un e-mail, vous recevez des messages qui s’y rapportent et cela vous met encore plus mal à l’aise car vous avez l’impression que vos conversations téléphoniques sont interceptées, au moins par des algorithmes.

A présent, il arrive même que si vous parlez à quelqu’un verbalement, de visu, pas au téléphone, même si vous avez votre smartphone loin de vous, dans une autre pièce, vous recevez la publicité par rapport à ce que vous disiez. Dérangeant.

Jusqu’à présent, la sphère d’interférence n’est pas nuisible, même s’il s’agit d’un harcèlement de la vie privée, d’une atteinte futile à la liberté de chacun ; tant qu’arrivent des conseils d’achat, on peut simplement les ignorer. Tout comme on ignore ou on arrête immédiatement l’appel téléphonique au harcèlement obsessionnel et quotidien du téléphone, des services publics, de l’électricité, du gaz et de diverses autres menaces. « Signor Marcello ? » Et je leur raccroche immédiatement au nez.

Mais étant donné qu’en si peu de temps, nous sommes passés de l’interception d’une recherche sur Google à une écoute téléphonique, puis à un véritable espionnage des conversations privées, domestiques et non téléphoniques, on se demande quelles seront les prochaines étapes et dans quelle mesure nous sommes espionnés seulement pour des raisons purement commerciales. Et comment arrêter cela, comment éviter de basculer dans quelque chose de plus inquiétant, comme le fichage des goûts et des tendances, la surveillance des opinions et des comportements privés, même légaux mais peut-être jugés incorrects ? Quelle est la limite entre l’espionnage et le plagiat, le conditionnement mental, la pression psychologique, l’incitation à l’autocensure, le régime de surveillance ?

Comme toujours, nous, Italiens, nous dénonçons d’abord, puis nous le prenons à la blague, nous voyons le côté comique et nous en rions. Nous faisons bien d’en rire ou de faire une leçon « pour rire » à Alexa ou à ses semblables, qui au lieu de nous aider jouent le double jeu et travaillent pour l’envahisseur.

Tais-toi, l’ennemi t’écoute ! C’était la propagande de guerre il y a quatre-vingts ans. Mais nous ne sommes en guerre contre personne, nous ne sommes pas non plus intéressants au point d’être espionnés, ni psychologiquement instables au point de suivre leurs conseils d’achat ; au contraire, du seul fait de leur intrusion dans notre vie privée, ces produits indiqués, nous les rejetons a priori.

Attention à ne pas parler de prostituées ou de mafiosi. Ma sœur, par exemple, a parlé de Messina Denaro [chef mafieux, ennemi public numéro 1, arrêté le mois dernier à Palerme] et a peur d’être mise en cause…..

Mais aujourd’hui, dormons tranquilles car le Garante per la Privacy [l’autorité de protection de la vie privée] a lancé une enquête après qu’un service de télévision et plusieurs utilisateurs aient signalé qu’il suffit de dire quelques mots sur des projets, des voyages ou de simples souhaits pour voir arriver sur son téléphone portable des publicités pour une voiture, une agence de voyage ou un produit cosmétique.

Sur cette utilisation illicite des données faite dans le dos de personnes peu méfiantes, l’Autorité de protection de la vie privée – lit-on dans une note – « a lancé une enquête, en collaboration avec l’Unité spéciale pour la protection de la vie privée et les fraudes technologiques de la Guardia di Finanza [les Douanes], qui inclut l’examen d’une série d’applis parmi les plus téléchargées et la vérification que les informations données aux utilisateurs sont claires et transparentes et que leur consentement a été correctement acquis.

Plus que l’ouverture d’une enquête ou d’une investigation, qui n’est refusée à personne, nous voudrions que cet espionnage cesse. Et nous aimerions savoir si l’enquête porte non seulement sur l’utilisation déformante des applis et des réseaux, mais aussi sur l’utilisation aux fins d’espionnage du smartphone lui-même, qui va au-delà de l’ingérence, y compris harcelante dans notre vie privée.

Ce n’est peut-être pas Big Brother, mais c’est un petit cousin ; c’est agaçant et il n’est pas du tout exclu que cela prenne de l’ampleur au fil des ans.

(Panorama n°9)

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